Vingt-quatre ans ont passé, et pourtant ce jour d’automne 2001 demeure figé dans la mémoire collective comme une fracture. Les écrans du monde entier ont vu s’écrouler les tours jumelles, la poussière envahir le ciel, des êtres humains se jeter dans le vide pour fuir l’enfer. Ce n’était pas seulement un quartier de New York qui s’effondrait : c’était l’illusion d’une invulnérabilité, la certitude confortable que la violence la plus archaïque n’appartiendrait jamais aux paysages de l’Occident.
Ce drame n’était pas une irruption soudaine. Il était l’aboutissement d’une idéologie travaillée de longue date : un islamisme forgé dans des écoles religieuses où l’esprit critique est étouffé, soutenu par des financements complaisants, nourri d’une haine de la liberté et de la vie. Al-Qaïda n’a pas inventé ce fanatisme, elle en a simplement offert au monde occidental la mise en scène la plus meurtrière.
Nous savions déjà ce que cela signifiait.
Dans les années 1990, l’Algérie avait payé le prix du sang.
Des écrivains assassinés, des familles massacrées, des villages rayés de la carte, des femmes réduites en esclavage : cette décennie noire fut l’annonce de ce qui viendrait. Mes amis et moi, Boualem Sansal en tête, avions tenté de prévenir. Mais le reste du monde jugeait que cela ne le concernait pas. C’était trop lointain, trop dérangeant, presque exotique. Le 11 septembre fut la démonstration, au cœur de l’Occident, que cette barbarie ignorée était en réalité une menace universelle.
Depuis, des guerres ont été déclenchées, des régimes ont chuté, des coalitions ont émergé. Pourtant, le fond du problème demeure intact.
L’idéologie qui a enfanté le 11 septembre n’a pas disparu.
Elle est toujours là. Elle a changé de nom, de drapeau, mais elle survit. Daech n’a été que la suite logique d’Al-Qaïda, et d’autres monstres naîtront encore, tant que l’on refusera de nommer l’adversaire : l’islam politique, porteur d’un projet totalitaire qui rêve d’un monde soumis à la charia.
Le combat ne relève pas d’une nation, ni même d’un continent. Il concerne tous ceux qui refusent la servitude.
D’Alger à Paris, de Kaboul à Tunis, de Téhéran à Stockholm, la bataille est la même : préserver la liberté de conscience, le droit d’aimer, de croire ou de ne pas croire.
L’islamisme ne distingue pas entre le Sud global et le Nord « civilisé » : il vise l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile et de plus précieux, la liberté intérieure.
Et que voyons-nous aujourd’hui ? Trop souvent, des sociétés occidentales prêtes à relativiser, à comprendre plutôt qu’à résister, à réduire le fanatisme à une pathologie sociale. Des élites intellectuelles qui, par complaisance ou par peur, préfèrent taire le mot juste. Des quartiers et des écoles où l’on ferme les yeux sur la progression de l’obscurantisme. Comme si nous nous habituions à la menace, comme si nous étions prêts à céder un peu de liberté en échange d’une illusion de tranquillité.
Se souvenir du 11 septembre, ce n’est pas seulement déposer des fleurs ou revoir les images. C’est affirmer que la liberté ne se troque pas. Que la laïcité est une nécessité vitale. Que l’égalité entre hommes et femmes, entre croyants et non-croyants, n’est pas une option mais le socle de la civilisation moderne.
Le 11 septembre a ouvert une faille. Vingt-quatre ans plus tard, cette brèche demeure. L’ennemi, lui, n’a pas cessé de travailler, de se dissimuler, de se réarmer. Si nous voulons répondre à la hauteur, ce ne peut être par la résignation ni par une guerre sans horizon. Cela exige un sursaut moral, politique, intellectuel.
Ce jour-là, à New York, ce n’est pas seulement l’Amérique qui a été frappée : c’est l’humanité entière qui a reçu une sommation. Choisir entre la peur et la liberté. Entre la raison et l’obscurantisme. Entre l’émancipation et la servitude.
C’est encore et toujours là que doit s’inventer l’insurrection des consciences.
Kamel Bencheikh
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