Le proverbe populaire affirme que « c’est dans les grandes tempêtes où l’on reconnait les grands capitaines » : François Bayrou, à l’aube de sa déclaration de politique générale, devra faire preuve de beaucoup de charisme et de grande maîtrise du processus politique pour essayer de constituer une majorité de parlementaires dans l’espoir de pouvoir gérer le pays plus sereinement.
Fortes fortuna adiuvat : la chance sourit-elle vraiment aux plus audacieux ? L’histoire nous prouve que oui. Que ce soit le général De Gaulle lors de son appel à la résistance du 18 juin, à contre-courant d’une France pétainiste résiliée, ou le même général qui créa aux forceps, en 1958, une nouvelle constitution quasi sur mesure pour faire face au blocage des rouages démocratiques de l’époque, ces prises de positions historiques ont changé le cours de l’Histoire de France. Plus récemment, en 1981, François Mitterrand a aboli la peine de mort contre l’opinion générale du moment ; en 2003, Jacques Chirac s’opposa fermement à la guerre américaine en Irak et utilisa le droit de veto de la France au Conseil de sécurité des Nations unies, générant des critiques sévères de la part de certains de ses alliés.
Il y a également autant de contre-exemples d’actes audacieux privés de leur succès. Mais dans l’état actuel des choses, si le maire de Pau ne veut pas battre le record de durabilité de M. Barnier, l’immobilisme n’est pas de mise.
C’est pourquoi il faut revenir aux fondamentaux : convaincre l’Assemblée nationale du bien-fondé d’un réel bien commun. Chaque député est élu dans une circonscription et il représente les intérêts des habitants de cette zone géographique. Ils sont à l’écoute des préoccupations des citoyens. Cette ambassade de représentation s’accompagne d’un devoir moral de défendre les intérêts de ses électeurs, mais également celle de tous les citoyens. L’article 27 de la Constitution française interdit le mandat impératif : cela signifie qu’un député ne peut pas être juridiquement contraint de respecter des engagements spécifiques ou de suivre des instructions, même s’il les a promis pendant sa campagne ; or leur mandat n’est pas impératif mais représentatif, ce qui signifie qu’ils sont élus pour représenter la nation dans son ensemble et non seulement leurs électeurs ou leur circonscription.
Premier point qui relève de l’intérêt commun, sa dimension universelle. Donc, peu importe sa couleur politique, un député devra choisir ce qui est le mieux pour la France avant de choisir ce qui est le mieux pour ses électeurs. Et la France a besoin de rassurer ses créanciers, ses populations fragiles, ses personnes âgées …
Il est possible d’imaginer en ces temps de tension politique qu’un conflit d’intérêt puisse naître à l’aube des prochaines échéances électorales de 2027. Certains pensent peut-être que le chaos peut les aider à atteindre le pouvoir suprême. La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a instauré des obligations claires pour les députés et autres responsables publics en matière de prévention des conflits d’intérêts. Elle définit le conflit d’intérêts comme une situation dans laquelle une personne « exerce ses fonctions tout en ayant un intérêt personnel de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ces fonctions ».
La recherche du pouvoir en tant que motivation politique personnelle, plutôt que le service du bien commun, n’est pas – malheureusement – juridiquement considérée comme un conflit d’intérêts dans le cadre de la législation française ou de la jurisprudence. Une attitude perçue comme guidée exclusivement par l’ambition personnelle ou la recherche de pouvoir peut être jugée contraire aux principes républicains, mais cela relève davantage d’un jugement politique que d’une violation juridique ou déontologique.
Les électeurs ont encore la possibilité de sanctionner ce comportement lors des élections.
Toutefois, le code de déontologie de l’Assemblée nationale exige des députés qu’ils agissent dans l’intérêt général et avec intégrité. Une quête de pouvoir qui se traduirait par des décisions contraires à l’intérêt général ou par une manipulation des institutions (par exemple, en entravant volontairement des débats ou des réformes pour des intérêts partisans) pourrait être dénoncée politiquement et médiatiquement. Une plus grande probité morale doit amener à placer le bien commun aux premières loges de la scène politique.
D’autres arguments en faveur de cette mobilisation commune pourraient être développés, comme le besoin de rétablir la confiance dans les institutions : Le bien commun, en tant qu’objectif partagé par la société dans son ensemble, pourrait être un moyen efficace de restaurer la confiance des citoyens envers leurs représentants politiques. En se focalisant sur le bien commun, les élus montrent qu’ils privilégient l’intérêt collectif plutôt que des intérêts partisans ou personnels, renforçant ainsi leur légitimité et leur proximité avec les préoccupations des citoyens. La nécessité de répondre aux inégalités croissantes : La France, comme de nombreux autres pays, fait face à une montée des inégalités sociales et économiques. Mettre le bien commun au centre des préoccupations politiques permettrait de lutter contre ces inégalités en orientant les politiques publiques vers la redistribution des ressources, la justice sociale et la solidarité intergénérationnelle. Ne pas reconnaitre cette nécessité fera le lit des extrêmes et mettra à mal la paix sociale. Peut-on parler de bien commun sans évoquer l’écologie ? Protéger l’environnement et l’avenir des générations futures : Le bien commun inclut également la préservation de l’environnement pour les générations futures. Dans un contexte de crise climatique, les députés et sénateurs pourraient promouvoir des législations qui répondent aux urgences environnementales et écologiques, tout en intégrant des mesures qui soutiennent l’économie verte et l’égalité d’accès aux ressources naturelles.
L’adoption d’une politique de régulation équilibrée place le bien commun au centre des préoccupations, les élus s’assurent de réguler les secteurs clés de l’économie (santé, éducation, sécurité sociale, emploi) afin de garantir l’accès égalitaire aux services publics essentiels, tout en évitant des dérives néolibérales qui privilégient des intérêts privés au détriment du collectif. Les préoccupations du bien commun favorisent donc une approche politique tournée vers le long terme, au-delà des cycles électoraux de cinq ans. En se concentrant sur l’intérêt général plutôt que sur des intérêts partisans immédiats, les parlementaires peuvent mettre en place des réformes structurelles durables qui répondent aux défis de demain, tout en restant sagement dans le spectre de la popularité électorale.
François Bayrou, dans sa vision de gouvernance, devra naviguer entre les deux clans qui bordent l’hémicycle, en tenant compte des desiderata de sa base, de la chambre haute et surtout de la Présidence.
Délicate équation que seule une vision basée sur un bon sens soutenant le bien commun peut aider à résoudre.
Patrick Soumet