Pourquoi est-il indispensable de se poser la question de la vérité en situation de crise ?
Séquence ultime d’une suite de dysfonctionnements, la crise est un événement mettant en péril la réputation et la stabilité d’une organisation. Elle projette tous les acteurs en présence dans une situation hautement inconfortable et potentiellement destructrice. Or tout l’enjeu, dans ce contexte de grande vulnérabilité, est de restaurer sinon de maintenir la confiance.
Cette confiance est indispensable à la fois pour permettre à l’organisation de supporter la crise lorsqu’elle survient, de la surmonter, d’y remédier et également pour envisager « l’après-crise ». Elle est vitale pour espérer une résolution collective de la crise alors que l’incertitude règne. Il n’y a enfin de résilience possible que grâce à un échange continu de la confiance.
Si confiance et vérité sont intimement liées, l’articulation ne va pas toujours de soi, elle est en réalité conjoncturelle et variable. Dans le contexte de pollution informationnelle que nous vivons, faire entendre la vérité s’avère plus que jamais un exercice périlleux et d’une grande complexité, d’autant plus qu’il n’y a pas une mais des vérités. Nous entendons « vérité » au sens du juste et du vrai analysé par Raymond Boudon.
Le doute accompagne désormais les efforts de transparence et apparaît comme un contre-pouvoir évident.
Nous vivons dans une société de défiance qu’Alain Peyreffitedécrivait remarquablement, où la parole de tous se vaut, où pouvoir et compétence entrainent une méfiance instantanée, où les rumeurs se propagent, marquent les esprits, et peuvent torturer les réputations.
Au cœur de cette économie du bruit où le danger et la force du baratin, des fake news sont démultipliés, mener un combat pour imposer la vérité et permettre à ses clients de reprendre le cours normal de leur activité constitue le cap à atteindre et reste le meilleur atout pour permettre aux organisations de sortir renforcées.
L’expérience nous apprend qu’en matière de communication de crise, il faut d’abord et toujours faire preuve d’humilité, tenir à distance les dogmes et les certitudes. Il est recommandé de réagir vite, mais en réagissant trop rapidement, on risque d’échapper à certaines données majeures qui pourront ensuite nous être reprochées. Il faut plutôt assumer ses responsabilités en déployant une communication authentique et vraie qui humanise la prise de parole du dirigeant « face à moi, je n’ai pas un monstre froid, une institution, mais des femmes et des hommes qui sont conscients de l’ampleur de la crise et de l’impact qu’elle génère », mais il existe aussi le risque d’apparaître comme un élément à charge lors des différents procès qui ne manqueront pas de survenir. Ainsi, la communication de crise nécessite beaucoup de prudence et si elle est peut correspondre à un sport de combat, elle se révèle également une mécanique de précision.
Dans cet exercice permanent d’ajustement aux événements et aux multiples visages que prendra la crise, un impératif domine : tout ce qui est dit doit impérativement être vrai et juste.
C’est d’autant plus important que nous vivons dans une société qui a de la mémoire, où tout se sait et tout s’entend. En effet, dans ce contexte de surveillance généralisée, les instruments mis à disposition de tous permettent de dévoiler la quasi-totalité des secrets les mieux gardés. Le meilleur bouclier est alors la sincérité, la clarté, le réalisme et la cohérence ; ces qualités mettront un frein aux fausses interprétations et le caractère authentique des faits accompagnera le travail de résilience.
Cette recherche de vérité provient du terrain. C’est aux équipes opérationnelles que revient la révélation des informations qui serviront aux gestionnaires de la crise afin de disposer d’une conscience situationnelle vitale et permettra aux décideurs de faire des choix fondés et réfléchis et de communiquer en toute sincérité.
La norme de vérité en communication de crise est aussi une norme morale. Il est en effet manifeste qu’il n’est pas juste de contrefaire ou de déformer la vérité parce que les fausses assertions nuisent aux parties prenantes et portent atteinte à leur faculté réflexive et à leur capacité de réactivité, entravées par le fait même du mensonge. La distorsion de la réalité est toujours une pente savonneuse. Prenons l’exemple du cas Nestlé et de l’affaire des pizzas Buitoni contaminées en France qui ont intoxiqué des dizaines d’enfants en 2022. La marque va enchainer les erreurs de communication : manque de transparence et de mobilisation, stratégie du déni en annonçant dans un communiqué « qu’il n’existe aucun lien avéré entre nos produits et les intoxications survenues » puis doute « Nestlé a mené 75 prélèvements sur la ligne de fabrication concernée et dans tout l’usine, tous négatifs »… Toutes les cases d’une gestion de crise ratée sont cochées par le géant suisse alors que les plaintes se multiplient. Une stratégie de communication de crise fondée exclusivement sur le déni qui consiste à nier sa responsabilité est particulièrement risquée. Ce qui justifie le revirement récent et l’approche transactionnelle extra-judiciaire de la firme de Vevey.
Les dirigeants doivent-ils pour autant dire toute la vérité ? Cette question nous est souvent posée par les gestionnaires de crise. Le problème est à poser dans sa complexité, il est de savoir si toutes les vérités pourraient ne pas être bonnes à entendre. Autrement dit, peut-on parler d’omissions légitimes de la vérité en situation de crise ?
Dans la vie des organisations, le secret est parfois requis et peut être une obligation. Dans le contexte de conflit, un chef des armées ne révélera en aucun cas les informations dont il dispose parce qu’elles lui permettront d’élaborer ses plans d’intervention. Les seuls cas relèvent alors d’impératifs stratégiques où la discrétion du stratège consiste à omettre la révélation d’une information capitale afin ne pas compromettre un objectif vital pour le plus grand nombre.
Ne pas tout dire parce que l’on ne sait pas tout, autre cas de figure où les dirigeants se retrouvent partagés entre le besoin de transparence exigé par les citoyens et les incertitudes provoquées par la crise. L’exemple de l’épidémie du coronavirus illustre parfaitement cette posture inconfortable où la nouveauté du virus mettait à mal toutes les certitudes et les réponses possibles.
Dans l’épais brouillard de l’incertitude, la prudence ainsi que la modestie sont alors de mise comme dans un contexte de changement ou de contingence.
« Tout simplement nous ne savons pas » relève d’une communication censée et acceptable si cet aveu d’incertitude ne dure pas, injectant dans le cas contraire, le doute dans la capacité des autorités à gérer la crise.
La perte de crédibilité et de légitimité est un des plus grands risques en communication de crise.
Dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit, communiquer par la preuve, ajuster les différents messages…sont autant de postures responsables et adaptées aujourd’hui pour répondre à l’urgence de la crise et anticiper l’avenir.
Le combat qui se joue, se situe majoritairement dans ce monde bruyant qui complexifie les crises et leur compréhension. Dire la vérité constitue un acte courageux. Le courage est, à l’intérieur d’un rapport de force, une affirmation de soi basée sur la ténacité. Cette idée d’un « courage de la vérité », défendue par Michel Foucault, nous interpelle non seulement sur la fonction du « dire-vrai » en démocratie mais également sur l’importance de l’altérité sans laquelle une crise ne peut se résoudre.
Marianne Robinot Cottet-Dumoulin
Docteure en sociologie et démographie
Consultante senior en gestion de crise et communication