Cette juridiction a d’abord dit le droit, ce qui est son rôle. Mais ensuite elle est allée un peu plus loin en s’affranchissant d’une décision du Conseil Constitutionnel.
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Le tribunal a dit le droit pénal…
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris concernant Marine Le Pen est tombé. Cette dernière a été reconnue coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national (devenu Rassemblement national, RN), ce lundi 31 mars. L’ancienne présidente du parti d’extrême droite a été condamnée à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont deux ans fermes, aménageable avec un bracelet électronique, à 100 000 euros d’amende, et à cinq ans d’inéligibilité, avec exécution provisoire.
Précisons que d’anciens et d’actuels cadres du parti (M. Aliot par ex) ont été reconnus coupables d’avoir mis en place, entre 2004 et 2016, un « système de détournement » de l’argent versé par l’Union européenne et destiné à l’embauche de collaborateurs parlementaires, afin de financer les activités politiques du parti.
Un préjudice estimé à près de 7 millions d’euros par le Parlement européen. Mais, quelque part, vu le budget de l’UE qui s’élève à plus de 2 000 milliards d’euros, c’est une paille !
En elle-même voilà une décision de justice qui sanctionne toute une série de délits. Le juge du siège a suivi l’essentiel des réquisitions. C’était son droit. Tout comme c’eut été celui de ne pas les suivre. Il n’y a là rien de juridiquement choquant. Rappelons que selon l’art. 64 C les juges du siège sont « inamovibles » ce qui fonde leur indépendance. Notamment par rapport au parquet et au pouvoir exécutif (le Parquet n’étant lui pas indépendant ainsi que l’a jugé à plusieurs reprises la CEDH).
Pour avoir exercé, voici une quinzaine d’années, des fonctions de juge de proximité, nous savons que pour fonder ses jugements un juge pénal bénéficie de tout l’arsenal proposé par le Code Pénal et le Code de Procédure Pénale. A chaque délit correspond une peine principale et des peines complémentaires voire accessoires. Bien sûr en se basant sur les faits, la personnalité des mis en cause et le dossier, le juge se fonde une intime conviction et prononce son jugement. Et rappelons que le tribunal judiciaire siégeait ici en collégiale (3 juges). « On est plus intelligent à trois que seul » nous assurait un magistrat avec qui nous avons siégé. N’en déplaise à la majorité des commentaires un peu rapidement émis, le tribunal a prononcé une décision judiciaire et non politique. Seuls le Président, le Gouvernement et Parlement prennent des décisions politiques. Un tribunal judiciaire rend la justice, dit le droit. Bien sûr lorsque cela concerne des personnalités politiques, ça devient de suite…politique ! Surtout quand la décision est défavorable. « À partir du moment où le tribunal a considéré que tout était centralisé au sein du parti et que Marine Le Pen y avait personnellement participé, à l’époque en tant que cheffe de file des eurodéputés et présidente du FN, le quantum de la peine ne me surprend guère », indique Maître Emmanuel Daoud.
Alors bien sûr on peut aussi s’interroger sur l’influence du SM, bras armé judiciaire de l’extrême gauche. Même s’il est en recul aux dernières élections syndicales, il doit bien y avoir des représentants au sein du tribunal de Paris. Peut-être même au sein de la formation qui a jugé Mme Le Pen ? Et dans ce cadre-là, il est évident que depuis le « mur des cons », on peut s’attendre à tout de la part de ce syndicat dont les méthodes n’auraient pas dépareillé dans le système judiciaire de l’ex-URSS.
Dans cette affaire le tribunal judiciaire a décidé de frapper fort, c’est une évidence.
Alors bien sûr il sanctionne une candidate favorite des sondages pour la présidentielle 2027. Le point sur lequel on peut avoir quelques doutes quand même c’est cette inéligibilité de 5 ans avec exécution provisoire. En droit, l’exécution provisoire est une peine accessoire, s’ajoutant à la peine principale. Lorsqu’elle est ordonnée, elle permet l’exécution immédiate du jugement, même en cas de recours. Concrètement, cela signifie que Marine Le Pen sera inéligible dès maintenant, et ce, même si elle fait appel de sa condamnation. Ce qui, a minima, a un côté illogique. Le droit au recours est un principe clef de notre système judicaire qui a été mis à mal par la loi Sapin. À l’époque personne ne s’en est ému.
L’exécution provisoire constitue un instrument puissant pour écarter les élus ayant gravement violé les principes démocratiques. En suspendant temporairement les condamnés de leurs fonctions, elle permet de prévenir tout risque de récidive. Le tribunal s’est conformé à une disposition de la loi dite « Sapin II », votée en 2016 mais entrée en vigueur le 11 décembre 2017. Celle-ci imprégnée par l’affaire Cahuzac (alors en passe d’être jugée) prévoit que tout élu condamné pour détournement de fonds publics soit automatiquement déclaré inéligible pour une durée de cinq ans. Remarquons que le tribunal avait le pouvoir d’aller en dessous des 5 ans. Remarquons encore que Mme Le Pen a voté cette loi Sapin en la défendant même. Il y a parfois des actes dont on peut se mordre les doigts quelques temps après !
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… sans se soucier d’une décision du Conseil Constitutionnel (Décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025).
Notre collègue Mathieu Carpentier estime : « À titre personnel, je pensais peu probable que le tribunal retienne cette exécution provisoire, même si elle n’est pas aberrante ». Peut-être pas aberrante mais en tout état de cause discordante avec une décision du Conseil Constitutionnel. Et là c’est beaucoup plus problématique. Le 28 mars dernier, les Sages ont d’abord estimé que l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité servait à « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et à restaurer la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles (ndlr : les dispositions contestées) mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. ». Nous sommes de ceux qui ne voient pas véritablement ce que l’ordre public vient voir en l’espèce. En effet, l’ordre public désigne quelque chose de très précis. D’abord un objectif de sécurité, de salubrité et de tranquillité publiques que les diverses autorités publiques, législatives, judiciaires et administratives s’efforcent d’atteindre. Il s’avère que le Conseil constitutionnel n’a jamais défini ce qu’il entendait par ordre public. Ce qui est tout de même fâcheux pour le principal défenseur de la Constitution, de nos droits et de nos libertés ! Mais, à la lecture de certaines de ses décisions, il est facile de comprendre ce à quoi il fait référence. Il s’agit en fait d’une notion que tout le monde comprend sans qu’il soit besoin de lui donner une définition précise. Il est cependant possible de dire que la définition donnée de l’ordre public par le Conseil constitutionnel est très proche de celle utilisée en droit administratif français depuis plus de deux siècles. Dès lors elle recouvre “le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique”. Bien peu à voir, il faut en convenir, avec le domaine électoral. En quoi Mme Le Pen pourrait- elle porter atteinte à cette célèbre trilogie bien connue des Facultés de Droit ? Elle est plutôt assez inflexible sur ces points. Ce qui a d’ailleurs l’heur de séduire un certain nombre de millions d’électeurs. Et d’en effrayer d’autres. D’ailleurs où se situent les magistrats qui ont jugé la leader frontiste ? C’est une question intéressante dont la réponse, au risque de choquer, n’est pas si évidente que cela.
Dans cette même décision il est énoncé : « par une réserve d’interprétation, le Conseil juge que, sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Ce qui est capital à retenir ici c’est cette dernière phrase. On a « caractère proportionné de l’atteinte » mais surtout à notre sens « préservation de la liberté de l’électeur ». Il apparait clairement que le droit d’éligibilité est d’abord garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : la Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Nonobstant les fautes commises en l’espèce mais aussi le rejet qu’elle suscite chez un grand nombre de magistrats (rappelons celle qui avait dit son mal au ventre de ne pas poursuivre un élu frontiste…), cet article s’applique aussi à Mme Le Pen. La priver de ce droit par une exécution provisoire disproportionnée, c’est priver aussi les électeurs du droit de voter pour elle C’est les priver du droit de participer, par le vote, à la formation de la volonté générale. Un président de la République est le premier maillon de ladite volonté. Et les quelques 12 millions de personnes qui ont déjà voté Marine Le Pen et voulaient rééditer, sont victimes d’une atteinte à leur libre expression. Face à une telle décision judiciaire qui condamne, ni plus ni moins, une candidate favorite des sondages à ne pas se présenter à l’élection majeure de notre système politique, on est en droit minimal de s’interroger.
Par son jugement le Tribunal Judiciaire de Paris a selon nous méconnu un jugement (même sous couvert d’un réserve d’interprétation qui a la même valeur que les autres arguments) du Conseil.
Or rappelons que selon l’art. 62 C ses décisions « s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». Un juge judiciaire n’a pas à s’affranchir ainsi de la plus haute juridiction française. C’est de l’abus de pouvoir caractérisé. Il appartient dorénavant aux juristes de Mme Le Pen de s’emparer du dossier de l’appel, bien entendu. Mais surtout d’interroger les Sages sur une éventuelle atteinte à l’état de droit qui se résume par une violation de l’art 62 C. Donc de la Constitution.
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités.