Pilhan disait « il faut nettoyer l’image ». Le décès de Jean-Marie Le Pen vient combler les tampons à craie de cette époque si récente où le tableau noir avait des exigences de rythme, de retenue, d’une volonté pédagogique d’être compris ou, parfois, d’une trahison des émotions qui envahissaient le scribe. Car, quand même, un tableau noir ça se respecte – ça a ses codes, son imaginaire, sa symbolique – alors nettoyer c’était effacer mais il restait un « quelque chose » dans ces volutes de craie, une odeur comme poudre de maquillage de « vieilles personnes » loin des parfums artificiels de nos boutiques et appartements. On ne triche pas avec le tableau noir, la craie et la mémoire.
Avec la mort de Le Pen, la caste médiatique a, magnanime, permis un saut moderne de langage. D’une éponge miracle, elle vient de produire le grand effacement. On a nettoyé la place, effacé les scories dans une nouvelle version de soft power du grand remplacement.
Avec l’effacement des restes crayeux d’un personnage politique qu’il appartient à chacun de juger, on en est venu à l’image nettoyée que recherche tous les spins doctors. C’est l’héritage impeccable de la fille appliquée qui cherchait depuis si longtemps à dédiaboliser un « esprit de famille » qui collait à ses baskets de course.
Le RN s’enfonçait dans des ambiguïtés dommageables pour lui entre sa place imaginaire et sa volonté, sans doute à contre-emploi, de se crédibiliser comme les législatives en ont fait la démonstration. L’image s’embrouillait entre des rêves artificiels et cette curieuse attitude de faire jouer la démocratie au chantage du jeu pervers du chat et de la souris. Et voila le legs parachuté par un ex-parachutiste – le grand effacement.
Dans une compétition effrénée à la bonne conscience et à des règles minimales de la courtoisie élémentaire nos chroniqueurs avertis eurent tôt fait de sentir le « coup gagnant ». Les moins duplices en appelaient au respect des morts, les plus a-crocs en profitaient pour souligner avec insistance que Marine avait rompu avec tous ces anathèmes qui entachaient les obsèques paternelles.
D’habitude on tente de ressusciter les morts et voilà qu’on vitaminait aux meilleures pharmacopées les plus allants des vivants politiques. En quelques heures le RN vient de profiter d’un formidable plan com’. Est-ce que cela suffira pour remettre tous les compteurs démocratiques à zéro ? A l’heure de Musk et de ses acolytes qui viennent « braquer » l’Europe du haut de leurs algorithmes et de leur puissance financière, il ne faudrait pas que notre système médiatique ne s’adapte avec opportunisme à des temps à venir où la démocratie aura besoin de tout son héritage des tableaux noirs et de la craie.
Pierre Larrouy
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