Deux députés de la France insoumise viennent de s’illustrer, le premier en refusant de s’excuser d’avoir paradé, ceint de son écharpe, posant fièrement le pied sur un ballon où étaient collées des photos du Président de la République et du ministre du travail ; le second en traitant d’imposteur et d’assassin ce même ministre du Travail, ancien benjamin de l’Assemblée nationale en 2007.
Soyons sûrs que, dans l’Institut La Boétie que vient de créer Jean-Luc Mélenchon, ces parlementaires seront des instructeurs pour les futurs cadres de la France insoumise. Après l’ISSEP d’extrême-droite créé à Lyon par la future vice-présidente du parti Reconquête, voici donc l’extrême-gauche décidée à inculquer des mots d’ordre à ses futurs responsables et à leur rappeler comment faire le buzz avec des injures publiques.
Puisque nous voici revenus à une atmosphère de guerre froide, il faut se souvenir des leçons que la nomenklatura communiste martelait à ses jeunes députées. Au soir de sa vie, l’ancienne déportée et députée Raymonde Nédelec-Tillon (1915-2016) eut le courage de laisser publier quelques fragments de ses notes de cours parce qu’ils témoignaient d’une époque qu’elle espérait révolue. Puisque le sectarisme est de retour et que certains choisissent d’injurier plutôt que de débattre ou affichent leur superbe en refusant de serrer la main de leurs adversaires politiques en qui ils voient des ennemis, il convient de relire quelques édifiants préceptes d’autrefois (*).
Charles-Louis Foulon
Historien, auteur de la notice Raymonde TILLON publiée par l’Encyclopaedia Universalis
(*) Extraits des huit cours qui constituent l’annexe 1 des souvenirs de Raymonde Tillon publiés en 2002 par les éditions du Félin, sous le titre J’écris ton nom, Liberté.
Cahiers de notes prises dans les cours organisés par le parti communiste
J’avais oublié l’existence de la vingtaine de petits cahiers d’écoliers remplis, au crayon ou à l’encre, dans les quelques sessions de formation auxquelles je fus convoquée par la direction du PCF.
Cours généraux, cours spéciaux, cahiers de textes expliqués et de travail pratique témoignent d’un souci légitime du Parti d’avoir des élus mieux formés. Comme la plupart de mes camarades, je n’avais en effet pas eu la chance de faire de longues études et les heures passées en prison à étudier l’histoire, la géographie, la littérature et les sciences ne pouvaient les remplacer.
J’ai d’abord considéré que de brefs extraits de mes notes n’avaient pas de place dans ce livre de souvenirs car je suis convaincue que mes instructeurs de l’époque n’ont pas marqué durablement ma vie.
J’ai fini par admettre les arguments de Charles-Louis Foulon : ces cahiers témoignent bien de leur temps, de la logique dans laquelle les responsables du PC voulaient entraîner leurs élus et leurs cadres.
J’étais encore députée des Bouches-du-Rhône quand on me rapporta le propos d’un de mes camarades, qui pendant un an avait suivi l’école du parti soviétique : « Maintenant, Raymonde plafonne et n’ira pas plus loin ! » Dès que je le vis, je lui dis qu’il pouvait prendre mes fonctions si cela lui chantait car je voulais garder mon libre arbitre et mon franc-parler.
Raymonde TILLON
« Le Parti et l’action des communistes au Parlement 1 »
extrait du cours n° 5 d’André Marty
1 – Position de principe
1°) Bien se pénétrer de notre doctrine pour faire un bon travail au Parlement.
2°) L’action parlementaire communiste : elle doit être totalement subordonnée aux buts et aux tâches de la lutte de masse extraparlementaire2.
2 – Définition du Parti
Le Parti : fusion du socialisme scientifique avec le mouvement ouvrier.
a) Rassemblement des éléments ouvriers les plus conséquents. Il faut qu’il soit fécondé par la science marxiste-léniniste.
b) Autres conceptions du Parti.
1°) PS. Appareil électoral et appendice du groupe socialiste, voué à la paralysie et à la décomposition à chaque période de grands combats, guerres, révolutions.
2°) Partis fascistes (ni nationaux ni socialistes).
La haine du peuple français pour le fascisme oblige les éléments fascistes à se camoufler dans un MRP en réalité à tendance néo-fasciste.
PRL et les hitléro-trotskistes3.
3°) Le seul outil qui peut mener à la libération du peuple : le PC.
Stage d’étude de janvier 1947
extrait du deuxième cours d’Étienne Fajon sur « L’État »
C) Le problème des voies nouvelles de la marche au socialisme.
En France, le socialisme suivra une voie bien à lui.
6 raisons pour voies différentes :
1) Le développement de chaque pays est conditionné en partie par les particularités politiques, sociales, économiques et le rapport des forces.
2) Elle ne dépend pas seulement du pays où l’on se trouve, mais des conditions générales.
3) Par elle-même la victoire de la révolution socialiste sur 1/6e du globe n’est pas la même que celle qui se fera dans les autres pays.
4) La victoire sur le fascisme a abouti à de profondes modifications : élimination des trusts dans l’Europe centrale, essor des peuples coloniaux vers la Liberté.
5) En France le rapport des forces n’est pas le même aujourd’hui qu’il y a 20 ou 25 ans.
6) […] les peuples ont trouvé d’autres moyens pour rassembler les masses populaires.
III. – Les communistes et le Parlement
A) Importance de l’action parlementaire communiste (dans le cadre des limites de cette action)
1°) la traduction du mouvement de masse dans les lois
2°) la tribune parlementaire
3°) le développement de la conscience de classe
4°) la contribution à la formation des cadres
5°) en période illégale une dernière activité légale
B) Écueil à éviter : opportunisme « crétinisme parlementaire »
C) L’action parlementaire est efficace si appuyée par action de masse (écueil gauchiste : le mépris anarchiste du Parlement)
« Les femmes dans la vie économique, sociale et politique en France »
extraits du cours n° 1 de Rose Guérin, du 2 avril 1949
[Il faut] dénoncer la démagogie de la formule de « la femme au foyer ». Dans les assemblées élues, il y a 38 femmes députés dont 27 communistes
3°) Orientation de la politique sociale des organisations réactionnaires
– substituer des revendications « familiales» aux revendications ouvrières pour le retour au foyer (CFTC)
– lutte contre la sécurité sociale et développement des œuvres de «charité » pour mettre les femmes sous la coupe de l’Église ou des organisations confessionnelles
– les aides-familiales cherchent à faire échec aux organismes collectifs qui permettent aux femmes de travailler même avec des enfants
B) Le rôle des partis dans ces efforts de réaction
1°) Parti Socialiste (SFIO)
Phrases révolutionnaires pour masquer la trahison des chefs socialistes. Ils sont un grand soutien du régime capitaliste. Ils sont pour un « gouvernement mondial » et ainsi dénaturent, caricaturent les buts de la société socialiste.
2°) Parti Radical
De tout temps contre les droits des femmes.
3°) MRP
Politique démagogique et réactionnaire en faveur de la femme au foyer. Ses organisations : celles influencées par l’Église.
4°) RPF
Parti fasciste qui se caractérise par le mépris de la femme et la démagogie sociale.
Aucun mouvement féminin constitué.
Ne jamais confondre les femmes influencées ou organisées par ces mouvements avec les dirigeants.
« Les femmes et la paix »
extraits du cours n° 2 de Marie-Claude Vaillant-Couturier
IX.-Tâches des Communistes
– Dénoncer et montrer les effets du plan Marshall
Lutte contre les crédits militaires
Lutte contre la guerre du Vietnam
Populariser les pertes
Empêcher les contingents de jeunes de partir
Soutenir les propositions soviétiques
Démolir les mensonges de la propagande radio-presse
« Les conditions de la libération de la Femme »
extraits du cours n° 7 de Chaintron, du 19 avril 1949
III. – Positions et tâches des Communistes
1°) Sans perdre de vue le but final,
la femme communiste doit être une femme comme les autres. Elle est sans esprit de supériorité, d’étroitesse ou de mépris pour toutes celles qui ne voient pas la cause de l’infériorité féminine.
Leur devoir : la femme communiste est impardonnable si elle ne participe pas à la lutte de classe des travailleuses. C’est la seule supériorité qu’elle doit avoir sur les autres car elle connaît la cause de l’infériorité des femmes et le remède véritable.
La femme communiste a le cœur et le cerveau ouverts à tout ce que peut ressentir une femme travailleuse, épouse et mère.
« Le Parti »
extraits du cours n° 12 de J. Vermeersch, du 23 avril 1949
Le parti ne doit pas se laisser envahir par les éléments petits-bourgeois ; montés à la direction, ils oublient la notion du parti de la classe ouvrière.
Le parti est le détachement organisé de la classe ouvrière. Nous devons lutter contre la théorie opportuniste de l’« indépendance » et de la « neutralité » des organisations dans le parti.
Veiller à cette faiblesse très grave.
Les éléments opportunistes sont la source du fractionnisme et de toute division du pouvoir dans le Parti.
Il y a beaucoup de mérite à faire son autocritique.
« Le rôle de l’action parlementaire dans le développement du mouvement des masses »
extraits du cours no 3 de Raoul Calas (janvier 1950)
La légalité étouffe les bourgeois.
II – Signification de la participation des Communistes aux assemblées parlementaires bourgeoises.
a) n’est pas une question de principe mais une question de tactique. La participation est un moyen de détruire les illusions parlementaires. La participation s’impose même à la veille de la prise révolutionnaire du pouvoir.
L’efficacité du travail parlementaire dépend du développement du mouvement des masses qui ne se convainquent de la justesse de nos solutions que grâce à leur propre expérience.
V – Comment l’action parlementaire peut aider au développement du mouvement des masses
1°) s’instruire auprès des masses
Moyens : courrier, permanences, compte rendu de mandat, contacts avec les organisations, participer aux manifestations populaires, visites d’usines,
se mêler aux masses
2°) instruire les masses
3°) entraîner les masses à l’action.
« Les bases de la trahison titiste, la vigilance révolutionnaire, l’attitude sur le plan parlementaire»
extrait du cours n° 5 de François Billoux
—–
- Sans date mais probablement du début de 1947. ↩
- On fait remarquer aux élèves que la situation est plus compliquée avec deux cent soixante-dix élus au lieu de dix. ↩
- Dans cette rubrique, A. Marty range le Parti républicain de la liberté, parti de droite dont le principal responsable, Joseph Laniel, sera président du Conseil au début des années cinquante. Il y associe sans doute le groupe trotskiste dont le caractère « gauchiste » a toujours irrité la direction du PCF. ↩