Le 2 mars dans l’émission « C l’hebdo » sur France 5, le député LREM Aurélien Taché compare le voile au serre-tête porté par les catholiques, créant une vague de réactions et d’indignation de la quasi totalité de la classe politique. Explications de Christophe Bellon, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université catholique de Lille, vice-doyen de la Faculté de droit, membre correspondant du Centre d’histoire de Sciences Po Paris.
Les faits sont connus. Un député du parti présidentiel, Aurélien Taché, a exprimé samedi 2 mars sur France 5 une opinion critiquée à la presque unanimité de la classe politique, en comparant le foulard porté par les musulmanes au serre-tête arboré par les catholiques. Dans l’esprit du parlementaire zélé, poussé dans ses retranchements par une journaliste reconnue pour son combat contre le voile et son asservissement, l’image de l’utilisation d’un serre-tête est mise en avant, maladroitement, dans le but de défendre le port du voile.
Certes, ce député à l’indépendance bien plus marquée que ses collègues LREM du Palais-Bourbon, s’est excusé presque aussitôt. Mais les faits sont têtus.
On ne s’exprime pas sur n’importe quel sujet, de n’importe quelle manière.
En tout cas sans habileté. Ce que lui a rappelé le bureau exécutif de son parti, dès lundi 4 mars au soir, comme le président de la République, le lendemain, alors qu’il présentait sa Lettre aux Européens et aurait voulu le faire dans un climat politique le plus serein possible.
Porté par ses prises de position singulières, Aurélien Taché venait quelques jours plus tôt de défendre la commercialisation par l’enseigne sportive Décathlon du « hidjab de running », là aussi seul et à l’écart de la majorité de ses amis parlementaires, quelques heures avant que le vêtement incriminé ne soit retiré de la vente.
Les propos d’Aurélien Taché sont-ils si isolés et relèvent-ils de la seule maladresse verbale ? Non.
Ils reflètent un courant de pensée, issu de l’anticléricalisme militant qui trouve ses origines au XIXe siècle, et qui alimenta la frange la plus ardente de la libre-pensée avant, autour et après 1905.
Celle qui défendit bec et ongles, en 1896, le député Philippe Grenier, converti à l’islam et siégeant en gandoura dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. Motif ? On n’interdisait pas, aux abbés-députés (catholiques) Jules Lemire et Hippolyte Gayraud, de siéger en soutane. Concordance des temps significative, qui illustre qu’en de telles matières, le présent vient de loin.
On trouva les mêmes clivages, lorsqu’à l’été 2010, le Parlement délibéra sur le texte relatif à la dissimulation intégrale du visage, devenu depuis son adoption « la loi sur la Burqa ». Au nom de la liberté de conscience, rejetant l’argument qui finalement triompha – celui du respect de l’ordre public – quelques parlementaires et intellectuels prirent position fermement contre une loi conduisant à une telle prohibition. Alors, où se situe le juste-milieu, et comment expliquer qu’Aurélien Taché s’est trouvé bien seul dans cette affaire ?
La loi de 1905, instaurant le principe de séparation des Eglises et de l’Etat, a donné à la France un régime laïc tolérant, libéral, véritable remède à la « fièvre hexagonale » : la tradition française était née, autour d’une laïcité équilibrée, contrebalançant le respect de la liberté de conscience d’une part, et la garantie républicaine du libre exercice du culte d’autre part. Aujourd’hui, cette tradition perdure. La République la revendique. Mais les attentats djihadistes de 2015 ont renforcé la priorité que l’Etat donne au respect de l’ordre public.
Quand Emmanuel Macron parle de laïcité, il s’inscrit toujours comme un héritier de 1905 et d’Aristide Briand, mais dans le même temps, il veut réformer la Séparation au motif de l’encadrement de l’islam !
Ce qui, un peu malgré lui et « en même temps », le fait se rapprocher d’une laïcité plus orthodoxe, intransigeante, celle qui préfère interdire toutes références à la religion plutôt que de les faire vivre ensemble.
La laïcité militante ne se reconnaît plus vraiment dans ces deux cultures. Déboussolée, privée de relais forts dans les milieux politiques, elle hésite à prendre position. Aurélien Taché, qui a tenté d’en être son porte-parole, l’a appris à ses dépens. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ».
Christophe Bellon
Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université catholique de Lille
Vice-Doyen de la faculté de droit
Membre correspondant du Centre d’histoire de Sciences Po Paris
Christophe Bellon est l’auteur de :
« France laïque, fille de compromis, revue Etudes, n°4257, février 2019
Aristide Briand, CNRS Editions, Paris, 2016
La République apaisée, Cerf, Paris, 2 tomes, 2015, réédition en 2016
De l’indignation à l’engagement. Foi et politique, en collaboration avec Jacques Barrot, Cerf, Paris, 2012