Un autre ami de la Revue, le prix Goncourt 2024, Kamel Daoud est lui aussi victime de l’acharnement politico-judiciaire des hiérarques algériens. Deux mandats d’arrêts internationaux fondés sur des mobiles exclusivement politiques lui ont été notifiés la semaine dernière par une justice aux ordres du pouvoir. Plus généralement, le pouvoir d’Alger parait s’être engagé dans une spirale de radicalité toujours plus préoccupante. La révélation de la tentative d’enlèvement d’un influenceur et opposant sur le sol français, opéré manifestement à partir de l’Ambassade d’Algérie à Paris, constitue de facto un événement d’une gravité exceptionnelle. Tout laisse à penser que l’objectif des commanditaires était d’éliminer leur cible, mais qu’au dernier moment pour une raison à ce stade encore indéterminée ils aient renoncé à cette funeste intention.
L’aggravation de la crise diplomatique qui s’en est suivie avec des renvois réciproques d’agents des deux pays témoigne, s’il le fallait, de cette montée en tensions. Mais celle-ci est unilatérale : elle résulte exclusivement de la volonté de durcissement algérien après notamment la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Encore faut-il apprécier cette situation non pas comme une rupture dans la dominante des rapports franco-algériens qui n’ont jamais été empreints de fluidité, encore moins de cordialité mais comme une crise d’une intensité supérieure dans une inextricable conflictualité vieille de plusieurs décennies. La séquestration de Boualem Sansal s’inscrit néanmoins dans un moment paroxystique, rarement atteint depuis 1962 et l’indépendance.
Le plus inquiétant dans cet enchaînement n’est pas tant l’attitude des dirigeants d’Alger qui dans l’usage du ressentiment anti-français puise la légitimation et la cohésion de leur assise mais la tétanie des gouvernants français, à commencer par celle du Président de la République. Alger décuple son hostilité, la déploie, l’exacerbe sans rencontrer de résistance. Alger en fin de compte dicte son agenda. Le rêve ubuesque de Tebboune est d’empêcher les soutiens de Sansal de s’exprimer, y compris en France, escomptant ainsi enterrer vivant son captif, histoire de faire un exemple qu’on ne défie pas impunément l’ombrageux régime algérois. A ce jeu il trouve en France tout le parti de l’accommodement prêt à accepter cette injonction implicite pour lequel la meilleure manière de défendre Sansal serait de ne pas en … parler.
Le piège de haut machiavélisme est d’autant plus efficient qu’il témoigne d’une soumission inquiétante au pays de Voltaire. Il dit toute la difficulté de ceux qui se battent pour la libération de Boualem, car ils sont sommés, le devoir oblige, de se battre sur deux fronts, tant celui de l’oligarchie qui domine à Alger que celui qui en France prétend que le silence est le meilleur ami du dissident incarcéré. Grave erreur politique et morale : politique car un Etat à vocation autoritaire ne respecte que l’autorité et la fermeté, ne lisant le monde qu’à travers la grammaire brutale du rapport de forces; morale car à l’inefficacité du procédé dicté par l’extérieur se greffe l’abdication de nos valeurs dès lors que l’on tait son indignation face à l’arbitraire. En ne citant pas tout dernièrement une seule fois Boualem Sansal durant ses trois heures d’émission, Emmanuel Macron aura donné ainsi un gage inutile aux geôliers d’Alger qui n’y verront qu’un signe supplémentaire de la faiblesse française et un encouragement à ne rien céder à notre exigence de libération d’un homme âgé et malade. Pour notre part contre vents et marées, nous ne cesserons pas de dire haut et fort qu’il ne faut pas cesser de parler et de mobiliser autour de notre ami emprisonné car sa prison est celle de nos valeurs et de notre humanité…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université