L’été en pente douce ne peut dissimuler l’essentiel. Les mois à venir regorgent d’une grande imprévisibilité qui bien entendu ne manquera pas d’impacter les scènes nationales, à commencer par la France qui n’est pas la moins exposée sur l’ample échelle des risques à venir…
Jamais peut-être depuis le début de la guerre froide le monde n’a été aussi incertain. C’est une prégnante atmosphère de menaces qui plane au-dessus d’une dramaturgie internationale dont on a saisi, depuis le démarrage des hostilités en Ukraine, qu’elle nous avait fait basculer dans un autre univers. L’ordre Occidental, qui avait triomphé après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, non seulement ne va plus de soi mais apparaît lui-même travaillé par des contradictions qui ne garantissent même plus la légitimité morale qui, nonobstant la realpolitik à laquelle il ne manquait pas aussi en son temps de recourir, en faisait néanmoins une vigie à peu près crédible dans son incarnation des valeurs démocratiques.
L’Occident d’aujourd’hui n’est plus tout à fait celui qui s’opposa aux totalitarismes, il s’est lui-même dégradé, pris en étau entre les intérêts impériaux des Etats-Unis et une Union européenne qui, loin de constituer cet espace libéral qu’elle prétend être, s’en détourne en disjoignant toujours plus son fonctionnement du consentement de ses peuples. Comprenons : la force de l’Occident était d’abord morale, cette force s’est émoussée à proportion que les dirigeants occidentaux ont cru que leur modèle était irréversible, qu’ils pouvaient l’exporter dans des aventures douteuses tels l’Irak ou la Libye entre autres, que les motifs de ces dernières n’étaient pas pour autant dénués d’arrière-pensées moins nobles et parfois plus cyniques et qu’ils sont à l’intérieur même de leurs états, principalement en Europe, pris plus qu’à leur tour en défaut sur les enjeux de souveraineté mais également de liberté, comme l’a montré sur ce plan entre autres la gestion discutable de la crise sanitaire, ou comme l’illustrent également des pratiques gouvernementales qui ne sont pas sans rappeler des esquisses de despotisme se voulant éclairé.
L’Ouest n’est plus tout à fait cette « région de l’esprit » dont parlait en son temps le poète Archibald MacLeish. La psyché de l’Occident est en crise.
Cette perte de substance morale, qui portait le combat victorieux des Occidentaux contre les tyrannies totalitaires, offre des courants porteurs aux autres grandes puissances et nations qui n’entendent pas forcément s’acculturer à la pax occidentale, dont les conceptions liquides ne sont pas nécessairement partagées sur toutes les cases de l’échiquier planétaire. L’Occident non seulement n’en impose plus, y compris économiquement, mais sa vision des choses ne fait plus rêver. De la Russie à la Chine et à l’Inde, en passant par le continent africain et l’Amérique du Sud, l’évidence n’est plus occidentale, si tant est qu’elle le fut un jour, mais sans doute l’est elle encore moins aujourd’hui qu’elle s’est abîmée moralement. Le sens de l’histoire est une chimère et les occidentaux, pour avoir justement résisté aux eschatologies sanguinaires du XXème siècle, ne devraient point l’ignorer, eux qui désormais paraissent adhérer au plus haut de leurs élites à une conception quasi messianique de leur rôle dans la marche de l’humanité.
De Paris à Washington en passant par Bruxelles ou Bonn, le retour des tensions guerrières en Ukraine aujourd’hui, peut-être demain en mer de Chine, est lu comme une réplique des affrontements du siècle dernier. Tragique erreur qui ne résoudra pas le sort tragique à l’Est, pas plus qu’il ne préviendra ce qui pourrait advenir en Asie. L’histoire ne se répète jamais, elle est toujours irréductible. C’est son seul enseignement… et le plus important. Et ce qui vient n’est pas ce qui s’est déjà passé. L’ignorer revient à gouverner l’œil dans le rétroviseur sans intelligibilité du monde présent…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne