La bataille de l’abrogation a commencé. De l’abrogation de la loi retraite s’entend. En quelques jours la tension est montée, cristallisant un moment parlementaire qui dépasse largement le seul problème des retraites.
L’enjeu est double car il concerne deux fondamentaux de la République : non seulement la justice sociale à laquelle les Français demeurent fortement attachés mais aussi et peut-être avant tout la démocratie. L’idée qui infuse depuis trop longtemps parmi nombre de responsables est de considérer mezzo voce que la démocratie est une variable d’ajustement aux pré-requis de la mondialisation. Alors qu’à l’Assemblée nationale, le groupe LIOT, « Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires » s’apprête à défendre une proposition de loi visant à abroger ce que l’usage du 49-3 a permis d’adopter voici tout juste un mois au Parlement, l’exécutif se cabre dans une inquiétante figure de crispation qui trahit pour le moins une évidente fébrilité.
Confronté au risque non nul d’un vote qui tournerait à son désavantage, le pouvoir entend d’une manière ou d’une autre empêcher la représentation nationale de délibérer.
Un jour la Première ministre au mépris des convenances institutionnelles les plus élémentaires peut affirmer sans coup férir que l’initiative de LIOT est « anticonstitutionnelle », un autre une secrétaire d’Etat en roue libre n’hésite pas à professer que tout sera fait pour éviter ce débat là… Jusqu’à présent la présidente de l’Assemblée nationale, quant à elle, avait de son côté montré une réserve scrupuleuse à ne pas entraver les droits légitimes de l’Assemblée. Il semblerait que, sous la pression de son propre camp, elle soit en passe de se rallier au diktat de l’Elysée et de Matignon qui ne veulent en aucun cas entendre parler de la démarche du groupe LIOT dont ils supputent à raison que si elle atteignait son objectif elle validerait le diagnostic opéré par nombre d’acteurs et d’observateurs sur l’état de crise de nos institutions. En effet comment nier celui-ci si après l’opposition des syndicats, celle massive et inscrite dans la durée de l’opinion, l’Assemblée nationale en venait à s’exprimer majoritairement en faveur d’un texte détricotant ce qui est présenté comme l’une des matrices réformistes du macronisme en saison 2 ? Quand bien même la portée juridique resterait contenue, la symbolique politique n’en demeurerait pas moins corrosive.
C’est manifestement ce que veut s’épargner l’exécutif en incitant la présidente de l’Assemblée à déclencher subrepticement l’article 40 de la Constitution en excipant l’irrecevabilité financière du dispositif législatif proposée par les députés de LIOT.
Outre que Madame Braun-Pivet en viendrait à se dédire, et à passer à côté de l’exigence de sa fonction, la manœuvre pourrait renforcer la perception d’un pouvoir qui se raidit toujours plus et ce faisant paraît désormais comme épouvanté par l’extrême fragilité de sa base parlementaire. Pendant la crise démocratique, la crise politique s’accélère, la seconde renforçant inévitablement la première.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne