Le Président de la République, au nom de la France, vient de signer à Paris un accord de sécurité avec l’Ukraine tout en décidant l’octroi d’une aide supplémentaire de 3 milliards d’euros à cette dernière. A cette initiative il faut également ajouter les conclusions de la Conférence sur la sécurité de Munich qui installent l’idée d’une défense européenne plus intégrée et surajouter les propos récents du Chef de l’Etat en Suède, le 31 janvier dernier, professant la nécessité de mettre au service de l’Europe la capacité de dissuasion française. Dans une déclaration commune deux anciens ministres socialistes, Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine, rappellent avec bon sens que le contexte géopolitique dans lequel nous agissons désormais suppose que des initiatives aussi structurantes pour l’avenir de l’Europe et de la France fassent l’objet d’une information et d’un débat au Parlement. C’est le moins que l’on puisse attendre…
Parallèlement, alors que confronté à la nécessité de revoir ses perspectives de croissance à la baisse, l’exécutif, via son ministre de l’Economie Bruno Le Maire, annonce devoir opérer 10 milliards d’économies dans plusieurs ministères dont ceux de l’Education nationale et de la Recherche. Alors qu’en bonne logique institutionnelle il eut été préférable de présenter devant la représentation nationale un collectif budgétaire, le gouvernement décide de procéder par décret. Sans majorité à l’Assemblée et au Sénat, face au risque du dépôt d’une motion de censure, le choix est fait là aussi de contourner le Parlement.
Ces deux épisodes de nature différente certes mais de forme commune dans ce qu’ils disent de la relation de l’exécutif au législatif traduisent dans le fond une situation préoccupante : un exercice solitaire de la conduite de l’Etat d’un côté et un empêchement du pouvoir de l’autre, les deux nourrissant un évitement du Parlement profondément regrettable au moment où tant à l’international que sur la scène hexagonale les menaces s’amoncellent : intensification de la guerre et de la conflictualité plus généralement en Europe et ailleurs, retournement manifeste de la situation économique avec des conséquences qui sur le plan social ainsi que sur celui des finances publiques sont porteuses de germes politiquement très fortement déstabilisateurs.
L’enfermement dans un exercice isolé et contraint du pouvoir est de ce point de vue une option périlleuse au moment même où des foyers multiples de contestation tendent à se propager dans divers points de la société.
En se coupant du Parlement, là où partout dans les autres démocraties occidentales celui-ci est amené à délibérer dès lors que l’exécutif procède à des décisions aussi fondamentales qu’un soutien stratégique à un pays allié en guerre ou qu’à une réorientation budgétaire en raison d’un violent retournement de conjoncture économique, le Chef de l’Etat à mesure qu’il personnalise toujours plus son exercice du pouvoir en avoue sa faiblesse grandissante. Une situation intenable alors que nous sommes qu’en début de mandat et qui sans respiration démocratique entraîne le pays vers de nouvelles tensions qui pourraient s’exprimer en dehors de tout cadre institutionnel. A plus de trois ans de la fin du quinquennat, cette pratique là est dangereuse, d’autant plus qu’elle se double parfois de déclarations et d’initiatives erratiques qui suscitent le sentiment d’une perte de contrôle, voire de discernement sur l’état réel du pays. Le traitement pour le moins incertain de la crise agricole en témoigne. Ainsi inviter pour débattre avec les agriculteurs une association que l’on voulait dissoudre, « Les Soulèvements de la Terre » pour ensuite renoncer à cette invitation ne peut qu’alimenter ce sentiment que décidément il y a aujourd’hui quelque chose de profondément déréglé dans le fonctionnement du pouvoir. Persister dans cette gouvernance au fil de l’eau conduit inévitablement le pays vers des lendemains incertains.
D’où la nécessité impérieuse de remettre le Parlement au centre du jeu, quand bien même celui-ci s’avère un parlement contraignant pour l’exécutif. C’est au demeurant cette contrainte que les Français ont voulu imposer au Président.
Un homme qui gouverne seul affaiblit les institutions et ce faisant fragilise le pays tout entier. Il est plus que temps d’en revenir, avant qu’il ne soit trop tard, à un usage institutionnel plus conforme à l’esprit d’une démocratie libérale et d’en finir avec ce qui s’apparente à une dérive aussi personnelle qu’imprudente.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne