L’Histoire nous dira si ce qui se passe aux Etats-Unis est “importable” en France, mais la manifestation non-autorisée qui s’est déroulée le 2 juin devant le Palais de justice de Paris révèle les lignes d’affrontements qui ne cessent de s’exprimer au sein de la société française.
Parmi celles-ci, la relation à l’institution policière condense toutes les caricatures que d’aucuns souhaitent exacerber à des fins dont le caractère politique ne saurait échapper qu’aux partisans de l’irénisme sociétal à tout crin. La critique de la police est saine démocratiquement ; elle est même nécessaire, à condition de ne pas verser dans les amalgames mortifères ; elle devient malsaine lorsque la généralisation l’emporte et qu’elle sert de leviers à d’autres buts que ceux d’une volonté d’amélioration du lien entre le citoyen et le policier. C’est bel et bien à cette situation que nous sommes désormais confrontés. Encore faut-il comprendre les raisons pour lesquelles les pouvoirs publics ont livré autant d’armes à des groupements qui à travers leur dénonciation de la police ne visent qu’au fond à déstabiliser une certaine conception du modèle républicain.
La relation de l’institution policière à la société constitue le lieu vivant, fragile aussi de notre propre consentement à l’ordre et à la sécurité. S’attaquer à ce lien c’est forcément aller plus loin que la simple critique du fonctionnement d’un corps régalien de l’Etat. C’est mettre le doigt sur les seules figures de l’injustice et de l’arbitraire comme perception de l’ordre public. Force est de constater que pour une partie de l’opinion le rapport police/société s’est manifestement dégradé. Et c’est de ce sentiment de dégradation qu’use et abuse les contempteurs des professionnels de l’ordre public qui poursuivent de la sorte un objectif à peine dissimulé de subversion.
En quelques années, les policiers, applaudis lors de la vague d’attentats terroristes, sont devenus la cible d’une remise en question de leur rôle et de leurs méthodes. Un halo de mauvaises impressions enveloppe l’action des forces de police qui sont ainsi l’otage de décisions et d’une communication politiques qui entravent leur acceptation sociale. D’un côté accablée d’un soupçon de racisme et de discriminations, de l’autre suspectée d’être volontairement désarmée face à la délinquance et intraitable avec le “gilet jaune” ou le citoyen-lambda, où que l’on se tourne, la police est d’abord un miroir : elle reflète un malaise, celui des fractures d’un pays, son archipélisation pour reprendre la notion de Jérôme Fourquet.
La République ne fait plus société, ou le fait-elle de moins en moins, chacun y investissant sa propre représentation sociale, communautaire parfois, catégorielle également, dans tous les cas exclusive les unes des autres, comme si les plaques tectoniques de la cité étaient travaillées par un mouvement de dispersion incessant. Le constat vient de loin, mais les décennies accumulées ont sédimenté tant de ressentiments que ces derniers en viennent à devenir le ciment de notre cohabitation, laquelle tourne à la confrontation. Les débats autour de la police et de son usage ne sont de ce point de vue que le symptôme de la perte de contrôle du politique sur une société dont il ne paraît plus apte à définir le destin. Faute de maîtrise, de vision, de dessein c’est la société qui se désagrège et l’Etat avec. Jusqu’où ?
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef