Boîte noire : la réalité du moment politico-institutionnelle que nous traversons est celle d’une « Boîte noire ».
A l’heure où nous écrivons, la France est toujours en attente d’un nouveau Premier ministre. La désignation de celui-ci par le Président de la République dira quelque chose de l’orientation parlementaire du futur gouvernement et de la base politique à partir de laquelle s’en esquissera le périmètre. Tout l’enjeu est d’abord d’éviter de s’exposer à nouveau à courte échéance à une motion de censure, ne serait-ce que parce qu’une répétition de ce qui s’est déroulé voici une semaine certifierait que nous sommes bien entrés en crise, mais cette fois-ci en crise institutionnelle.
Le problème évident du moment est qu’il n’existe aucune option optimale.
Toute solution à laquelle procédera le Chef de l’Etat relèvera inévitablement d’une cote mal taillée : qu’elle demeure dans l’épure de la coalition précédente, et le risque est grand que les mêmes causes produisent les mêmes effets ; qu’elle s’élargisse à une partie de la gauche, fracturant pour la circonstance le Nouveau Front populaire et la stabilité espérée se payera du prix de l’immobilisme.
Les conjectures multiples et variées qui accompagnent la séquence incertaine dans laquelle nous sommes entrés depuis la dissolution et sans doute même avant butent toujours sur un même mur : la crise est là, forcément démocratique, nécessairement politique et probablement désormais institutionnelle. L’anomie démocratique soufflant de loin, la déshérence politique en résultant, il est mécaniquement inévitable que vienne le temps de la déréliction institutionnelle. Nous y sommes, ou tout presque. L’histoire n’est pas écrite, mais elle dessine de ces réminiscences qui ne sont pas sans rappeler d’autres époques où la République convulsée par des dirigeants sans boussoles ne parvint à se revivifier qu’à condition qu’une sociologie, un événement ou encore plus un homme surgisse au point de détourner le cours d’une catastrophe annoncée. En 1877, « les classes nouvelles » prophétisées par Gambetta finirent sur la durée par installer un régime peu assuré à l’origine de son assise ; en 1958 l’étincelle algéroise créa les conditions d’une rupture dont la forge ramena au pouvoir celui qui 14 années plus tôt avait rétabli déjà la légalité républicaine. On chercherait en vain aujourd’hui l’un de ces trois paramètres susceptibles de remettre sur ses rails un pays qui cumule difficultés budgétaires d’une part, scepticisme, quand ce n’est pas rejet sur la scène internationale d’autre part et au sein même de la nation une épaisse défiance à l’encontre des élites dirigeantes.
A l’épreuve de ces tendances lourdes, les entreprises pour remettre à l’équilibre un système institutionnel profondément grippé n’offrent que des colmatages hypothétiques.
Les jeux politiques, empreints de manœuvres et de calculs, ne manqueront pas d’apparaître à nombre de nos compatriotes comme l’expression d’une agitation peu préoccupée par l’intérêt général mais exclusivement guidée par la volonté de ne rien changer pour sauver quelques parti pris politiciens. La présidence déjà fortement abîmée après sept années de mandat, cela pourrait être au tour du Parlement de se trouver désormais affecté par un mélange de soupçons et de colères. Un double rejet en quelque sorte propice à toutes les aventures… N’est-il pas temps de prendre définitivement au sérieux ce qui se joue sous nos yeux, loin des combinaisons illusoires, et tout autant des lectures obsolètes d’une situation hors de contrôle ?
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à Sorbonne-Université