Il est temps que le Président de la République se déclare. Sa candidature avec laquelle il joue, tel un chat avec une souris, dans un suspens absolument artificiel permettrait de clarifier la ligne de départ et de lancer enfin la compétition électorale qui jusqu’à maintenant obéit à un faux rythme.
La crise sanitaire, dont le chef de l’Etat utilise non sans excès la dramaturgie, est pour beaucoup dans ce stop and go permanent qui innerve la campagne. Pour l’hôte de l’Elysée, la covidisation des esprits est sans doute le meilleur moyen d’enjamber l’obstacle électoral. Hypnotiser l’opinion avec le chiffon épidémique lui permettrait ainsi de faire coup double : s’ériger en protecteur suprême, et centrer le débat public sur l’enjeu sanitaire de manière quasi exclusive, évacuant de la sorte les sujets les plus polarisants susceptibles de servir de levier à la mobilisation d’électorats hostiles mais dont la faible politisation s’accroît d’autant avec la circulation du virus.
La stratégie présidentielle est de recourir au poison du nudge pour imprégner l’atmosphère d’une forme d’indifférence civique ; la Covid est le « MacGuffin » de ce récit. Expliquons-nous : le « MacGuffin » est cet objet-prétexte conceptualisé par Hitchcock pour introduire une histoire, souvent, et en dévider l’écheveau. La Covid justifiera tout : le caractère « exceptionnel » de ce Président à l’épreuve de la tempête, son revirement idéologique de l’Etat-problème, constat implicite de 2017, à l’Etat-solution du « quoiqu’il en coûte » d’aujourd’hui, la surenchère dans la limitation des libertés publiques et l’engrenage troublant qui engage toute une société sous couvert d’urgence sanitaire, les dysfonctionnements pourtant criants de la gestion de la crise mais dont on ne cessera pourtant de dire qu’ils ne sont rien ou presque au regard d’une comparaison internationale – ce qui pourtant reste à démontrer…
Emmanuel Macron a bien évidemment intérêt à prendre son temps avant de descendre définitivement dans l’arène. Il s’évite ainsi une sur-exposition en tant que candidat et se préserve en excipant au quotidien l’armure statutaire du chef de l’Etat. Mais cela n’est pas l’intérêt du pays car ce faisant, il tend à fausser la compétition, à procéder à une confusion des rôles qui ne peut que biaiser les perceptions, en d’autres termes il tord à son profit la concurrence. D’aucuns argueront que d’autres de ces prédécesseurs se sont essayés par le passé à cette sorte d’esquive. C’est un fait historique peu contestable, mais la démocratie alors n’était pas si malade, les institutions moins bousculées, la politique moins vécue comme un théâtre vide, et leur mandat respectif n’avait pas si souvent frôlé l’abîme, comme ce fut le cas entre autres avec le mouvement des Gilets jaunes.
Le Président ne doit plus feinter, il se doit même d’en finir avec le clair-obscur de sa candidature qui ne fait aucun doute. Ce serait plus fair-play et par conséquent plus éthique ; c’est surtout désormais indispensable civiquement pour que les Français aient droit en toute transparence à un débat de fond, équitable et à armes égales, qui permette de parler du bilan, au sortant de le défendre aussi, aux opposants de le critiquer sans se voir opposer la figure de style d’un chef de l’Etat à la tâche jusqu’au bout, au candidat Macron de mettre un terme au soupçon de confusion entre un candidat qui se dissimule derrière le Président et un Président cheval de Troie du candidat. Qu’il se déclare maintenant et sans tergiversations tacticiennes, il le doit aux Français et à la démocratie.
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne