« Légitimité » : le Président du Sénat a jeté le mot pour mieux en dessiner la fragilité dans l’hypothèse d’une reconduction d’Emmanuel Macron à l’Elysée. A ce stade, la perspective de cette réélection est la plus crédible si l’on en croit les divers sondages qui tous convergent vers une projection identique.
Les jeux ne sont sans doute pas faits, tant que physiquement le vote ne s’est pas déroulé et la France dispose d’un corps électoral qui souvent a déjoué les pronostics. Pour autant, les paramètres paraissent néanmoins réunis pour que le sortant soit confirmé : une non-campagne dévorée par l’agenda ukrainien, des oppositions encalminées dans leurs divisions, une indifférence civique qui sert de prime au Président actuel.
La victoire annoncée pour autant n’est pas une garantie pour une démocratie apaisée. Elle reposerait évidemment sur un effet d’optique. Gérard Larcher n’a pas eu tort d’en souligner les risques, même s’il le souligne dans une anticipation discutable. Avant de s’en inquiéter, il faut faire campagne car c’est le temps de la campagne à laquelle le chef de l’Etat se déroberait aux yeux de ses concurrents ; et le temps de cette campagne est aussi indissociable des oppositions à relever le gant de la confrontation, quand bien même le sortant esquiverait le débat par un usage immodéré des circonstances.
C’est une réalité que, depuis des années, la République a accumulé les frustrations, les sentiments de dépossession, les désillusions, les carences de représentation, les détournements de souveraineté. L’élection présidentielle ne clôturera pas, loin s’en faut, la crise de régime et ce quel que soit le vainqueur. Le mandat d’Emmanuel Macron a révélé trois maux essentiels, parmi d’autres : l’accroissement de la défiance citoyenne avec des records d’abstention aux élections locales ; le retour de la violence comme mode de médiation sociale et politique tant avec la crise des Gilets jaunes que plus récemment avec les tensions en Corse mais aussi aux Antilles ; le décalage grandissant entre les élites sociologiques, une grande partie de la classe dirigeante et une grande partie des classes moyennes et populaires.
Tout laisse à penser que le scrutin à venir, dont il convient encore de douter de l’issue, ne serait-ce que dans le but de faire vivre l’hygiène démocratique, n’abolira pas les fractures multiples de la société française, à commencer par celles qui ont rendu, sous les effets des traumas sociaux, sanitaires et géopolitiques, obsolescents des logiciels souvent oligarchiques qui visent encore à se survivre malgré des événements qui les auront démentis et invalidés. La persistance de ce hiatus ou malentendu constituerait par bien des aspects ce défaut de légitimité pointé à juste titre par le Président du Sénat.
Arnaud Benedetti Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne