Le 21 avril 2002, le peuple français élimine le candidat socialiste Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle. Le Front national accède pour la première fois au second tour. Aucune analyse n’est faite de ce résultat, mais des manifestations sont organisées qui ressemblent plus à des expiations collectives qu’à une volonté politique.
Le 29 mai 2005, le peuple français refuse avec la plus grande clarté le Traité constitutionnel européen. Les commentaires médiatiques portent sur l’irresponsabilité des citoyens et la volonté populaire est bafouée par l’adoption de traité de Lisbonne.
En 2017, puis en 2022, le deuxième tour de la présidentielle oppose le candidat de la classe dirigeante à la candidate du Rassemblement national (RN). Une grande union dite « républicaine » permet l’élection d’Emmanuel Macron.
Enfin, la législative voit le président perdre sa majorité absolue et l’arrivée de plus de 90 députés RN sur fond d’abstention massive.
Les mouvements sociaux ou populaires sont étouffés ou réprimés avec brutalité, comme le mouvement des Gilets jaunes.
Chaque signal d’alarme envoyé par les électeurs depuis vingt ans est systématiquement ignoré par la classe dirigeante quand il ne fait pas l’objet de récupération : les partis de gauche tentent de s’approprier le « non » au Traité constitutionnel européen, Macron se présente « contre le système », etc.
Combien faudra-t-il d’années, combien d’élections, pour admettre enfin le rejet de la classe dirigeante par les citoyens français et, plus globalement, celui d’institutions devenues autoritaires, pour voir enfin, comme le dit l’expression populaire, l ’« éléphant au milieu de la cour » ? Les partis politiques – toutes tendances confondues – sont les acteurs d’un théâtre d’ombre qu’ils perpétuent tout en le critiquant, mais rien n’y fait. Les metteurs en scène de ce spectacle ne se remettent en cause à aucun moment. Ils préfèrent juger les citoyens qui « se désintéressaient de la vie politique », qui ne verraient pas le « danger » pour la démocratie, etc.
La vraie réalité de la dernière élection est que pratiquement 58 % des électeurs (en incluant les votes blancs et nuls) ont refusé de participer à la mascarade.
Cet événement fait, au mieux, l’objet d’un silence gêné ou d’une mention convenue avant de passer rapidement à autre chose. Mais, là encore, on va se rejeter la faute les uns sur les autres ou parler de l’irresponsabilité des électeurs, sans se demander sérieusement en quoi ce non-vote exprime profondément une aspiration à autre chose. Quoi ? Mais tout simplement à la démocratie que le système actuel ignore quand il ne la bafoue pas. Le fossé se creuse sans cesse entre les électeurs et leurs « élus ». La légitimité politique devient théorique et artificielle.
Ce n’est pas une crise parmi d’autres : c’est une crise de régime. Ce n’est plus seulement une crise, c’est un drame historique. Ce n’est plus seulement une question d’éthique, c’est notre pays lui-même qui est en cause. Il n’a plus d’existence politique, il devient ridicule aux yeux mêmes de l’étranger.
Comble de l’absurde, ceux-là mêmes qui sont responsables de ce néant, à gauche comme à droite, prétendent le combler et répondre à la désapprobation têtue des citoyens. Ainsi, Macron a-t-il prétendu, avant les élections, vouloir fonder un CNR (Conseil national de la refondation) pour recréer la démocratie et les institutions qui prétendent la fonder. Ainsi il envisagerait une espace de « Gloubi Boulga » constitué par des « experts » et des citoyens tirés au sort. Ainsi, la classe dirigeante, aidée en cela par des figures de la gauche, envisage de recréer la démocratie en discréditant le suffrage universel qu’elle bafoue en permanence.
Beaucoup de responsables politiques s’arrogent le titre de porte-parole du peuple tout en manœuvrant au sein des institutions.
Une telle vision de l’avenir ne peut mener qu’à la décomposition sociale et à l’affrontement. Qu’il y ait une crise de régime, qu’il n’y ait plus de vie politique du fait de nos institutions, mais aussi de fait de la pression autoritaire de l’Union européenne, est aujourd’hui une évidence. Qu’elle soit le symptôme d’un rejet profond dans le corps social français ne peut plus être nié. Il devient donc évident qu’il faut repasser par la case peuple.
L’élection d’une Assemblée constituante dans les plus brefs délais découle naturellement de cette constatation. Elle est la manière d’éviter des conflagrations graves. Elle est la solution pacifique, démocratique et rassembleuse aux drames qui se profilent.
André Bellon
Ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale