La législation française sur les eaux minérales naturelles est très précise, mais elle a un défaut, celle d’être désuète. Établie au XIXe siècle pour garantir une activité thermale de qualité à une frange limitée en nombre de la population française sur un nombre restreint de sites. Elle a permis de sélectionner des eaux parfaitement potables sans aucun traitement dont la composition en minéraux pouvait être associée à des bienfaits thérapeutiques.
Dès le début du XXe siècle, avec leur réputation croissante, ces eaux thermales ont commencé à être expédiées en volumes de plus en plus importants dans de nombreux pays. Telle source du Languedoc, à l’origine d’un thermalisme disparu, acquit peu à peu une réputation internationale avec une production passant de cinq millions de bouteilles par an en 1908 à plus d’un milliard au cours des dernières années, soit deux cent fois plus, en un peu plus d’un siècle ! Il ne s’agit plus d’une consommation limitée autour d’une station thermale, mais d’une consommation de masse dans une économie mondialisée avec des millions de clients pour lesquels un label a souvent si peu de prix. Pour les eaux du massif vosgien, les chiffres sont analogues, le milliard de bouteilles par an est également dépassé. La France, avec plus de cent eaux minérales naturelles, est le premier producteur mondial de ces eaux avec des exportations dans une centaine de pays atteignant le tiers de la production, ce qui n’est pas négligeable pour la balance commerciale de notre pays.
Une production annuelle d’un milliard de litres d’eau minérale naturelle correspond à 2,7 millions de litres par jour et représente, à raison d’un litre et demi par personne, la consommation quotidienne d’une ville de 1,8 million d’habitants. C’est beaucoup pour une seule source ! Avec une pluviométrie annuelle de 700 mm, ce même milliard de litres correspond à l’eau de pluie tombant sur une surface de 1,4 km2, une surface faible au regard des bassins de collecte des nappes phréatiques alimentant ces sources de rang mondial.
Faut-il garder une législation faite initialement pour le thermalisme du XIXe siècle, ou bien accepter que ces eaux à vocation mondiale avec des volumes qui tutoient les limites des filtres géologiques naturels puissent faire l’objet d’un traitement quitte à leur faire perdre leur statut de « naturelles » ?
Il va falloir choisir entre une vision restrictive qui reviendrait à limiter la production de ces eaux pour revenir au « naturel » accessible à une minorité et une évolution autorisant des traitements afin de garantir la qualité de ces eaux pour une consommation à vocation mondiale.
Des traitements de précaution impliquant des filtrations en sortie de source avec des traitements physiques, par exemple en utilisant des ultra-violets capables d’assurer l’absence de toxines, doivent être acceptés afin de garantir une équilibre entre qualité et consommation de masse, en évitant une réduction drastique de la production et un retour à une boisson strictement élitiste. Ces traitements de précaution ne changeront pas les caractéristiques fondamentales de chacune de ces eaux minérales, mais seront une garantie supplémentaire pour le consommateur.
Notre pays doit veiller à garder sa vocation d’exportateurs de liquides de haute qualité, que ce soit des eaux avec des valeurs gustatives différentes, des vins ou des spiritueux. Avec une balance commerciale largement déficitaire, notre pays ne peut pas se permettre de restreindre nos exportations d’eaux minérales, même si celles-ci doivent perdre leur label « naturel » acquis dans les stations thermales de la Belle Époque. C’est un luxe qui n’est plus à la portée de notre pays.
Bernard Meunier
Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de pharmacie.