André Rougé, député français au Parlement européen et délégué national à l’outre-mer du Rassemblement national revient, pour la RPP, sur les ingérences étrangères dans la France des Outremers.
Revue Politique et Parlementaire – Vous avez attiré l’attention dans une tribune récente du Figaro sur les ingérences étrangères en Outremer. Pour vous, ce n’est pas un phénomène marginal ?
André Rougé – Ce n’est absolument pas un phénomène marginal ! Bien au contraire, c’est un des éléments majeurs qui participent à la déstabilisation actuelle des régions et territoires ultramarins. Les ingérences étrangères dans la France des Outremers sont un cancer pour notre souveraineté et la paix civile.
Mais soyons honnêtes, dans la situation présente nous payons aussi beaucoup d’années de désintérêt et de laisser aller des gouvernements successifs vis-à-vis de la France du grand large. La suppression du ministère des Outremers et la succession de sous-ministres fantoches, sans aucun poids dans l’appareil d’État, ont marqué le désintérêt de Paris pour ces territoires. Emmanuel Macron y aura seulement rajouté son mépris à l’égard de cette France ultrapériphérique pour laquelle il n’a aucune empathie ni intérêt. Donc, sans perspective ni politique claire, les régions d’outremer sont parties à vau-l’eau. Il y a d’ailleurs un certain parallèle avec la situation budgétaire du pays. Dans les deux cas, la catastrophe est la résultante de l’aveuglement et de la lâcheté des dirigeants politiques. Au Rassemblement national, nous avons été les seuls autour de Marine Le Pen à mettre en garde contre l’extrême gravité de la situation. Dans le contexte international actuel, les ingérences étrangères ont eu beau jeu de s’engouffrer dans la brèche et de jeter de l’huile sur le feu d’une situation économique et sociale catastrophique.
RPP – Le rappel du passé colonial est largement utilisé par les adversaires de la France et semble encore fonctionner…
André Rougé – C’est la technique du leurre. On cherche à dissocier l’identité ultramarine de l’identité française alors que ces régions sont françaises, pour certaines d’entre elles, depuis cinq siècles et qu’elles se sont développées en symbiose avec la France, dans ses moments de gloire comme dans ses crises. Les régions d’outremer ont apporté beaucoup à la France. Je ne fais pas référence ici aux aspects économiques, mais à la richesse humaine, culturelle, identitaire que les ultramarins ont drainé et continuent de drainer vers l’hexagone. Il n’est que de citer Raymond Barre, Felix Éboué, Gaston Monerville, Saint John Perse, Aimé Césaire, Paulette Nardal, Jacques Vergès, Guy Tirolien, Christine Kelly ou Roland Garros pour voir combien cette France du grand large a irrigué la République des Lettres, la vie politique, la haute administration, le Barreau, le monde du sport, des médias et plus généralement toute notre vie publique. Et on voudrait nous faire croire maintenant, au nom d’une vision racialisée et hémiplégique de l’histoire, que ces régions n’ont rien de commun avec la France, qu’elles ne peuvent exister que contre la France, contre sa culture et ses valeurs. C’est une véritable imposture !
RPP – Quel est l’intérêt réel des puissances qui s’ingèrent dans les affaires françaises de l’outre-mer ?
André Rougé – Ces ingérences obéissent à des raisons différentes qui mériteraient d’être analysées au cas par cas. Il y a toutefois un facteur commun. Les outremers français aiguisent les appétits et notamment celui des grandes puissances qui cherchent à contrôler les ressources naturelles, qu’elles soient énergétiques, minérales ou halieutiques ainsi que les grandes routes maritimes qui sont les artères du commerce mondial. Je vous cite quelques exemples parmi les plus parlants : les hydrocarbures au large de Mayotte, le nickel Calédonien, les ressources halieutiques des îles Éparses, l’or de Guyane, les terres rares des Antilles, le courant océanique de La Réunion et puis évidemment l’immense Zone économique exclusive qui est attachée à ces territoires. Voilà les objectifs économiques finaux des ingérences. Mais il y a aussi des visées géostratégiques, en particulier le contrôle du canal du Mozambique par la mainmise sur Mayotte, le verrouillage naval de l’archipel séparant la Mer de Chine de l’Australie que permet d’exercer la Calédonie ou encore la perspective d’un bassin caraïbe repeint aux couleurs du « progressisme bolivarien » cher à Monsieur Mélenchon.
Ce grand jeu des hyperpuissances hégémoniques est pratiqué à une échelle plus modeste par des « acteurs de terrain » dont les motivations vont du simple ressentiment au « désordre pour autrui ». Je pense en particulier aux Comores qui sèment le chaos migratoire à Mayotte dont elles revendiquent le rattachement, ou à Madagascar qui prétend sans aucune légitimité historique à la tutelle des îles Eparses pour ses ressources halieutiques protégées par la France et qui intéressent de grandes flottes de pêche industrielle.
RPP – On parle aussi beaucoup de l’Azerbaïdjan…
André Rougé – Vous avez raison. L’Azerbaïdjan joue un jeu trouble. Le président Aliev s’en est pris ouvertement à la France en raison de notre soutien à l’Arménie. Et quoi de mieux pour nous nuire que de cibler les régions d’outremer ? Grâce à ses ressources pétrolières, l’Azerbaïdjan achète beaucoup de consciences et parraine tous les groupes, groupuscules et partis indépendantistes y compris de Corse. On l’a bien vu en juillet lors du premier « Congrès des colonies françaises » auquel a été invité à Bakou tout ce que la nébuleuse indépendantiste compte de représentants réels ou autoproclamés. Des « journalistes » azerbaidjanais – et j’insiste sur les guillemets car il s’agissait en réalité d’agents d’influence de Bakou – ont été également dépêchés en Calédonie à l’occasion de la visite du ministre de la défense sur le territoire. Je ne veux pas oublier non plus la création d’un « front international de libération » et surtout le lancement d’un « Groupe d’Initiatives de Bakou », dont les comptes Instagram, Tik Tok et X sont suivis par plusieurs milliers de personnes. Il s’agit là d’un outil de propagande et de désinformation d’une rare agressivité à l’égard de la France, conçu par la main experte des services azerbaidjanais qui trouvent avec la rhétorique et le soutien de LFI les relais de visibilité qui leur manquaient.
RPP – La France a-t-elle pris la mesure du problème ?
André Rougé – J’aimerais en être certain ! L’évidence saute pourtant aux yeux et il paraît impossible que Paris n’ait pas perçu la gravité de la menace. Un seul exemple : Si la Nouvelle Calédonie venait à se détacher de la France, celle-ci serait immédiatement remplacée et ce serait toute la stratégie indopacifique occidentale qui serait mise à mal.
Mais, comme souvent en ce qui concerne l’outremer, la prise de conscience de Paris a été tardive et timorée. Personne n’a encore enregistré à ma connaissance une quelconque réaction, hormis celle du Rassemblement national, face à l’outrance des attaques de Bakou. Je regrette en particulier qu’aucune réponse ferme n’ait été apportée par le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères en réplique à l’instrumentalisation par l’Azerbaïdjan du Comité de décolonisation de l’ONU. Il est vrai que nous ne sommes pas seuls en cause. Lors de ses visites officielles à Bakou, Ursula Von der Leyen a été mutique avec ses interlocuteurs sur les mauvaises manières faites par le régime de Bakou aux territoires ultramarins français de l’Union européenne.
RPP – Alors, que faudrait-il faire ?
André Rougé – Il faut d’abord dire la vérité. L’objectif et l’agenda de ces ingérences étrangères est néocolonial. La liberté des peuples et la prospérité des populations sont le cadet de leur souci. Les régimes autoritaires, quand non dictatoriaux, qui inspirent le chaos dans les outremers comme ceux qui en sont les exécutants, à commencer par l’Azerbaïdjan, ne sont que des parodies de démocratie. Il serait donc temps que les indépendantistes prennent conscience qu’ils sont les « idiots utiles » de puissances qui n’ont rien d’amicales et qui n’hésiteront pas à les sacrifier le jour venu.
Aux puissances déstabilisatrices, il faut siffler la fin de la récréation. Malgré les vents adverses, la France demeure l’une des cinq puissances du Conseil de sécurité. Elle dispose de moyens de rétorsion puissants, et elle ne doit pas hésiter à les utiliser pour se faire respecter. Je pense d’ailleurs que le retour de la France aux fondamentaux de sa politique étrangère française, c’est-à-dire une puissance d’équilibre, soucieuse de son indépendance et respectueuse de la souveraineté de tous, contribuera à calmer les choses.
Enfin, et surtout, il faut une vraie politique pour la France du Grand large. Le dernier président de la République à avoir compris et aimé les régions d’outremer était Jacques Chirac. Le temps a passé et ces régions se sont engagées dans un tunnel de régression et de violence. Notre ambition, celle de Marine Le Pen en particulier, c’est de sortir de cette spirale. C’est en regardant vers le haut, avec une ambition collective portée par un ministère d’État, et le sens de la dignité de tous, que l’on renouera les liens distendus, que l’on dialoguera vraiment et que l’on mobilisera toutes les énergies positives, en particulier autour d’une grande Loi programme. C’est autrement plus enthousiasmant que de chauffer la place à des pays et à des régimes qui n’ont d’autre ambition que de piller ce que la France n’aura pas su protéger.
André Rougé
Député français au Parlement européen et délégué national à l’outre-mer du Rassemblement national