Les réseaux sociaux ont transformé la communication politique en créant un espace de dialogue direct entre gouvernants et gouvernés, favorisant la contestation et redéfinissant les interactions démocratiques. Cependant, ils présentent aussi des défis, notamment en matière de régulation de l’information et de gestion de la désinformation, tout en ayant des effets paradoxaux sur la sociabilité et l’engagement politique.
La communication politique en 2024 ne peut se faire sans les réseaux sociaux. Cette affirmation semble inflexible tant le lien qu’ils entretiennent n’a cessé de se renforcer avec l’entrisme du numérique dans nos vies. La politique n’y a pas échappé.
Les réseaux sociaux ont radicalement changé le rapport de leurs utilisateurs à la politique par leur viralité, leur célérité et leur caractère transnational. Ils s’opposent ipso facto à la verticalité et à la hiérarchisation de la politique en ce sens qu’ils permettent une conception horizontale de l’espace public. Cette remise en cause de la compétence politique où chacun se considère expert à juger ou émettre une opinion a considérablement changé l’exercice démocratique en redéfinissant le rapport entre les politiques et les citoyens, et plus largement entre les gouvernés et les gouvernants. Espaces d’émancipation et canaux privilégiés de la liberté d’expression, les réseaux sociaux sont des vecteurs de dialogues et de contestations citoyennes proposant des supports différents mais reposant sur un même modèle, celui du libre partage d’informations. De nouveaux rites1 d’interaction sont nés et ont redéfini le paradigme traditionnel de la démocratie représentative entre citoyens et politiques : sur le plan virtuel, les gouvernants sont placés au même niveau que les représentés. Tout un chacun est susceptible d’interpeller en un temps record un maire, un député voire le Président de la République alors que cela est difficilement possible autrement. Cet aplanissement nourri par l’horizontalité fait des réseaux sociaux des outils d’analyse complexes mais indispensables à l’étude de la reconstruction de la politique.
L’interconnexion à de caractéristique qu’elle raccourcie le nombre d’intermédiaires entre les individus, notamment entre deux inconnus. La rapidité de l’information dans la sphère numérique fait des réseaux sociaux des acteurs de premier plan de la construction des mouvements contestataires. Ils permettent la remise en cause de l’ordre juridique établi en structurant la contestation à la politique étatique et ce, quel que soit l’origine des conflits qui diffèrent d’un pays à l’autre. Le citoyen dispose donc d’un espace virtuel de contestation commun qui brise les rapports hiérarchiques par l’interaction et oblige les États à s’adapter à cette arme nouvelle dont disposent les contestataires. Cette ascension des gouvernés sur les gouvernants doit néanmoins être considérée à sa juste mesure, heurtée à la verticalité intrinsèque de la démocratie représentative et du pouvoir étatisé.
Les réseaux sociaux créent des asociaux, il est là leur plus grand paradoxe. Ils promeuvent le narcissisme et la recherche constante de l’Homme naturel tel que le décrivait Jean-Jacques Rousseau2. En cela, ils ne modifient que de façon résiduelle le lien entre les gouvernants et les gouvernés. Ils deviennent le réceptacle des opinions politiques individuelles, des espaces polémiques menés par des leaders d’opinion. Les utilisateurs deviennent des consommateurs de contenus, la plupart du temps de monologues, qui se confrontent et régurgitent de la violence. Cette violence entraîne conséquemment certains d’entre eux à paramétrer leur compte afin de ne plus y être exposés. La personnalisation du contenu et de l’utilisation des réseaux sociaux favorise l’entre-soi militant, devenant un frein significatif non négligeable au développement de la démocratie directe. Si la relation entre les gouvernants et les gouvernés peut être redéfinie sous le prisme des réseaux sociaux dans sa dimension collective, il n’en va pas de même dans le cadre des contestations individuelles.
Aussi, l’usage des réseaux sociaux par nos représentants présente un discours dichotomique : ceux qui y sont favorables et ceux qui, au contraire les conspuent. Les premiers en ont une vision idéalisée et les présentent comme des outils précieux de la démocratie directe, ininterrompue, permise par l’horizontalité des échanges. Cependant, il s’agit d’une réponse conjoncturelle non satisfaisante au malaise démocratique de nos sociétés et non une solution structurelle. La verticalité des rapports entre les citoyens et leurs représentants politiques se perpétue, les réseaux sociaux étant des thermomètres inépuisables de l’opinion publique. Dans cette logique, ils sont devenus incontournables dans la stratégie de communication des candidats lors des campagnes électorales. Les politiques sont des internautes comme les autres, ils n’hésitent pas à sortir de la sphère numérique lorsqu’elle ne leur sert plus. Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, n’avait pas hésité à claquer la porte du réseau social X en novembre 2023 en précisant « qu’il est devenu ces dernières années l’arme de destruction massive de nos démocraties. » Alain Juppé, à la suite de sa défaite durant la primaire de la droite et du centre en 2016, avait quant à lui qualifié les réseaux sociaux d’être « la poubelle de l’Univers » avant toutefois de reconnaitre qu’il « vivrait avec sans vouloir les écouter. »
Par ailleurs, la régulation de l’information sur les réseaux sociaux s’avère être un enjeu majeur pour nos sociétés démocratiques. Il n’en reste pas moins un sujet complexe qui vient interroger les notions de désinformation, de censure et de liberté d’expression. Un défi intrinsèquement plurifactoriel pour les plateformes qui doivent garantir un environnement d’information sécurisé qui doit impérativement respecter les droits individuels.
Cette question de la régulation de l’information est revenue au premier plan à la suite des attaques terroristes menées par le Hamas le 7 octobre dernier. En effet, de nombreux contenus haineux et de désinformation ont été diffusés sur les réseaux sociaux amenant le commissaire européen, Thierry Breton, à s’exprimer devant le Parlement européen en rappelant que « la diffusion généralisée de contenus illicites et de désinformation liés à ces événements entraîne un risque clair de stigmatisation de certaines communautés, de déstabilisation de nos structures démocratiques, sans parler de l’exposition de nos enfants à des contenus violents ».
Jusqu’alors, les plateformes bénéficiaient il est vrai d’un cadre juridique avantageux forgé par une directive datant des années 2000. Ce texte prévoyait une quasi irresponsabilité des hébergeurs desdites plateformes. Ils n’étaient dès lors responsables uniquement lorsqu’un contenu illégal leur était signifié et qu’ils n’avaient pas agi pour le supprimer. Cependant, cette directive a été imaginée à une époque où les réseaux sociaux n’avaient pas encore émergé. Il est donc devenu urgent avec le temps de faire évoluer la législation, surtout lorsque ces plateformes réalisent des bénéfices grâce aux contenus. Nous sommes collectivement en droit d’attendre desdits contenus qu’ils soient licites. L’Union européenne s’est emparée du problème en durcissant sa législation et a accouché du Digital Services Act (DSA) le 19 octobre 2022. Cette dernière s’applique aux plateformes de contenu, aux réseaux sociaux, aux marchés mais aussi aux plateformes de voyage et d’hébergement en ligne.
Récemment, le 12 août 2024 c’est dans ce cadre du DSA que le commissaire européen Thierry Breton a interpellé Elon Musk, propriétaire du réseau social X, pour lui rappeler sa responsabilité dans le devoir de modération3 des messages de haine et des « fakes news ». Il lui a signifié qu’il y était soumis, comme l’ensemble des utilisateurs de X. Coutumier des frasques provocatrices, le milliardaire comptant plus de 193 millions d’abonnés a donné une interviewé Donald Trump, l’ancien Président des États-Unis d’Amérique et candidat à la présidentielle américaine de 2024 en direct sur X. Donald Trump qu’il soutient fermement notamment dans une stratégie de préservation de ses intérêts affairistes ou idéologiques.
Bruxelles a par ailleurs ouvert une enquête en décembre 2023 pour non-respect du DSA et a publié cet été les résultats préliminaires qui en découlent. Le réseau social X est jugé non conforme sur plusieurs éléments. Le premier d’entre eux est la certification Twitter, autrement dit des « comptes vérifiés » jugée trompeuse car n’importe qui peut y avoir accès moyennant paiement. Ce détail qui n’en est pas un affecte la capacité des utilisateurs à échanger avec des comptes et des contenus dont l’authenticité n’est pas garantie. Cela a de facto des conséquences sur l’utilisation qu’ils ont du réseau social mais aussi sur leur prise de décision et qui devrait être, dans l’idéal, libre et informée. En plus des problèmes liés à la certification, la Commission européenne a jugé qu’X ne respectait pas les exigences en matière de publicité mais aussi dans le fait de ne pas donner accès à ses données publiques aux chercheurs, conditions posées dans le cadre du DSA. Si l’entreprise bénéficie d’un droit de réponse et donc de défense, elle s’expose à des sanctions si les conclusions de l’enquête préliminaire sont confirmées. Cette décision de non-conformité au droit européen pourrait engendrer une amende à hauteur de 6% de son chiffre d’affaires annuel et des astreintes par exemple.
Ce tournant de la réglementation européenne relative à la lutte contre la désinformation et la diffusion de contenus illégaux est à saluer même si, en pratique, elle sera sans doute difficile à mettre en place. Il est à noter que la Commission européenne a aussi engagé des procédures contre TiK ToK, Meta (qui abrite Facebook et Instagram) entre autres ainsi qu’AliExpress.
Sur le plan français, des initiatives parlementaires ont été engagées. En 2020, la loi Avia imposait aux plateformes de retirer les contenus jugés manifestement illicites tels que les injures à caractère racistes, anti-religieuses ou encore les incitations à la haine dans un délai de 24 heures. Le délai était même d’une heure dans les cas de contenus à caractère terroriste ou pédopornographiques.
Ces dispositions ont toutefois été retoquées par le Conseil constitutionnel car elles prenaient le risque de porter atteinte à la liberté d’expression. De plus, les délais n’auraient pas laissé le temps aux juridictions compétentes de se saisir à temps. Enfin, le Conseil constitutionnel a estimé que les sanctions prévues, à savoir 250 000 euros d’amende et un an d’emprisonnement, auraient entraîné une censure quasi inévitable, les plateformes optant pour une modération excessive.
Sommes-nous donc impuissants à agir ? La réponse serait de dire qu’il faut laisser du temps au temps et que le droit reste la piste à privilégier. Le paysage médiatique a été totalement bouleversé, passant des médias de masse avec la radio, la presse et la télévision, à celle des réseaux sociaux. Cela en deux décennies à peine. La bascule entre les deux illustre une différence fondamentale, celle de la responsabilité éditoriale qui était un leitmotiv par le passé.
Si l’entrisme du numérique dans nos vies est irréversible, celui de l’intelligence artificielle dans le numérique ajoute de la complexité à la régulation du cyberespace. La prolifération des « deepfakes », autrement dit des enregistrements vidéo ou audio réalisés ou modifiés grâce à l’intelligence artificielle, n’est pas venu améliorer les choses. De plus en plus de personnalités politiques ou médiatiques en font les frais, et sont les cibles de choix pour des campagnes d’ingérence ou psy ops.
À côté de la réponse juridique, l’éducation aux médias, au numérique, cela grâce à la sensibilisation aux risques, est primordiale afin de comprendre comment l’information est générée et diffusée. Mais aussi comment elle peut être manipulée, par qui et pourquoi. Faire prendre conscience qu’une information, fusse-t-elle mise en ligne par un influenceur aux millions d’abonnés, n’aura pas la même véracité que celle qui aura été validée par un directeur de publication. Cette affirmation est assez controversée, notamment chez la jeune génération ou encore chez ceux qui avancent le fait que nombre de sujets n’auraient pas été abordés par les médias dits traditionnels et la classe politique s’ils n’avaient pas été à l’origine relayés sur les réseaux sociaux. Difficile par moment de leur donner tort même si la prudence et la rigueur restent la règle. À une époque où chacun peut se prévaloir la qualité de journaliste en sortant son téléphone portable de sa poche et en relatant une situation, il est important de le mentionner.
Campagnes de désinformation, cyberharcèlement, insultes ou encore incitations à la haine…Les hommes et les femmes politiques peuvent-ils faire l’impasse sur les réseaux sociaux alors que près de 80% des Français y sont présents. La réponse est non. Qu’ils le veuillent ou non, ils prendront le risque de l’invisibilisation s’ils jouent les gaulois réfractaires dans cette nouvelle réalité. La question n’est plus tellement de savoir s’il faut être sur les réseaux sociaux, davantage de savoir comment ils fonctionnent afin de s’en approprier les codes et d’en retirer les fruits. À ce titre, la France Insoumise est l’une des forces politiques qui a le mieux appréhendé ce phénomène. Sa forte présence numérique a contribué de façon notable à sa popularité. Comme le Rassemblement National de Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon bénéficie lui aussi d’une belle audience sur les réseaux sociaux où il est présent, notamment sur sa chaîne YouTube, lancée dans les années 2000, et qui a permis de fédérer un grand nombre d’affiliés numériques. Devenus de véritables supports pédagogiques, les représentants politiques se servent des réseaux sociaux pour rendre compte de leurs actions politiques et donnent à se voir, notamment à l’extérieur des instances de représentation comme le Parlement. Jouant la carte de l’authenticité et d’une proximité renforcée, ils pensent bénéficier du capital « sympathie » résultant de cette transition indolore et marketée.
Des représentants politiques estiment néanmoins que le prix à payer est trop important et décident de quitter certaines plateformes par soucis de cohérence politique comme nous l’avions vu avec Anne Hidalgo. Raphaël Glucksmann a quant à lui choisi de quitter le réseau social chinois TiK ToK, en janvier dernier, lors de la campagne des élections européennes. Il estimait que l’application pouvait être coupable d’ingérence étrangère et de surveillance de masse ; l’un de ses combats politiques les plus affirmés. D’autre part, cela venait compléter son engagement contre la persécution du peuple Ouïghours par Pékin. Dès lors ces décisions s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie électorale bien rodée qui fait passer les principes avant le nombre d’abonnés ou de mentions « j’aime » et s’ancre dans une perspective de communication politique davantage structurelle que court-termiste.
Ce retrait des politiques de certaines plateformes n’entraîne pas pour autant leur désertion de la sphère numérique. Il y a une lutte intra numérique dans laquelle ils tentent de s’inscrire en conquérant de nouveaux réseaux sociaux et les fonctionnalités toujours plus nombreuses qu’ils proposent. Si Anne Hidalgo a choisi d’investir le canal de diffusion d’Instagram, Raphaël Glucksmann a ouvert un groupe WhatsApp. Ces deux choix illustrent la volonté d’interagir dans un cadre davantage contrôlé, où l’information reste transmise en continu mais de façon unilatérale. Le champ d’influence y est drastiquement réduit, les internautes ne pouvant que peu réagir ou répondre.
Ces cercles d’échange restent ceux des militants convaincus. Il est aussi important de souligner que Twitter demeure le réseau social politique par excellence. Le privilégié des journalistes et des éditorialistes politiques, le tweet remplaçant le communiqué de presse. Des réseaux sociaux comme Bluesky ont tenté de proposer une alternative à Twitter mais ils n’ont véritablement conquis, ne proposant pas les mêmes fonctionnalités malgré un une interface quasi similaire.
Par ailleurs, bien qu’ils aient bouleversé les stratégies de communication politique, les réseaux sociaux semblent être des outils complétifs ou parfois même supplétifs aux médias traditionnels lorsque la politique peine à convaincre sur le terrain, l’outil devient alors une véritable rampe de lancement. Ils se combinent plus qu’ils ne s’affrontent. C’est notamment le cas pour les femmes et les hommes politiques les plus âgées, ils ont acquis leur notoriété par l’ancrage local, celui des places de marché et des kermesses. Pour eux, le tweet n’a pas complètement remplacé le tract. La presse régionale ou encore la radio ne sont pas à négliger comme leviers de communication pertinents. Face à ces constats, les politiques sont-ils condamnés à devenir des experts numériques ? Est-ce leur place de passer leurs journées sur les réseaux sociaux ? Si certains font le choix d’administrer eux-mêmes leurs réseaux sociaux, ils sont de plus en plus nombreux à avoir recourt à un community manager. Ce dernier est alors au cœur de la stratégie politique et communicationnelle de la personne qu’il sert. Son rôle ne se limite pas à un simple travail de veille mais à un ensemble de compétences et de connaissances comme l’animation des communautés sur chaque réseau social, de modération mais aussi et surtout d’écoute et de retranscription. Il doit rendre compte en interne de ce qu’il voit ou entend et être force de proposition. Il est les yeux et les oreilles du politique, à la fois le lien et le liant entre le gouvernant et les gouvernés. Sa responsabilité est considérable car l’effort de synthèse l’est tout autant avec la masse d’informations et de réactions brassées sur les réseaux sociaux. En ce sens on pourrait se poser la question de son impact dans la construction voire la reconstruction du rapport entre gouvernants et gouvernés. N’est-il pas un maillon supplémentaire qui nourrit la verticalité du pouvoir que les réseaux sociaux encouragent comme nous l’avons vu précédemment ? C’est encore une autre question.
Finalement, les réseaux sociaux et les politiques n’ont pas fini de se questionner. À l’heure où l’abstention reste le premier parti de France et le principal adversaire des gouvernants politiques, aucun levier d’action n’est à écarter. Même imparfaits.
Laëtitia Doucet Gaubert
Communicante politique
- Erving Goffman, « Les Rites d’interaction », Collection Le sens commun, 240 pages. ↩
- Jean-Jacques Rousseau, « Du contrat social », Flammarion, Collection GF, 255 pages ↩
- Pour appel, Elon Musk avait procédé à une vague de licenciement significative au rachat de Twitter qui a eu pour conséquence de détruire à néant les équipes de modération de du réseau. ↩