Le transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire des groupes de protection sociale aux Urssaf doit être effectif au 1er janvier 2023. L’objectif est de faire de l’Urssaf l’interlocuteur unique des entreprises pour le recouvrement des cotisations sociales1. En adressant au ministre des comptes publics une lettre demandant le report à 2024 de ce transfert au motif de « difficultés sérieuses », les partenaires sociaux se trompent de débat.
Ils se trompent de débat parce que l’Urssaf saura traiter, avec quelques aménagements, le transfert du recouvrement et saura aussi, avec quelques autres aménagements, fournir les informations individuelles nécessaires au calcul des droits à retraite complémentaire. Le débat n’est pas que technique parce que l’objectif poursuivi par l’État n’est pas seulement de faciliter la vie des entreprises en faisant de l’URSSAF le seul organisme de recouvrement des cotisations sociales. Ce serait faire preuve de bien peu de considération pour l’État de ne voir dans ce transfert à l’Urssaf qu’un objectif de simplification dénué de toute ambition politique.
Le monde de l’Agirc-Arrco est celui des acteurs économiques et sociaux, c’est le monde du privé, même si les cotisations de retraite complémentaires sont considérées comme des prélèvements obligatoires. La gestion des cotisations relève, encore, des partenaires sociaux qui ont la capacité de régler en opportunité telle ou telle situation particulière comme ils ont su en faire la démonstration lors de la crise sanitaire.
Cette capacité, ils ne l’auront plus après le transfert à l’Urssaf, tout comme les gestionnaires de l’Unédic l’ont perdue lorsque le recouvrement des cotisations à l’Assurance chômage a été transféré aux Urssaf.
Le monde de l’Agirc-Arrco est celui du privé et ses comptes sont soumis à la certification légale. Le recouvrement par les Urssaf transfèrera aussi la certification des comptes à la Cour des comptes qui certifie les comptes de l’Etat et ceux de la Sécurité sociale. De fait la gouvernance de l’Agirc-Arrco sera privée de toute maîtrise du processus de certification de ses comptes. L’exemple de l’Unédic peut là aussi être rappelé, ainsi que la réserve mise à la certification de ses comptes en 2020 du fait de la non-certification de ceux de l’Urssaf.
Le volet technique de ce transfert n’est que le faux nez d’un débat politique qui ne se fait pas. Le recouvrement par les Urssaf, c’est un pas supplémentaire vers une grande sécu, non pas encore des prestations, mais du recouvrement, c’est-à-dire de la ressource financière. Le transfert du recouvrement des cotisations aux retraites complémentaires des groupes de protection sociale vers l’Urssaf, c’est l’étatisation de ces cotisations. Au-delà du risque technique, qui trouve toujours une solution, c’est la mainmise de l’État sur l’Agirc-Arrco qu’il faut craindre. Les partenaires sociaux gestionnaires du système de retraite complémentaire devraient tirer leçon du tour de passe-passe qui a substitué une part de CSG aux cotisations salariales à l’Assurance chômage, ils peuvent légitimement craindre qu’à l’occasion d’une réforme des retraites, l’État finisse par agir avec les retraites complémentaires comme il l’a fait pour l’indemnisation du chômage.
Porter le débat sur le volet technique de ce transfert à l’Urssaf est une erreur, c’est l’enjeu politique qu’il faut mettre au débat et se souvenir que l’État et son Administration, se méfiant et se défiant des Partenaires sociaux, ont épousé cet objectif qui est de « sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »2. Les partenaires sociaux manquent-ils de courage pour porter et forcer ainsi le débat ? Á l’évidence non, leur récent accord sur la modernisation du paritarisme3 traduit l’ambition et le courage politique de promouvoir la démocratie sociale. Le transfert à l’Urssaf leur donne l’opportunité de faire valoir cette ambition et ce courage politique.
Le moment politique n’est-il pas favorable pour une prise de parole politique quand l’exécutif dit vouloir changer de méthode et affirme sa volonté de concerter ?
Les partenaires sociaux ont cette opportunité de faire valoir que la démocratie sociale est un facteur de démocratie politique, que les acteurs économiques et sociaux sont un régulateur des tensions sociales plus efficace que les ronds-points ou autre coalition opportune d’intérêts politiques et sociétaux.
Éviter le débat sur l’objectif politique qui sous-tend le transfert du recouvrement à l’Acoss serait accepter une nouvelle défaite et participer de fait au démontage méthodique du modèle de Protection sociale sans opposer d’autre voie à celle de l’étatisation.
L’objectif d’universalité et de solidarité qui dicte cette étatisation, à laquelle les divers gouvernements, de gauche comme de droite ou ni de droite ni de gauche, apportent chacun leur pierre, est un choix de société. Un choix de société qui, méthodiquement, rejette le caractère assurantiel de la Protection sociale et fait place à une solidarité qui se perd dans l’assistance. Les réformes pas à pas, dispositif par dispositif, et celle aujourd’hui qui fait de l’Urssaf le collecteur unique des cotisations sociales, ne font pas percevoir cette orientation. Un choix de société se fait sous couvert de réformes techniques, de soutien au pouvoir d’achat ou de simplification administrative.
Le paritarisme responsable, revigoré par un accord de modernisation, doit forcer le débat, tenter de faire valoir encore un modèle dont les fondements sont le travail et l’emploi et qui jamais n’a oublié la solidarité.
Michel Monier
Membre du Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unédic