A la fin de ses vœux radiotélévisés pour 2025, Emmanuel Macron a promis aux Français de les consulter en cours d’année : « Nous aurons des choix à faire pour notre économie, notre démocratie, notre sécurité, nos enfants … En 2025, nous continuerons de décider et je vous demanderai de trancher certains de ces sujets déterminants. Chacun d’entre vous aura un rôle à jouer« . La bonne résolution démocratique ainsi exprimée par le Chef de l’Etat le 31 décembre est cependant chargée de non-dits. « Trancher certaines questions » ? Mais lesquelles ? Selon quelle forme ? Et surtout pour faire quoi ?
Le désir de consulter les Français, exprimé par le Chef de l’Etat dans ses voeux, répond-il à un désir des Français d’être consultés ?
L’idée d’être consultés cette année « sur des sujets déterminants » n’est pas pour déplaire à nos compatriotes. Le sondage effectué tout début janvier par Le Figaro auprès de ses lecteurs montre ainsi que deux sur trois d’entre eux souhaitent voir organisés un ou plusieurs référendums en 2025.
Mais, en politique, le « que faire ? » devrait commander le « comment faire ? ». Ici, la consultation semble devenir une fin en soi, plutôt que le moyen d’atteindre un objectif. Cela traduit, je crois, de la part du Président, comme d’une grande partie de la classe politique, un désir éperdu de re-légitimation. Comment se rapprocher d’un peuple qui s’éloigne ? Tel semble devenir le but premier du politique. Il tend à supplanter la recherche du bien commun.
Faut-il croire à la tenue de référendums en 2025 ?
Le pluriel utilisé par Emmanuel Macron dans ses vœux (« je vous demanderai de trancher certains sujets déterminants ») laisse perplexe. Va-t-on organiser un référendum par trimestre ? Cela serait incompatible avec la lourdeur (l’organisation d’un référendum n’est pas une mince affaire) et les implications potentiellement déstabilisatrices d’une telle consultation.
Le verbe présidentiel est ailé, mais le système politico-administratif chemine avec de gros souliers au milieu des contraintes. Au pied du mur, la prudence sera toujours de mise. Nous assisterons tout au plus à la tenue d’un référendum sur une loi transpartisane pas trop clivante, mais ne contribuant que faiblement (voire pas du tout) à la résolution des vrais problèmes du pays. Une loi mobilisant faiblement les français, mais non rejetée par eux. On peut penser à l’instauration de la proportionnelle pour l’élection des députés. Et tant pis si une telle réforme avait des inconvénients durables pour les institutions de la Ve République.
La démocratie directe n’est-elle pas depuis longtemps un thème de prédilection d’Emmanuel Macron ?
En effet, même si, dans ce domaine comme dans d’autres, il y a loin des paroles au passage à l’acte.
Les projets constitutionnels du début du premier quinquennat faisaient grand cas des procédures référendaires. Il en fut beaucoup question aussi lors des grands débats suivant la crise des Gilets jaunes.
Plus récemment, le 11 avril 2022, à l’antenne de BFM TV, Emmanuel Macron n’excluait le recours au référendum « ni sur la réforme des retraites, ni sur quelque réforme que ce soit ».
De même, lors des « rencontres de Saint-Denis » de l’été 2023, invitait-il les partis politiques à explorer de nouvelles pistes d’usage du référendum (je cite) : « Il s’agirait à la fois de saisir des projets de loi relevant de questions dites sociétales, comme la fin de vie, mais également de réformes plus larges touchant plusieurs aspects intriqués entre eux », à l’instar des questions migratoires.
De même encore, célébrant le 65e anniversaire de la Ve République devant le Conseil constitutionnel, s’était-il dit favorable à un élargissement de l’article 11 de la Constitution, afin d’ouvrir le référendum à « des domaines importants pour la nation qui y échappent » et à simplifier la mise en œuvre du référendum d’initiative partagée (RIP), « aujourd’hui excessivement contrainte ».
Le recours au référendum n’est-il pas devenu d’une particulière actualité compte tenu de la crise que traverse actuellement le politique ?
Comment nier en effet que les conséquences de la dissolution confèrent une nouvelle acuité à l’idée référendaire ? Un Exécutif ne pouvant s’appuyer (et encore) que sur la moins minoritaire des minorités de l’Assemblée nationale trouverait dans le recours au référendum, peut-on penser, l’occasion de retremper sa légitimité. La démocratie directe, dans sa modalité référendaire, n’est-elle pas d’une essence démocratique plus authentique et plus originelle que la démocratie représentative ? Les élus sont certes délégataires de la souveraineté populaire, mais la démocratie directe, dans sa seule expression véritable, c’est-à-dire référendaire, ne peut-elle prêter main-forte à une démocratie représentative à la peine ?
Il n’en demeure pas moins qu’un référendum, dans un paysage politique aussi éclaté et instable que celui que nous connaissons depuis la dissolution, pourrait devenir un facteur chaotique de plus.
« Donner la parole aux Français » est-ce organiser des référendums ?
Pas nécessairement. Cela peut prendre la forme de nouvelles élections législatives après une nouvelle dissolution, même si ce n’est pas ce qu’EM semble avoir en tête. Il peut aussi consulter les Français sous la forme de « conventions citoyennes », comme pour le climat ou la fin de vie. Mais ce n’est pas comme cela qu’on « fait trancher » les Français.
Une convention citoyenne, si elle est bien conçue, bien conduite et non biaisée, peut rendre valablement compte de l’éventail des vues de nos compatriotes sur telle ou telle question (on l’a vu pour la fin de vie). Toutefois, sauf à se payer de mots, elle ne saurait juridiquement rien « trancher ». Les conventions citoyennes ne sont pas et ne sauraient être des instances décisionnelles. Elles ne peuvent être qu’un préalable à l’intervention des pouvoirs publics.
Il faut donc comprendre que le Chef de l’Etat entend avoir recours, même s’il se garde de prononcer le mot, à cette option démocratique fondamentale, délaissée depuis vingt ans, qu’est le référendum. Autrement dit à renouer avec la tradition gaullienne.
Ceci étant dit, il y a plusieurs types de référendums que l’on confond allègrement dans les débats quand on parle de démocratie directe. Or ils n’ont pas la même portée et ne revêtent pas les mêmes modalités.
Quels sont ces types de référendum ?
Une distinction est absolument nécessaire à faire entre deux types de consultations référendaires. Et là il nous faut faire un peu de droit constitutionnel.
Le référendum peut porter :
- Soit sur une matière de niveau législatif ouverte au suffrage populaire par l’article 11 de la Constitution ;
- Soit sur une matière de niveau constitutionnel soumise à la procédure de l’article 89.
La distinction est loin d’être purement technique. Elle conditionne tant le contenu de la question posée au peuple que la procédure à respecter pour la lui poser. Sur le contenu, le pouvoir exécutif a les mains beaucoup plus libres avec un référendum constitutionnel qu’avec un référendum législatif (1). Sur la procédure, c’est le contraire : il est beaucoup plus contraint avec un référendum constitutionnel qu’avec un référendum législatif (2).
1) Les matières éligibles au référendum législatif de l’article 11 sont limitativement énumérées par cet article (elles excluent par exemple les domaines pénal, fiscal ou sociétal), alors que l’article 89 ne limite le contenu d’une révision constitutionnelle que par le respect de la « forme républicaine du gouvernement ». Le périmètre d’un référendum constitutionnel est donc quasiment illimité.
L’article 11 (référendum législatif) intéresse (je cite) les « projets de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité etc. ».
Les projets de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics » peuvent être des projets de loi ordinaire, car toute l’organisation des pouvoirs publics ne relève pas de la Constitution. L’instauration d’un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives, par exemple, est de la compétence de la loi ordinaire, tout en portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Elle pourrait donc être décidée par un référendum de l’article 11.
De même, la réforme des retraites se rattache à « la politique sociale de la nation », ainsi qu’à sa « politique économique » et, à ces deux titres, concerne les services publics qui concourent à la fourniture de prestations aux retraités. La question peut donc être soumise, là aussi, à un référendum de l’article 11.
Même chose pour une loi environnementale : elle peut, elle aussi, faire l’objet d’un référendum de l’article 11.
En revanche, l’article 11 exclut qu’un référendum législatif traite, à titre principal, de questions autres que celles qu’il énumère, notamment de questions fiscales, pénales, migratoires ou sociétales.
Il ne peut non plus servir à modifier la Constitution, ni à déroger à celle-ci. On ne pourrait l’utiliser par exemple pour plafonner les flux migratoires, car ce plafonnement dérogerait à divers principes constitutionnels, comme le droit au regroupement familial. Qui plus est, l’immigration ne figure pas dans la liste des matières ouvertes à la consultation par l’art. 11.
On notera que les matières citées par Emmanuel Macron dans ses vœux (« notre économie, notre démocratie, notre sécurité, nos enfants ») ne relèvent pas toutes à l’évidence de l’article 11.
2) La différence entre référendum législatif et référendum constitutionnel se marque aussi dans la procédure.
La procédure est plus légère pour un référendum législatif que pour un référendum constitutionnel, ce qui est bien normal :
- Pour un référendum législatif, l’article 11 prévoit non un vote parlementaire, mais une simple déclaration devant chaque assemblée, suivie d’un débat. L’Exécutif peut donc soumettre la question au peuple sans avoir à y être autorisé par le Parlement.
- Dans le cas du référendum constitutionnel, à l’inverse, le texte doit avoir été voté en termes identiques par les deux assemblées avant d’être soumis par le Président de la République au scrutin populaire. C’est ce qu’impose l’art 89 de la Constitution.
Conséquence : le référendum constitutionnel paraît exclu pour deux motifs en 2025 :
- D‘abord eu égard à la grande difficulté de réunir sur un projet de révision une majorité de députés dans une Assemblée aussi éclatée qu’aujourd’hui.
- Ensuite, en raison de la diversité et du caractère potentiellement explosif des sujets de niveau constitutionnel (immigration, Europe, justice, société…). Surenchères et frustrations seraient au rendez-vous. Certains pourraient dire que, quitte à toucher à la Constitution, il faut parler d’immigration. D’autres exigeraient des avancées en matière sociale, sociétale ou environnementale.
L’article 11 impose un cadre, il est vrai, plus restreint. Mais son emploi peut être lui-aussi périlleux, puisqu’il couvre des sujets « chauds » comme le régime des retraites. La gauche ne s’y est d’ailleurs pas trompée : « Qu’il commence par un référendum sur les retraites » a déjà lancé Sandrine Rousseau.
Concrètement, comment serait formulée la question référendaire ?
La question soumise au citoyen en vertu des articles 11 et 89 consiste non pas, comme on le croit souvent, à l’interroger, à la façon d’un sondage d’opinion, sur une question simple à énoncer et de portée générale (« Êtes-vous favorable au scrutin proportionnel ? », « Souhaitez-vous que l’âge de départ en retraite soit à nouveau fixé à 62 ans ? », « Approuvez-vous la fixation de quotas migratoires ? »), mais à lui demander s’il approuve ou non un texte :
- Un texte de loi ordinaire ou de traité pour un référendum législatif ;
- Un texte de loi constitutionnelle pour un référendum constitutionnel.
Le texte soumis à la consultation populaire est annexé au décret de convocation des électeurs et consultable par chacun. Et sa rédaction peut significativement influer sur la mobilisation des électeurs, ainsi que sur le résultat de la consultation. Plus le projet déroutera l’opinion par sa complexité ou son hermétisme, plus il suscitera des réponses irrationnelles. Le risque de rejet en sera d’autant plus élevé. Pensons au référendum sur le traité constitutionnel européen, organisé en mai 2005, dont le volume avait par lui-même indisposé beaucoup d’électeurs.
Plus grave encore : le référendum législatif d’initiative présidentielle recèle deux périls :
- celui, bien connu (et qui serait élevé dans le contexte actuel de remise en cause de la personne du PR et d’appels à sa démission) que les électeurs se prononcent non sur le texte, mais sur son auteur ;
- et celui, moins perçu mais non moins redoutable, de conduire, faute de maturation de l’opinion, à des décisions aux conséquences irréversiblement dommageables pour la collectivité … et que celle-ci regrettera ultérieurement.
On peut par exemple se demander (avec Denys de Béchillon) ce qu’il serait advenu si l’on avait organisé un référendum quelques semaines après la catastrophe de Fukushima, pour décider d’un arrêt de la production d’électricité nucléaire…
Des problèmes de cohabitation entre le Président et le Premier ministre pourraient-ils se poser à propos de la tenue de ces référendums ?
L’article 11 conditionne le référendum législatif présidentiel à une proposition du gouvernement. L’article 89 subordonne la révision, lorsque c’est le Président qui en prend l’initiative, à la proposition du chef du gouvernement.
Dans un cas comme dans l’autre, la nécessaire intervention du Premier ministre ne serait plus, comme elle l’a été si souvent sous la Vème République, une simple formalité. Pourront en effet provoquer une tension cohabitationniste, sur ce sujet comme sur d’autres, la perte d’autorité du Président, comme la fragilité des équilibres institutionnels et interpersonnels née de la dissolution. On peut imaginer notamment que la hiérarchie des sujets (sociaux, économiques, sociétaux, institutionnels…) à soumettre à la consultation populaire, comme l’opportunité même d’une consultation sur tel ou tel d’entre eux, puissent faire l’objet d’appréciations divergentes entre les deux têtes de l’Exécutif.
Quel est l’usage du référendum sous la Ve République ?
L’usage du référendum est constamment évoqué aujourd’hui, mais il est délaissé depuis vingt ans. On en parle d’autant plus qu’on ne s’en sert pas
Observons qu’il n’a jamais servi à une réforme économique, sociale ou environnementale.
En effet, sur les dix référendums organisés à ce jour sous la Ve République :
- Le premier (28 septembre 1958) approuve le projet de Constitution ;
- Trois autres (deux au titre de l’article 11 et le troisième en vertu de l’article 89) ont pour objet de la réviser (oct. 1962, 1969, 2000) ;
- Quatre autres sont relatifs à la ratification d’un traité (avr. 1962, 1972, 1992, 2005).
- Un autre porte sur l’autodétermination de l’Algérie (1961) et un autre encore sur le statut de la Nouvelle-Calédonie (1988).
L’article 11 n’a plus été employé depuis 20 ans et n’a jamais eu jusqu’ici d’autres fins que les réformes institutionnelles, la ratification des traités et le statut de l’outre-mer.
Pour sa part, l’article 89 n’a été mobilisé qu’une fois : en septembre 2000 pour l’instauration du quinquennat.
Peut-on modifier la Constitution sans l’aval du Parlement ?
Il est soutenu en effet, notamment du côté du RN, qu’un référendum de l’article 11 pourrait permettre de modifier la constitution. Mais l’article 11 de la Constitution ne peut servir à modifier la Constitution, ni à déroger à celle-ci.
Certes, au début de la Ve République, l’article 11 de la Constitution a été mobilisé deux fois par le général de Gaulle dans le but de réviser la Constitution :
- La première (28 octobre 1962) pour l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel ;
- La seconde (27 avril 1969) pour la régionalisation et la suppression du Sénat.
La première utilisation fut couronnée de succès. La seconde aboutit au désaveu du Général par le corps électoral, suivi de sa démission. Cette pratique fut dénoncée dès l’origine comme un coup d’Etat par la gauche et le centre, ainsi que par la majeure partie de la doctrine juridique.
Le procédé utilisé en 1962 – modifier la Constitution par la voie de l’article 11 et non par celle de l’article 89 – n’a plus été employé depuis l’échec du référendum d’avril 1969. Et pour cause : en dépit de son onction gaullienne, il ne pourrait aujourd’hui prospérer.
Deux raisons à cela.
1) En premier lieu, il se heurte manifestement à la lettre de la Constitution. Il suffit de confronter les articles 11 et 89 de la Constitution pour constater que le référendum laissé par le premier de ces articles à l’initiative du chef de l’État n’est pas fait pour une révision constitutionnelle.
La Constitution distingue nettement le référendum législatif de l’article 11, qui ne peut porter que sur les matières législatives qu’il énumère, et le référendum constitutionnel de l’article 89, lequel, contrairement à l’article 11, figure dans un titre (le XVI) spécialement consacré à la révision. Il en est même l’article unique. La révision est traitée à l’article 89, nulle part ailleurs.
Il est normal que la procédure prévue pour un référendum constitutionnel soit plus exigeante que celle prévue pour un référendum législatif. En imposant, préalablement au scrutin populaire, un vote dans les mêmes termes par les deux assemblées, l’article 89 de la Constitution a entendu dresser des garde fous contre toute dérive plébiscitaire.
Le fait que, une fois – et une seule – dans l’histoire de la Ve République, la Constitution a été révisée (avec succès) dans le cadre de l’article 11 ne vaut pas faculté donnée à l’exécutif, dans le futur, d’utiliser à sa convenance l’article 11 plutôt que l’article 89 pour une révision.
S’il avait le choix entre les deux articles, pourquoi d’ailleurs l’Exécutif ne s’affranchirait-il pas toujours de la nécessité d’un agrément parlementaire en optant systématiquement pour l’article 11 ?
N’en déplaise aux mânes du doyen Vedel, pour qui l’atteinte portée en 1962 à la Constitution pouvait avoir fondé une « coutume constitutionnelle », ce n’est pas parce que la Constitution a été violée une fois qu’elle peut l’être à répétition.
La violation commise en 1962 est patente, même si elle a été « régularisée » après coup par le peuple souverain lorsque celui-ci a adopté la loi référendaire du 6 novembre 1962 instituant l’élection du président au suffrage universel direct.
La situation présente, si préoccupante qu’elle soit à divers titres, n’a pas le caractère dramatique que présentait notre pays au sortir de la guerre d’Algérie. Et puis : n’est pas de Gaulle qui veut.
2) Mais surtout, un projet de référendum organisé au titre de l’article 11, s’il modifiait la Constitution ou (sans modifier explicitement celle-ci) dérogeait à tel ou tel principe constitutionnel, serait arrêté par le Conseil constitutionnel en amont du scrutin.
En vertu de la jurisprudence « Hauchemaille » de 2000 du Conseil constitutionnel, n’importe quel électeur pourrait en effet demander au Conseil d’annuler le décret de convocation au motif que l’utilisation de l’art 11 pour modifier (directement ou indirectement) la Constitution méconnaît les règles fixées par la Constitution pour opérer sa propre révision.
Dès avant cela, le Conseil d’Etat, examinant le projet de référendum en formation consultative, ne manquerait pas d’émettre un avis négatif.
Dans sa décision d’assemblée Sarran du 30 octobre 1998, il a en effet clairement distingué deux types de référendums :
- Ceux par lesquels le peuple français exerce sa souveraineté en matière législative dans les cas prévus par l’article 11 de la Constitution ;
- Ceux par lesquels il exerce sa souveraineté en matière constitutionnelle comme le prévoit l’article 89.
Pour qui douterait de la volonté du Conseil constitutionnel de contrecarrer toute tentative de réviser la Constitution par l’article 11, on renverra aux propos de son président actuel, M Laurent Fabius, lors de la cérémonie de vieux du 8 janvier 2024 : « Il est, bien sûr, tout à fait possible d’envisager de réviser la Constitution, mais il faut en ce cas impérativement respecter ce que la Constitution elle-même prescrit pour sa révision, à savoir la procédure prévue par son article 89, qui implique notamment de trouver d’abord un accord entre les deux assemblées parlementaires sur un même texte… ». A bon entendeur salut.
Faut-il ajouter que, en s’engageant dans la voie de l’article 11 pour modifier la Constitution ou déroger à celle-ci, l’Exécutif déchaînerait aussitôt les oppositions et jetterait dans la rue tous les activistes du pays ?
En quoi la volonté de réguler l’immigration impose-t-elle une révision de la Constitution ?
En l’état de la jurisprudence constitutionnelle, des quotas migratoires impératifs sont impossibles, notamment parce qu’ils porteraient atteinte au droit constitutionnel au regroupement familial. Il faudrait donc une révision constitutionnelle pour lever cet obstacle.
Des dispositions constitutionnelles imposant des quotas migratoires sont également indispensables pour faire écran à la jurisprudence des cours supranationales, fondée sur l’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) ou sur la Convention de Genève sur le droit d’asile. De telles dispositions constitutionnelles s’imposeraient à toutes les autorités françaises, y compris aux juridictions, car, dans l’ordre juridique interne, la Constitution prévaut sur le droit international. C’est en cela qu’on parle de « bouclier constitutionnel ».
La Constitution pourrait charger la loi et le décret (chacun dans son domaine de compétence) de prendre toutes mesures utiles au plafonnement.
En outre, l’immunité juridictionnelle des mesures législatives, réglementaires et individuelles prises pour mettre en œuvre le plafonnement garantirait l’effectivité du dispositif.
Si (aujourd’hui ou demain) un tel dispositif constitutionnel aboutissait, d’autres conditions devraient être satisfaites pour qu’il se traduise dans la réalité : maîtrise du calendrier, volonté politique résolue, audace diplomatique et, surtout, esprit de suite.
La révision ne serait qu’un préalable. Il faudrait ensuite de multiples mesures d’application législatives, réglementaires, matérielles pour rendre la pause migratoire effective. Une bonne partie du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit s’asile (CESEDA) serait à réaménager. Il faudrait toucher à d’autres législations (nationalité, sécurité intérieure, droit pénal et administratif…).
Enfin, il faudrait assumer la désapprobation ou les sanctions des instances de l’Union et des deux cours européennes. Elles seraient plus faciles à endurer si, à l’instar de la France, d’autres Etats membres adoptaient des politiques d’immigration strictes et surtout s’il se trouvait une majorité qualifiée d’Etats pour modifier le droit de l’Union afin de permettre ces politiques. Notons à cet égard que c’est dans le droit dérivé (directives retour, asile) que se trouve la source essentielle des contraintes que le droit de l’Union fait actuellement peser sur les Etats.
Qu’en est-il du « référendum d’initiative partagée » (RIP) ?
Le « référendum d’initiative partagée » (RIP) est né de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Contrairement au référendum déjà prévu par les dispositions antérieures de l’article 11 de la Constitution, il ne procède pas de l’initiative du Chef de l’Etat et peut donc avoir pour objet d’infléchir l’action de l’Exécutif et de sa majorité. Ce n’est pas pour autant un référendum d’initiative citoyenne (RIC).
Le déroulement d’un RIP comprend plusieurs étapes :
- La première est celle de la rédaction d’une proposition de loi qui doit être signée par le cinquième au moins des parlementaires en fonctions.
- La deuxième étape est celle de l’examen de la proposition par le Conseil constitutionnel. Sur le fond comme sur la forme, la proposition de loi référendaire doit être en effet déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui se prononce dans le mois de sa saisine (notons que pareille obligation n’est pas imposée par l’art 11 à un projet de loi soumis au référendum par le Président de la République). Le Conseil doit examiner cinq questions : la proposition de loi est-elle présentée par plus d’un cinquième des membres du Parlement à la date d’enregistrement de sa saisine ? A-t-elle pour objet d’abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ? Porte-t-elle sur le même sujet qu’une proposition de loi rejetée par référendum il y a moins de deux ans ? Porte-t-elle sur l’un des sujets mentionnés au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution ? Sur le fond, certaines de ses dispositions sont-elles contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle ?
- Si le Conseil valide la proposition de loi, s’ouvre la troisième étape, celle du recueil des soutiens des électeurs. La période de recueil est de neuf mois. Le nombre de soutiens à recueillir est de 10 % des électeurs inscrits, soit près de cinq millions d’électeurs. La barre de 10 % a été placée très haut par le constituant de 2008.
- Si la proposition recueille le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, s’ouvre la quatrième étape : la proposition doit être examinée par les deux assemblées dans les six mois suivant la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs. Cet examen peut conduire à adopter (avec ou sans amendements) ou à rejeter la proposition, mais il n’a pas à être achevé dans les six mois. Il faut et il suffit que, dans ce délai de six mois, la proposition ait été examinée une fois par chacune des deux assemblées parlementaires.
- Ce n’est que si l’une au moins des deux assemblées n’a pas du tout examiné la PPL dans ce délai que le Président de la République convoque le référendum. Cette convocation est alors une obligation constitutionnelle du Président.
Comme on voit, le RIP est un chemin semé d’embûches, mais cela n’a nullement découragé les tentatives. C’est si vrai que le RIP a été tenté par les oppositions, rien qu’au cours des deux années écoulées, dans deux domaines sensibles : retraites et immigration. Dans les deux cas, l’initiative référendaire a été arrêtée dès le stade de l’examen de la proposition de loi référendaire par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil a ainsi jugé le 14 avril 2023 qu’une proposition de loi référendaire dont le seul objet est de plafonner à sa valeur actuelle l’âge de liquidation des droits à la retraite ne peut être regardée comme portant sur une « réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » A sa date d’enregistrement, relève-t-il, la proposition de loi affirmant que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ne modifie pas l’état du droit.
Quant à la proposition de loi référendaire présentée par les LR en matière de droits sociaux des étrangers, elle a été rejetée le 11 avril 2024 parce que le Conseil constitutionnel a jugé contraire aux exigences du Préambule de la Constitution de 1946 (qui impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées) son article 1er, qui fixait à cinq ans – pour les étrangers non ressortissants de l’Union européenne qui ne travaillent pas – la durée de séjour régulier conditionnant l’obtention de certaines prestations sociales non contributives. Cette durée, pourtant calquée sur celle en vigueur pour le RSA, a été regardée par le Conseil constitutionnel comme trop longue pour ne pas porter « une atteinte disproportionnée » aux exigences du Préambule de la Constitution de 1946. Dès lors, toute la proposition de loi référendaire a été écartée par le Conseil « sans qu’il n’ait à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ses autres dispositions ». Il suffit en effet qu’une seule de ses dispositions soit inconstitutionnelle pour que toute la proposition soit irrecevable. Cela résulte des termes mêmes de l’ordonnance portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le Conseil constitutionnel vérifie, dans le délai d’un mois à compter de la transmission de la proposition de loi : (…) 3° qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution ».
Le RIP est-il un miroir aux alouettes ?
On a beaucoup dit en effet que le RIP était « fait pour ne pas servir ». De fait, aucun des huit RIP tentés à ce jour n’a abouti. Mais, d’une part, cela n’a pas découragé les parlementaires d’opposition de lancer de nouvelles tentatives. D’autre part, même inabouties, ces initiatives peuvent avoir des effets importants.
On l’a vu avec Aéroports de Paris en 2019 : le seul engagement du processus référendaire (qui, pourtant, ne devait pas aller jusqu’à son terme, faute d’avoir recueilli un nombre suffisant de soutiens d’électeurs) avait interdit leur privatisation, celle-ci ne pouvant se réaliser dans des conditions de sécurité juridique satisfaisantes.
Jean-Eric Schoettl
Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel
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