L’actualité démontre à la fois les tensions, la complexité et parfois les difficultés existant entre l’État français et l’outre-mer. Il faut souligner la spécificité de ces territoires. On trouve parmi ceux-ci des îles éloignées du pouvoir central à la fois isolées, vulnérables et exposées aux crises climatique, sanitaire, économique et politique.
De nombreuses affaires récentes mettent en exergue la problématique générale de la gestion de l’outre-mer :
- La question de l’immigration illégale avec l’archipel de Mayotte, près de 1800 gendarmes et policiers sont mobilisés pour déloger des migrants illégaux du département,.
- La difficile négociation entre l’État et les dirigeants de la Nouvelle-Calédonie pour définir un nouveau statut après le référendum de 2021 marqué par le non à l’indépendance ( le non à l’indépendance l’a emporté à 96,50 °/° des suffrages exprimés) ),.
- La victoire des indépendantistes en Polynésie française aux dernières élections territoriales du 30 avril 2023 qui ont donné une majorité absolue de 38 des 57 sièges de l’assemblée territoriale à la liste indépendantiste. Cette liste placée en tête offre la possibilité à ce mouvement de négocier et d’organiser un référendum d’auto-détermination de ce territoire.
Plus largement, on ne saurait exclure de ce débat les questions de politique étrangère à propos des relations compliquées et ambivalentes entre d’une part la France et d’autre part le Maroc et l’Algérie.
En effet, à l’histoire commune et vivace entre ces différents territoires (cf les lois mémorielles) se substitue de plus en plus des rapports de puissance inhérents aux relations internationales.
On peut légitimement s’interroger s’il existe une méthode ou des principes qui pourraient aider les gouvernements à résoudre les conflits internes ou internationaux et plus précisément ceux relatifs à l’outre-mer français. A l’examen de nombreux cas français, la résolution des conflits se fonderait à la fois sur une logique d’égalité, de liberté, d’indépendance conformément au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et d’un partenariat autour d’une vision commune d’intérêts et d’objectifs partagés sur les plans stratégique et économique.
Cette étude se décompose en deux parties : nous examinerons d’abord le cadre juridique des institutions d’outre -mer et ensuite nous analyserons la politique française et européenne de l’outre-mer, en particulier dans le sud du pacifique.
I. Des statuts entre tradition et modernité
D’un point de vue institutionnel, l’organisation des institutions de l’outre-mer se caractérise par deux régimes principaux : les départements d’outre-mer (DOM- art 72 et svt) et les Territoires d’outre-mer (TOM). Le premier possède des compétences classiques d’un département de la métropole soumis dans le même temps au droit européen et le deuxième dispose d’une large autonomie avec un président, un gouvernement et une assemblée. La même structure est applicable pour la Polynésie française et la Nouvelle -Calédonie.
Deux principes juridiques régissent le fonctionnement de ces territoires : les règles d’unité et de diversité. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, il n’y a pas coexistence de deux systèmes juridictionnels. Les lois et les coutumes sont soumises à un seul système plus ou moins homogène conformément au principe d’unité. Le principe de diversité qui s’applique essentiellement à la Nouvelle-Calédonie se fonde sur l’article 74 de la constitution. Il s’exprime et s’appuie sur la diversité culturelle et la pluralité des sources juridiques , la protection de l’environnement ou encore l’altérité…(cf: »Culture et modernité dans l’outre-mer français » ( A Bayen-A.de Raulin »Edit L’Harmattan 2021). D’ailleurs la mise en œuvre sur le plan juridique des particularismes culturels fut un des succès et enjeux de l’accord de Nouméa en 1998.
Cette entité culturelle repose principalement sur l’identité kanak fondée à partir de la la terre. Celle-ci est un bien collectif et public qui va dans le même temps à structurer la vie sociale de ces communautés.
Cette terre comme valeur sacrée est non seulement le support de l’appartenance à une communauté à un environnement donné mais elle est aussi le symbole d’une autorité incarnée par un chef. L’accord de Nouméa, en 1998, précise que « les langues kanak sont, avec le français, des langues d’enseignement et de culture en Nouvelle-Calédonie… Le droit foncier, le droit civil sont des compétences de la Nouvelle-Calédonie.
La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française peuvent délibérer sur de véritables lois qualifiées de « lois du pays ». Sans doute, le juriste classique est étranger à cette culture plurielle dont la tradition a « force de loi ».
II. L’outre-mer à l’épreuve de la mondialisation
A la guerre économique s’ajoute désormais d’autres conflits de nature différente qui sont d’ordre politique et géopolitique. Il est d’ailleurs intéressant d’observer à la fois la fragmentation de la société internationale et aussi l’interaction des conflits actuels ukrainiens et taïwanais.
La guerre en Ukraine est un marqueur important de la géopolitique mondiale en raison de son impact dans la société internationale. Cette guerre est à la fois l’expression de l’impérialisme russe sur ces anciens territoires, le rôle et l’influence des Etats-Unis à l’égard des pays de l’occident, l’attirance et le nouveau prestige de la Chine pour des pays tels que le Brésil, ceux du Moyen- Orient et d’Afrique. Dans le même temps, aucun pays ne peut oublier Taïwan.
Il y aurait un point commun entre les deux conflits de l’Ukraine et celui de Taïwan : c’est le non-respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. On peut s’étonner d’ailleurs du silence de l’ONU et des dirigeants internationaux à propos du respect de ce principe alors qu’il est un des outils principaux du droit international.
Parallèlement à ces conflits, on assiste au renforcement et à la naissance de nouveaux blocs qui correspondent dans les grandes lignes aux positions des pays dans ces deux conflits. Il y un axe autoritaire entre la Chine de Xi Jinping et la Russie de Poutine qui ont pour objectif de réviser l’ordre international et d’éliminer les libertés publiques, un axe occidental fondé sur l’État de droit et la liberté et un troisième groupe « Sud global » composé de l’Inde, l’Amérique du sud et de l’Afrique du Sud.
Les conflits en Ukraine et à Taïwan représentent désormais des défis majeurs en ce qui concerne la stabilité et la sécurité de la société internationale. En ce début du XXIème siècle, nous sommes donc dans cette phase d’une nouvelle redistribution des cartes géopolitiques où chaque pays prend une nouvelle place dans l’un des blocs en fonction de ses intérêts économiques et stratégiques. De nouveaux choix politiques et géopolitiques s’imposent en ce qui concerne les États pour plusieurs décennies ce qui expliquer sans doute l’actuelle effervescence du « climat politique « de la communauté internationale.
Quelle est la position de l’Europe et en particulier de celle de la France par rapport à ces crises internationales et plus exactement en Ukraine ?
Malgré le soutien militaire important apporté par l’Europe et l’Union européenne à l’Ukraine, on ressent une sorte d’impuissance politique de la part des européens à résoudre ce conflit.
Certains dénoncent même l’incapacité de l’Europe à gérer ses propres affaires. Des divergences de plus en plus profondes apparaissent entre l’Allemagne et la France et notamment entre les partisans d’une Europe pro-atlantiste et celle d’une Europe souveraine.
Certes, nous pouvons noter que la crise ukrainienne a provoqué le réveil géopolitique de l’Europe et celui de l’OTAN. Dans ce moment de grande tension internationale, la France recherche la paix et l’ouverture de négociations entre l’Ukraine et la Russie. La « troisième voie » chère au général de Gaulle et revendiquée par le président E. Macron pour les conflits en Ukraine et le Taïwan est un chemin étroit semé d’embuche…car comme le déclarait le président « Nous sommes des alliés des Etats-Unis, des alliés fiables, solides, engagés mais nous sommes des alliés qui décidons par nous- mêmes. »
Au regard de cette nouvelle carte géopolitique qui est en train de se dessiner, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui est impliquée. Qu’il s’agisse de l ‘Asie, de l’Afrique, de l’Amérique du sud et des pays arabes, c’est maintenant le monde entier qui subit les conséquences des conflits. A ce titre, la région du pacifique sud qui s’étend sur 22 pays participe aussi à ce mouvement. La part de cette région dans les dépenses militaires mondiales est passée de 20 % (2009) à 28% (2019).
La France et l’Europe entendent jouer un rôle majeur dans cette région du monde. Une évaluation pertinente et présente de ces territoires décrit non seulement une rivalité entre les deux grandes puissances la Chine et les Etats-Unis mais également des pays qui possèdent d’importantes ressources dans les domaines de la pêche, les minéraux (cf la Nouvelle-Calédonie qui est le troisième producteur mondial de nickel), la biodiversité et plus globalement sur la problématique du changement climatique.
L’Europe est décidée de s’engager de plus en plus dans les pays du pacifique sud et dans la zone indopacifique sur les plans politique et économique avec le support des PTOM.
L’UE veut renforcer sa présence et ses actions autour de trois axes principaux : des voies maritimes libres et ouvertes, des conditions de concurrence équitables pour le commerce et l’investissement et un ordre international fondé sur le respect de la démocratie, des droits de l’homme et du droit international.
Les résultats électoraux en Polynésie le 30 avril 2023 avec la victoire de la liste indépendante et l’annulation du contrat de sous-marins de plus de 56 milliards d’euros entre l’Australie et la France en 2021 considéré par certains comme le contrat du siècle ont eu un impact négatif sur la cohésion occidentale. Cette décision a entamé sérieusement le capital de confiance qui pouvait exister entre ces différents membres. Cette décision marque l’absence de cohérence entre les pays occidentaux dans cette région du monde et renforce la nécessité pour l’Europe d’acquérir l’autonomie stratégique européenne.
Pendant longtemps, les Etats-Unis et les occidentaux ont porté peu d’intérêt pour les Etats insulaires du pacifique du sud. La Chine en a tiré un avantage pour devenir un partenaire économique et politique avec ces pays en particulier au Tonga, Fidji et Vanuatu. Afin de freiner et de contenir l’offensive chinoise, J. Biden a renoué maintenant le dialogue avec les pays de la région. Il a mis en place une stratégie afin de créer une nouvelle dynamique et une solidarité occidentale. Cette stratégie repose sur le régionalisme tout en se référant à la vision globale de l’indopacifique. La promesse de financement, l’aide économique et la sécurité sont les priorités de la diplomatie américaine. Il faut y ajouter l’organisation de sommets régionaux avec le le Forum des îles du Pacifique. Cette institution compte 18 membres dont les collectivités territoriales de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. Cette institution joue un rôle moteur dans les échanges entre États du pacifique sud et les Etats-Unis. Le président américain doit rencontrer le 18 mai 2023 les dirigeants du pacifique en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Un important contentieux existe entre les Etats-Unis et la Chine au sujet d’un projet d’installation d’une base navale par la Chine dans les îles Salomon.
Dans ce contexte d’enlisement, l’entretien du 24 avril 2023 entre les présidents ukrainien et chinois apporte quelques espoirs pour la résolution du conflit en Ukraine. La Chine pourrait se révéler comme une des puissances médiatrices du conflit soutenu par d’autres partenaires comme le « Sud global ». De même, les Etats-Unis et l’Europe en tant qu’alliés de l’Ukraine ont une responsabilité capitale en ce qui concerne le règlement de cette grave crise internationale.
Arnaud de Raulin
Professeur émérite des universités