L’élection de Donald Trump en 2016 avait surpris beaucoup de commentateurs, trop loin sans doute des réalités américaines d’un pays divisé et bien loin encore de comprendre l’ampleur de la transformation complète de nos sociétés occidentales en sociétés du spectacle total. Par Alexis Poulin.
Donald Trump incarne un moment clef de l’histoire des Etats-Unis mais aussi, du monde.
Jamais une figure de la culture populaire du récit américain n’avait à ce point bouleversé le monde si codifié de Washington. Cet héritier, fan de golf et de son autopromotion élevée au rang d’art, est la figure centrale du culte du « winner » américain, artiste du deal, mégalomane assumé et incarnation de la toute puissance financière de Wall Street. Après avoir travailler pendant des années à devenir une marque grand public, grâce notamment à la télé-réalité, c’est par bravade qu’il avait choisi de se présenter à la candidature, en prenant le parti de renouer avec les oubliés du GOP (Grand Old Party), tout en flattant une base religieuse plus large et maintenant les fondamentaux économiques et culturels des conservateurs.
Son slogan « Make America Great Again » avait résonner chez les nostalgiques de l’Amerian Way of Life et chez tous ceux, qui aux US, comme en Europe, étaient devenus les perdants de la mondialisation initiée par les financiers américains dans les années 1980.
Trump incarne donc l’abandon d’une époque tout en ne respectant pas les codes des cercles du pouvoir politique, y substituant les codes de l’entreprenariat agressif et du deal à marche forcée.
Mais de l’épopée folle de ce président hors-normes, l’histoire ne retiendra peut-être que la débandade finale, baroud d’honneur pour contester les résultats électoraux sans succès et l’image d’un président dépassé par ses troupes, prêtes à le prendre au mot pour envahir le Capitole. Il devient alors impossible pour le président du « Law and Order » d’aller plus loin dans sa fabrication d’une vérité alternative complaisante. La ligne rouge a été franchie et Donald Trump n’a plus d’autre choix que d’assurer la transition avec l’administration Biden, sans pour autant reconnaître sa défaite et promettre un nouveau voyage à ses soutiens.
Banni des réseaux sociaux Facebook, Instagram, Snapchat, censuré sur Twitter, celui qui était le roi de ces réseaux en devient le prince noir, enfermé dans une tour numérique par les nouveaux rois, les patrons des GAFAM, ces entreprises-monde qui substituent leurs règles à tous les droits nationaux en vigueur. Rien de réjouissant dans ce putsch numérique qui couronne les nouveaux maîtres du monde, capables de faire et défaire les élections et les pouvoirs partout dans le monde, à coup d’algorithme opaque ou de censure affichée.
Et Biden ne s’y est pas trompé, son administration regorge de hauts cadres issus des cercles de pouvoir de la Silicon Valley.
Là où Trump aurait pu être un contre-pouvoir utile à la surpuissance des géants du numériques, Biden, lui, en devient le relais officiel.
Ce moment Trump raconte donc en contre-jour la prise de pouvoir des réseaux numériques sur les jeux démocratiques traditionnels. De son élection de 2016, à l’époque contestée sur fond d’ingérence étrangère sur les plateformes à son bannissement de ces plateformes, c’est un changement de paradigme complet opéré par les plateformes qui maintenant affirment leur pouvoir de manière décomplexée.
La question se pose aussi de manière urgente en France, car ces mêmes plateformes collaborent avec les autorités, deviennent des éléments centraux des systèmes de surveillance et de fichage et les premiers rouages des politiques de censure.
Censure et propagande numérique aux mains d’une poignée de multimilliardaires : est-ce que cela est encore la démocratie ?
Ces derniers partisans, comme perdus dans le Capitole une fois leur forfait accompli, ressemblaient à des visiteurs étrangers dans leur propre pays, ne comprenant ni la portée de leur geste, ni même le sens de celui-ci : pas assez nombreux pour un coup d’état, inorganisés et comme interdits devant leur propre action. Quelles furent leurs actions une fois entrés dans le lieux symbolique de la démocratie américaine ? Prendre des vidéos et des « selfies » pour les poster sur les réseaux sociaux.
Travailleurs du clic assumés, les citoyens se sont déjà transformés en employés bénévoles des GAFAM, incapables de faire autre chose qu’utiliser leur téléphone portable pour nourrir les réseaux, ces ogres à contenus qui dévorent leurs utilisateurs.
Trump a été le lien entre le monde des mass-média et le monde des réseaux numériques, il a montré que le spectacle pouvait se suffire à lui-même en lieu du pouvoir. Il a aussi montré les limites et les leurres de nos démocraties soit disant libérales.
Alexis Poulin
Fondateur du Monde Moderne