La visite du président de la Knesset à Rabat en juin dernier a suscité de vives réactions au Maroc : manifestations contre sa venue, communiqués de protestation émanant de partis politiques majeurs, déclarations d’associations hostiles à cette visite se sont succédés. En vain, puisque la visite officielle d’Amir Ohana a bien eu lieu. Celle-ci fut l’occasion pour le roi de réaffirmer la reconnaissance officielle de l’Etat d’Israël signée en 2020, en contrepartie d’une reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Le roi Mohammed VI, en ratifiant ces accords malgré l’opinion marocaine largement défavorable, aurait-il réussi un coup diplomatique et politique majeur ?
Une victoire diplomatique au Sahara occidental
La reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Maroc s’inscrit dans le cadre de relations tripartites avec les Etats-Unis. Les relations américano-marocaines sont très anciennes : l’Empire chérifien est en effet le premier Etat à reconnaître officiellement en 1777 l’indépendance des Treize Colonies devenues les Etats-Unis.
Cette amitié originelle s’est maintenue jusqu’à nos jours, par des accords bilatéraux, notamment en l’accord de libre-échange (ALE) signé le 15 juin 2004, qui recouvre tous les secteurs commerciaux des deux pays.
Ces dernières années, la puissance culturelle américaine a même accentué son influence sur le Maroc, avec l’établissement de nombreux instituts américains sur le territoire marocain, et l’expansion de l’anglais au détriment du français parmi les jeunes générations.
La reconnaissance du Sahara occidental représente donc une victoire diplomatique majeure pour le Maroc, qui voit, non seulement ses liens avec la puissance américaine renforcés, mais sa légitimité renforcée sur un territoire disputé par un mouvement indépendantiste soutenu par son rival algérien.
Bien que l’administration Biden se soit montrée moins encline à suivre la politique de son prédécesseur sur la question du Sahara occidental, elle n’a jamais remis formellement en question les accords tripartites signés en 2020.
Côté israélien, les relations entre la monarchie chérifienne et l’Etat juif sont elles aussi anciennes, bien qu’ambiguës et souvent secrètes. En 1965, le roi Hassan II permet ainsi à des agents du Mossad d’espionner des discussions confidentielles entre les dirigeants arabes, se tenant à l’hôtel Casablanca. Les informations récoltées par le Mossad ont joué un rôle crucial dans la victoire israélienne lors de la Guerre des Six Jours deux ans plus tard, révélant notamment les divisions profondes qui existaient au sein du camp arabe.
Les relations israélo-marocaines prennent dans les décennies suivantes une tournure plus officielle, avec plusieurs visites du Premier Ministre Shimon Peres au roi du Maroc au cours des années 1980 et 1990. Une amitié se noue d’ailleurs entre les deux hommes.
Enfin, malgré une rupture des relations diplomatiques en 2000 entre les deux pays à la suite de la Seconde Intifada, la tendance au rapprochement s’est maintenue, malgré l’opposition de l’opinion publique marocaine, majoritaire hostile à l’Etat d’Israël.
Les relations diplomatiques israélo-marocaines se sont donc plutôt faites par le haut, et correspondent donc à un rapprochement personnel entre les élites, qu’à une reconnaissance populaire mutuelle.
Toutefois, ces tensions politiques n’empêchent pas l’existence de relations commerciales étroites entre le Maroc et Israël.
Une victoire politique à Rabat : l’affaiblissement de la majorité religieuse
La reconnaissance de l’Etat d’Israël, si elle s’accompagne de la reconnaissance du Sahara Occidental par les Etats-Unis, n’en laisse pas moins de soulever les réprimandes d’une grande partie de l’opinion marocaine. Le parti au pouvoir, Justice et Développement (PJD), à la ligne religieuse, est vivement opposé à toute reconnaissance, officielle ou officieuse, et a fait de la question palestinienne son cheval de bataille, y voyant un enjeu civilisationnel.
Suite à l’annonce américaine le 10 décembre 2020 d’un accord tripartite signé prochainement, le Ministre de l’Emploi rompt l’unanimité gouvernementale en affirmant publiquement que la majorité des Marocains s’opposait à cet accord. Il suivait par là la doctrine de son parti, dont le noyau idéologique s’articule autour de la solidarité entre Etats musulmans.
Pourtant, le 22 décembre 2020, le Premier Ministre Saad Eddine Al Othmani, également chef du PJD, signe l’accord tripartite avec les représentants américain et israélien, en présence du roi Mohammed VI et du ministre marocain des Affaires Etrangères Nasser Bourita. Dans un rapport ultérieur, El Othmani déclare que « le parti ne peut pas entrer en contradiction ou en collision avec les orientations de l’État et les directives du roi » (source : AFP, 2020), mettant également en avant le fait qu’il n’avait été prévenu de la date de la signature qu’au dernier moment.
Malgré ces déclarations, la signature de ces accords par un parti si ouvertement opposé à la normalisation des relations avec Israël fait imploser la majorité religieuse.
En s’impliquant si étroitement dans ces accords, le PJD ressort divisé et décrédibilisé de cette séquence politique, entre les partisans de l’unité nationale et les soutiens indéfectibles de la Palestine.
A l’inverse, le roi Mohammed VI s’en trouve considérablement renforcé : récoltant les lauriers de la reconnaissance américaine du Sahara occidental, il échappe en partie à l’ire de l’opinion sur la question d’Israël, tout en affaiblissant le parti au pouvoir, qui avait été son principal opposant lors des printemps arabes de 2011, et qui avait contraint la monarchie à faire des concessions constitutionnelles aux partis.
Dans le champ politique, le roi n’a pour l’heure plus d’opposant qui puisse remettre en cause son autorité. Cependant, les protestations restent vives dans la population civile, et de nombreuses associations ont dénoncé les accords, et poursuivent une action militante d’opposition : on peut citer des organisations de gauche non-gouvernementale (Fédération de la gauche démocratique, La voie démocratique), qui agissent au nom de la défense des droits de l’Homme ; et des organisations religieuses, au premier rang desquelles on trouve le Mouvement Unicité et Réforme, matrice idéologique du PJD.
A défaut de s’exprimer dans la chambre législative au gouvernement, l’opposition prend de plus en plus la forme d’un activisme civile militant toujours plus dynamique.
Nathan Le Guay