Le secteur de la pornographie est économiquement luxuriant et très lucratif. Rappelons le nombre de connexions mondiales : selon les estimations, environ un tiers du trafic web mondial serait lié à la pornographie. Que les adultes y aient un accès facile relève évidemment de la liberté individuelle, même si on peut se questionner sur la place que prend une certaine forme de sexualité dans la vie ( l’équilibre?) des citoyens. Cette dimension sociologique mériterait d’être étudiée.
Malheureusement, cet accès facile l’est aussi pour les enfants et adolescents : ils sont de plus en plus jeunes à y être confrontés. Rappelons que ce n’est pas forcément pour avoir cherché ce genre d’images que les enfants y sont exposés ; ce peut être à l’occasion d’une recherche sur internet (et on demande, y compris dans l’espace « protégé » de l’éducation nationale, de faire toutes ses recherches sur le net) : par exemple, cherchez des informations sur « chatte » ou « étalon ».
L’exposition à ce genre de contenu peut être aussi sur le smartphone d’un enfant plus grand, d’un cousin, lors des « soirées pyjamas » si peu surveillées.
Que disent les professionnels de terrain, qui témoignent de l’état actuel des choses et ne font pas de supputations de salon : des animateurs du temps périscolaire voient, dans la cour de récréation, dès l’école maternelle, des petits enfants mimer des scènes pornographiques ! L’âge moyen d’exposition à la pornographie est de 10 ans en France.
Age moyen, cela veut dire que nombreux sont ceux qui y ont été exposés bien avant.
Une étude de Bitdefender (logiciel antivirus) en 2013 (!), révélait que 6% des enfants de moins de 18 mois avaient regardé de telles images.
Quelles conséquences pour les enfants?
Si les enfants miment les scènes en récréation, c’est qu’ils n’ont pas compris ce qu’ils ont vu, et qu’ils cherchent des réponses par la répétition. Cela a exactement la même fonction que lors d’un traumatisme psychique. Le traumatisme provoque des cauchemars répétés, des scènes qu’on revit jour après jour dans la vie diurne et qui impactent le fonctionnement cognitif et les apprentissages.
Les cauchemars et les reviviscences ont cette fonction de tenter de trouver une maitrise de ces événements traumatiques.
Les enfants sont très sensibles à ce qu’ils entendent et à ce qu’ils voient, surtout si cela reste énigmatique, ou chargé émotionnellement. On dit d’ailleurs que les enfants sont de vraies « éponges » émotionnelles. Par exemple, pendant le confinement, les adultes étaient très inquiets et passaient beaucoup de temps devant la télévision ou autres médias, et qu’entendait-on ? chaque jour le nombre de morts, les images de cercueils… Les enfants, la plupart de temps, étaient présents et entendaient toute cette inquiétude. Cela a-t-il pu rester sans effet ? Je cite le témoignage d’une collègue mère de famille : en juin 2020, il y a eu une petite fenêtre où les écoles ont été réouvertes. Certains enfants ont pu y retourner. L’enfant de cette collègue, en revenant de l’école, était d’une humeur exceptionnellement joyeuse, a parlé à sa mère de sa journée d’école beaucoup plus qu’habituellement : oui, cette journée avait pu lui donner la certitude que personne n’était mort ! son instituteur n’était pas mort ! ses camarades n’étaient pas morts ! Quelle joie ! Les enfants sont évidemment très impactés par des informations qu’ils ne comprennent pas. Ainsi, au début de la guerre en Ukraine, un enfant s’inquiétait de savoir si son père allait partir à la guerre ! Imaginons donc comment un enfant peut recevoir des images porno !
On sait que la parole en famille, les explications, sont tout à fait nécessaires, mais la réalité dépasse souvent ce qu’on imaginait devoir expliquer. Les parents savent aujourd’hui que la parole de l’enfant doit être écoutée et favorisée, mais n’imaginent pas comme les enfants peuvent garder pour eux leur inquiétude pour ne pas aggraver celle qu’ils ressentent chez leurs parents.
Le fonctionnement des jeunes enfants n’est pas celui des adultes, ils se sentent beaucoup plus coupables que ce que l’on croit. D’autant plus lorsqu’ils sont traumatisés par les images pornographiques, énigmatiques, incompréhensibles pour eux, et qu’ils savent plus ou moins interdites. Il est donc très important d’informer très tôt les enfants, en fonction de leur âge, des différence sexuelles et de la sexualité. L’éducation sexuelle devrait commencer dès l’âge maternel, parce que c’est beaucoup plus facile qu’à l’adolescence. Parler de la différence de sexes, du consentement, de l’amour, de la tendresse ; réactualiser en fonction des âges, parler des risques d’internet et des images choquantes, violentes, que chacun peut être amené à voir : tout cela devrait être fait le plus tôt possible. Par qui ? les parents, les éducateurs, les cours d’éducation sexuelle…
Chez les adolescents, la question est plus complexe. Rappelons d’abord que la majorité sexuelle est fixée à 15 ans en France : donc avant 15 ans, ils sont mineurs sexuellement et doivent être protégés.
Quels sont les effets du porno : image dégradée de la sexualité, image dégradée des femmes, image fausse du corps, violence dans les actes sexuels, dénégation du consentement… L’image du corps des adolescents est très complexe : ce corps en changement que les adolescents ne reconnaissent plus lorsque les signes de puberté arrivent (apparition des poils, modification des organes génitaux externes, croissance des seins, acné..) leur pose beaucoup de problèmes. Ils se trouvent en général moches, pas dans la norme, surtout pas dans celle dictée par les réseaux sociaux. C’est pourquoi tous ces logiciels et applications de filtres qui changent la forme des visage, de la taille des seins, bref de toute partie du corps qui ne correspond pas aux attentes de perfection, ont tellement de succès.
Les images du corps des acteurs de porno (notion très importante à rappeler à nos adolescents : ce sont des acteurs, maquillés, épilés, payés pour ce qu’ils font…) perturbent les adolescents car leur propre corps ne leur ressemble pas, ni dans leur aspect, ni dans leur fonctionnement.
Ils peuvent donc se sentir dévalorisés, atteints narcissiquement et on sait comment les adolescents sont fragiles de leur narcissisme, jusqu’à ce qu’ils dépassent cette période.
Pourtant il existe des ressources :
- des textes de loi existent, malheureusement non appliqués : « Nous n’appliquons pas les lois de la France, notamment celle qui prévoit des heures d’éducation à la vie affective et sexuelle à partir de 4 ans. Ces cours permettraient aux jeunes de prendre du recul sur ce qu’ils voient » (Israel Nizand, gynécologue).
- Article 227-24 – Version en vigueur du 01 mars 1994 au 01 janvier 2002. « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Qui relaie ces informations majeures ?
- Des ressources médiatiques :
- un documentaire d’Antenne 2 avec des témoignages de jeunes adultes victimes dans leur adolescence des images pornographiques : « Pornographie, un jeu d’enfant »
- video sur Brut : « Pourquoi il faut parler de la pornographie à nos enfants avant qu’internet ne le fasse », documentaire conçu par des professionnels belges
- et bien sûr, citons le rapport éclairant en décembre 2022 des sénatrices Annick Billon, Présidente, Rapporteure, Vendée, Alexandra Borchio Fontimp, Alpes-Maritimes, Laurence Cohen, Val-de-Marne, Laurence Rossignol, Oise. Quelques extraits :
« Des scènes pornographiques comportent de la violence. Les violences sexuelles, physiques et verbales sont massivement répandues dans le porno, revêtant un caractère systémique »
« Une consommation massive, banalisée et toxique, chez les enfants et adolescents comme chez les adultes ». « Le porno est aujourd’hui accessible à tous, gratuitement, en quelques clics, sans aucun contrôle. »
« En violation totale de l’article 227-24 du code pénal, les mineurs sont massivement exposés aux images porno, volontairement comme involontairement : source = Opinionway, 2018.
Les conséquences sur la jeunesse sont nombreuses et inquiétantes : traumatismes, troubles du sommeil, de l’attention et de l’alimentation, vision déformée et violente de la sexualité, difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, (hyper) sexualisation précoce, développement de conduites à risques ou violentes, etc.
Ces conséquences ne se limitent d’ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, leurs représentations d’eux-mêmes, des femmes et de la sexualité. »
« Les internautes ont accès à des contenus de plus en plus violents. S’ils ne sont pas forcément les plus recherchés, ils sont cependant très vite proposés sur la page principale des sites ou dans l’onglet « vidéos les plus regardées ». Des recherches ont en outre montré qu’en cas d’accoutumance à la pornographie, les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents. »
« Le porno construit une érotisation de la violence et des rapports de domination, érigés en normes. Il multiplie et encourage les stéréotypes sexistes, racistes et homophobes.»
Ce rapport conclut à des recommandations pour les mineurs :
- Faciliter les suppressions de contenus illicites et le droit à l’oubli
- Appliquer enfin la loi sur l’interdiction d’accès des mineurs et protéger la jeunesse
- Éduquer, éduquer, éduquer
Le problème de l’exposition des mineurs à des contenus pornographiques est complexe et nécessite une volonté politique ferme pour s’opposer à tous les obstacles mis en avant par les industries du numérique et de la pornographie, et imposer une régulation nécessaire à la protection de la jeunesse.
Marie-Claude Bossière
Pédopsychiatre
Associée à l’Institut de Recherche et d’Innovation
Membre du collectif CoSE
Auteure de « Le bébé au temps du numérique », éditions Hermann, 2021.