Il y a quelques semaines, une partie des candidats à l’élection présidentielle, s’est prêtée au jeu du grand oral devant le Medef, soutenant, pour la plupart, l’importance du dialogue social. Or, malgré l’intérêt pour ce type d’exercice, les Français ont de moins en moins confiance dans les relais d’intermédiation, comme les syndicats et organisations professionnelles.
Nous sommes confrontés à cet étrange paradoxe d’une société qui n’a jamais été autant engagée pour des causes, des combats, des mobilisations (nuit debout, les gilets jaunes ou la mobilisation pour le climat) mais qui ne se reconnaît pas ou plus dans les corps intermédiaires constitués. Or ceux-ci ont un rôle majeur à jouer au service d’une participation plus citoyenne et du renforcement du débat public pour répondre aux grands enjeux auxquels devra répondre le prochain quinquennat.
Dans son ouvrage L’Ancien Régime et la Révolution, le philosophe Alexis de Tocqueville plaidait déjà pour la reconnaissance des corps intermédiaires dans la démocratie alors que la Révolution Française les avait interdits. Il a ainsi « stigmatisé un pouvoir central ‘‘parvenu à détruire tous les pouvoirs intermédiaires’’, apparaissant ‘‘comme le seul ressort de la machine sociale, l’agent unique et nécessaire de la vie publique’’, ayant fait en sorte ‘‘qu’entre lui et les particuliers, il n’existe plus rien qu’un espace immense et vide’’ ». Telle est donc la place que les corps intermédiaires sont appelés à occuper. Or, ces dernières années, les organisations professionnelles ont laissé ce vide se creuser. Elles sont également confrontées à un malaise démocratique contemporain où les citoyens ne se sentent pas représentés.
De nouvelles prises de parole voient également le jour, favorisées par les nouvelles technologies qui favorisent l’expression directe de chacun via, entre autres, les réseaux sociaux. De même, l’organisation récente de conférences citoyennes permet de renouveler les relations entre les décideurs publics et les Français.
Or, ces procédures participatives tendent néanmoins à se substituer à l’échange des pouvoirs publics avec les associations professionnelles dont les expertises techniques, sectorielles et économiques, souvent parmi les plus pointues, restent un atout pour construire le consensus et élaborer la décision.
La désintermédiation peut devenir un risque démocratique majeur, le lien direct entre le pouvoir et les citoyens par le développement d’objets politiques non identifiés n’étant pas une alternative viable dans notre processus démocratique. Guy Hermet, dans son ouvrage publié en 2007 annonçait déjà « l’hiver de la démocratie » qui conduit au populisme.
Or, les corps intermédiaires sont les « institutions de l’interaction », selon la définition de Pierre Rosanvallon, à la fois relais et amortisseurs entre l’État et les citoyens, ils peuvent ainsi permettre de renouer le lien démocratique entre l’individu et le collectif. Pour ce faire, il est urgent de repenser leur modèle en ouvrant leurs travaux et leur gouvernance aux ONG et aux associations de consommateurs pour partager et construire collectivement. De même, afin de renouer un dialogue économique fort avec l’État, il est essentiel de systématiser la consultation des associations professionnelles quand une décision qui concerne leurs secteurs et activités doit être prise. Cette consultation en amont des processus législatifs et réglementaires reste trop rare, trop aléatoire et trop informelle. Ces nouvelles procédures seraient de nature à réactiver le dialogue avec les représentants de la société civile en reconnaissant pleinement leur rôle et leur apport de valeurs tout en évitant des mesures parfois peu réalistes dans leur mise en œuvre opérationnelle… C’est finalement user d’un « soft power » diplomatique pour le mettre au service de l’intérêt général en dépassant l’horizon sectoriel ou structurel. C’est également s’appuyer sur la force démocratique des associations professionnelles présentes aux niveaux économique, social, territorial, véritable lieu de débats à la frontière du public et du privé.
Pour survivre, la démocratie doit se réinventer et un nouveau rôle doit être donné aux associations professionnelles en refusant leur affaiblissement pour renouer le dialogue avec les Français sur l’ensemble des territoires. C’est en leur redonnant une véritable légitimité, un nouveau cadre d’actions qu’elles pourront pleinement jouer leur rôle dans l’accompagnement des grandes transformations du pays avec le souci de l’intérêt général.
Delphine Jouenne, chef d’entreprise, auteur
Christophe Hautbourg, directeur général d’une organisation professionnelle, administrateur du CEDAP, réseau des dirigeants d’associations professionnelles