Malgré la violente altercation qui l’a opposé à Charles de Gaulle dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, Winston Churchill a consenti à son voyage normand, deux jours après le sien. Le 14 juin, le président du gouvernement provisoire de la République française débarque à Courseulles et laisse, à Bayeux, François Coulet certain qu’il se débrouillera. Le 12, dans un câble envoyé vers Alger, il avait demandé qu’on procède immédiatement à sa nomination comme Commissaire de la République pour la région de Rouen, en annonçant « publiquement et avec beaucoup d’éclat cette nomination ».
Pour de Gaulle, Il s’agit d’empêcher une administration militaire alliée considérant la France comme un territoire occupé. Même les régions de débarquement doivent être administrées par des Français, sans aucun retard. Pour la tête de pont de la grande offensive alliée en Europe, bataille suprême, bataille de la France, il a choisi un diplomate de carrière dont il avait fait son chef de cabinet en 1941-1942. Coulet avait été secrétaire général de la Corse libérée en octobre 1943 puis, au sein du Commissariat à l’Intérieur, à compter du 26 novembre, le directeur chargé de la préparation administrative de la libération et de définir ce que feraient les Commissaires régionaux de la République dans les territoires libérés.
Installé en zone britannique, Coulet tient, dès le 16 juin, une conférence de presse pour montrer que l’administration française fonctionne sans être un facteur de désordre. Le 19, le général Lewis lui déclare que les Alliés acceptent sa présence provisoirement. Toutefois les équipes des civil affairs s’aperçoivent vite que les Français font preuve « d’efficacité et d’initiative » et qu’ils n’ont besoin que d’un quart de leurs effectifs. Ils apprécient l’aide apportée pour l’aménagement des hôpitaux de campagne et la modération en matière d’épuration. Coulet a décidé de jouer mou pour tenir compte de l’égoïsme des possédants. La profusion du ravitaillement frappe tous ceux qui ont subi les restrictions sur le sol britannique. L’AMGOT s’évanouit comme les autorités nommées par le gouvernement de Vichy.
Lewis témoignera ensuite d’un Coulet qui n’aurait pas pu être plus coopératif dès lors que les Alliés respectaient les droits de la souveraineté française. S’agissant de la monnaie alliée estampillée d’un drapeau tricolore et distribuée aux unités militaires de débarquement, du 16 au 26 juin, les Normands s’étaient empressés de régler 128 350 francs d’impôts avec ce que de Gaulle qualifia de fausse monnaie ! Ayant menacé de faire refuser ces billets par les perceptions, Coulet obtint, le 27, un accord secret validé par le général Koenig et le SHAEF pour des remboursements en billets de banque français.
Tandis que Bourdeau de Fontenay, futur premier directeur de l’ENA, patientait pour exercer sa mission de Commissaire depuis Rouen, Coulet déploya toute sa persuasion afin que les élus locaux comprennent qu’ils devaient refuser des demandes alliées incompatibles avec des nécessités économiques ou sociales ou avec la souveraineté française. A la fin du mois de juillet, malgré l’accueil réservé à Charles de Gaulle pendant son voyage à Washington, il reconnut qu’avec les Américains il n’arrivait qu’à « des ententes imparfaites (… paraissant) continuellement révocables »
Le 25 août 1944, un accord franco-britannique de niveau gouvernemental illustra la victoire de la stratégie gaullienne. Mais les Américains acceptèrent seulement alors un échange de lettres entre le général Eisenhower et le général Koenig ; ils ne reconnurent le GPRF qu’en octobre. Son président se félicita alors que son gouvernement soit appelé par son nom.
Le succès global de la mission de Coulet lui valut d’être nommé, le 13 septembre 1944, délégué aux relations interalliées auprès du ministre des Affaires étrangères. Il supervisa les aides aux troupes américaines pour un montant de 868 millions de dollars en fournitures et services divers. Ceci compensait partiellement les 2 294 millions de dollars reçus par les forces armées françaises entre novembre 1941 et septembre 1945.
Né le 16 janvier 1906 à Montpellier, François Coulet, fils d’un recteur d’Académie, resta un haut fonctionnaire atypique. Directeur d’Europe au Quai d’Orsay en 1946-1947, il fut ensuite ambassadeur en Iran puis en Yougoslavie. Exaltant la vertu des temps difficiles, il s’engagea comme lieutenant-colonel en 1956 et devint chef des commandos parachutistes de l’Air. En 1960, il dirigea les affaires politiques de la délégation algéroise du gouvernement avant de devenir président de la SOFIRAD en 1962. Le général de Gaulle lui dédicaça alors son portrait en écrivant : « à François Coulet, mon bon compagnon, mon ami ». Marié à une Britannique, il mourut à Paris le 11 juin 1984, trois jours avant le 40e anniversaire de son débarquement capital en Normandie.
Charles-Louis Foulon
Historien
Auteur en 1975 de Le pouvoir en province à la libération, préfacé par René Cassin (Colin/FNSP) et, en 2015, avec Arnaud Benedetti, aux éditions Economica, de L’ordre républicain dans les circonstances exceptionnelles, préfacé par Jean-Louis Debré