« Porte-parole du gouvernement, c’est un boulot de chien. En ce moment, j’ai l’impression de repasser mon Bac. J’apprends des fiches et des fiches. » Les premières confessions de Sibeth Ndiaye, nommée à ceposte il y a tout juste un mois, en disent long sur le sacerdoce que représente une telle mission au quotidien.
Placée au carrefour des communications ministérielles, cette fonction demande en effet une énorme puissance de travail, d’assimilation et de restitution des sujets. De la politique étrangère de la France à la bioéthique, en passant par la réforme de l’État ou des retraites, le porte-parole du gouvernement est réputé tout savoir ou presque, tout le temps ou presque. Exception faite de l’Elysée et de Matignon, c’est la fonction la plus transversale et la plus exposée, l’une des plus chronophages et des plus ingrates aussi. Pas étonnant que la grande majorité des porte-parole du gouvernement aient une durée de vie politique réduite (un à deux ans en moyenne depuis une décennie), tant ils sortent lessivés de ce « job » pas comme les autres.
La pression inhérente à cette fonction s’est considérablement accentuée avec l’accélération du tempo médiatique, qui est évidemment à des années-lumière de celui que connut Léo Hamon, premier titulaire du poste en 1969.
La dictature de l’urgence imposée aujourd’hui par les chaines d’info en continu et les réseaux sociaux place le porte-parole du gouvernement face à trois équations quasi insolubles.
Premier défi : réintroduire du long terme sur un marché de l’information qui survalorise l’instant.
« Dans un temps médiatique où l’information est toujours plus rapide et changeante, le porte-parole doit permettre à l’action politique de s’inscrire dans le temps long», est-il demandé depuis peu dans ses missions. La tâche s’annonce ardue sinon impossible pour un acteur à ce point tributaire de l’actualité, qui doit courir les plateaux pour expliciter une prise de parole présidentielle, défendre un collègue ministre, faire le service après-vente d’une réforme…
Deuxième difficulté : relayer régulièrement et proprement les messages gouvernementaux dans un contexte d’hypersensibilité médiatique qui n’autorise aucune approximation sémantique.
Or, la fréquence des interventions d’un porte-parole du gouvernement le prédispose plus que quiconque à une formule maladroite, une expression malheureuse ou un mot de travers. Christophe Castaner notamment en a fait les frais pendant ses six mois à la tête du porte-parolat. Au moment de la passation de pouvoirs en 2012, Valérie Pécresse avait glissé ce conseil à Najat Vallaud-Belkacem : « On peut nous pardonner beaucoup de choses, y compris la langue de bois, mais pas un écart, pas une erreur.» En termes footballistiques, cela revient à dire que la priorité est de ne surtout pas encaisser de but, quitte à ne pas en marquer. Pour un porte-parole du gouvernement, le catenaccioitalien, défensif mais rigoureux, sera toujours une stratégie préférable au football totalnéerlandais, flamboyant mais risqué.
Troisième et dernière complexité : maintenir le fil d’un récit gouvernemental dont il n’est plus le seul dépositaire.
Seul habilité à engager la position du Gouvernement, le porte-parole officiel est pourtant chaque jour en concurrence avec des porte-parole officieux qui ont trouvé une chambre d’écho dans l’explosion de l’offre médiatique. Marlène Schiappa sur la taxation des GAFA, Jacqueline Gourault sur l’impôt sur le revenu, Julien Denormandie sur l’intrusion à la Salpêtrière… Lorsque des ministres s’expriment sur des sujets qui ne relèvent pas de leur périmètre, ils mordent sur celui du porte-parole du gouvernement, posant indirectement la question de sa légitimité : à quoi sert cette voix qui n’a plus le monopole du chœur ?
Pour autant, la suppression de cette fonction n’est pas à l’ordre du jour. Pour une raison conjoncturelle d’abord : le porte-parole du gouvernement reste un messager précieux pour le Président de la République, désormais dépourvu de porte-parole à l’Elysée, et pour le Premier ministre, en manque de relais politiques forts au sein de son gouvernement. Pour une raison plus structurelle ensuite : le porte-parole du gouvernement demeure « un atout dans la crise » pour reprendre une expression de Guillaume Didier et Bastien Vandendyck du cabinet Vae Solis. Autrement dit, il est un soldat loyal qu’on fait monter au front dans des situations sensibles et un fusible utile qu’on peut sacrifier le cas échéant.
Par son profil et son parcours, Sibeth Ndiaye parviendra-t-elle à apporter un supplément d’âme à ce poste ? Rien n’est moins sûr.
Le porte-parole du gouvernement est essentiellement le dépositaire d’une parole qui ne lui appartient pas, celle d’un Président de la République, d’un Premier ministre et de tout un gouvernement qui aiment aussi à jouer leur partition médiatique.
Cette fonction, qui célèbre cette année son cinquantième anniversaire sous la Vème République, n’a jamais semblé aussi difficile à exercer qu’aujourd’hui.
Frédéric Vallois
Ancien conseiller ministériel au porte-parolat du gouvernement
Enseignant en communication politique à Sciences Po Paris