Depuis les rendez-vous électoraux de juin et juillet derniers, la France vit une descente aux enfers dont la déliquescence de notre régime politique est la parfaite illustration : système électoral vicié dans lequel les accords de désistement ne se fondent plus sur un programme politique préalablement élaboré, incapacité à former une équipe gouvernementale durable qui, quelle que soit la manière dont on tourne le problème, sera désavouée à la première anicroche venue, impuissance à conduire toute réforme alors que les urgences ne manquent pas. Dans ce contexte, les Jeux Olympiques ont été l’opium providentiel grâce auquel le pays a plongé dans une léthargie profonde, les malheurs de la France ne suscitant désormais que l’indifférence générale. « Pourvu que ça dure », croit-on entendre !
La vie politique est devenue un théâtre d’ombres sur la scène duquel les acteurs politiques jouent à gouverner le pays. Mais l’histoire n’est pas encore écrite qui seule dira si finalement nous assistons à une comédie ou à une tragédie.
Dans Démocratie et Totalitarisme, Raymond Aron s’attardait à analyser la paralysie dans laquelle s’engourdissent les régimes entrés dans un processus de corruption au sens quasi chimique du terme. La paralysie institutionnelle qui caractérise la situation actuelle aurait fort bien pu enrichir la description qu’il faisait de la IVème République finissante. La question demeure de savoir sous l’effet de quel choc salutaire la vie politique française pourrait reprendre force et vigueur et repartir sur de bons rails.
L’équilibre de l’impuissance actuel ne saurait être éternel mais il pourrait être opportun de précipiter sa chute afin que nous évitions un effondrement sur nous-mêmes, dont nul ne sait ce qui pourrait en sortir.
Ce coup de tonnerre salvateur pourrait venir d’un choc institutionnel dont l’objectif serait de rebattre les cartes et de tracer la voie d’une nouvelle donne politique à l’opposé de l’éparpillement actuel. Bien évidemment, il conviendrait d’abord de ne pas céder à des remèdes pires que le mal, j’entends par là le fait de passer à un mode de scrutin à la proportionnelle qui institutionnaliserait durablement le marasme dans lequel nous nous trouvons.
Au contraire, le premier acte du redressement devrait consister dans l’instauration d’un scrutin majoritaire à un tour, comme initialement prévu par Michel Debré.
Cela forcerait les partis à se réorganiser et permettrait de dégager plus aisément une majorité de gouvernement, encore plus indispensable pour affronter le gros temps qui s’annonce.
Pour redonner au régime son ossature, il conviendrait aussi d’en revenir au septennat, sans limitation du nombre des mandats, car le peuple est assez grand pour savoir s’il doit renouveler ou pas le Président sortant.
Afin d’instaurer de véritables élections de mi-mandat et pour tenir compte à la fois du temps long présidentiel et de la réactivité de l’action politique au jour le jour, le mandat des députés gagnerait à être ramené à quatre ans. Ainsi un Président tenté de dissoudre l’Assemblée dans le sillage de sa propre élection disposerait-il de deux mi-temps sensiblement égales lui offrant l’opportunité à mi-parcours de consolider ou pas sa légitimité à conduire l’action du pays.
Je profiterai de cette opportunité pour rétablir le cumul des mandats entre mandat national et mandat local.
L’expérience a prouvé que la méconnaissance des réalités locales est mère le plus souvent d’une appréhension trop idéologique des sujets à traiter. Déjà Tocqueville critiquait la propension des hommes politiques à se comporter en idéologues.
On objectera que certaines mesures sont de nature législative et d’autres de nature constitutionnelle et qu’elles ne peuvent donc être traitées sur le même plan ni figurer dans le même paquet. Le droit est une science qui convient aux temps calmes et l’Histoire requiert parfois d’opérer au forceps si l’on veut sortir de l’ornière.
L’article 11 de la Constitution me semble l’arme souveraine grâce à laquelle il pourrait être demandé au peuple français de trancher ces questions.
Après tout cet article ne permet-il pas de soumettre à référendum tout projet portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Certains argueront du fait qu’il ne permet pas de modifier la Constitution, nonobstant le précédent de 1962. Et après ? Si le peuple le décide, son autorité ne saurait être contestée.
Enfin, l’histoire politique entre dans la grande Histoire quand une dimension dramatique vient lui donner l’éclat qui la transcende. Un tel référendum acquerrait cette aura si le Président s’engageait à démissionner de sa fonction si un tel référendum était adopté. Ainsi s’ouvrirait une nouvelle séquence qui vraisemblablement régénèrerait notre vie politique. Chaque acteur retrouverait la place qu’il aurait dû conserver et serait en mesure au gré des majorités élues de proposer des politiques lisibles et comprise de tous.
Daniel Keller
Ancien membre du Conseil économique, social et environnemental