En 2020, les citoyens de plusieurs pays d’Afrique seront appelés aux urnes pour élire leur président. Réaction de François Mattei, journaliste indépendant, qui revient plus particulièrement sur la situation au Niger.
Une démocratie à l’africaine semble parfois appartenir à un fantasme contredit, usé jusqu’à la corde, par l’histoire politique récente du continent. Sous le poids des influences étrangères et des habitudes de mauvaise gouvernance héritées du passé, l’aspiration des peuples à trouver sur leur propre terre un statut d’homme libre se heurte à la faiblesse des Etats, aussi bien qu’à la complicité des grandes puissances et des bailleurs de fond.
Tout se joue en général aux élections présidentielles.
Totem sacré du suffrage universel, elles sont devenues en Afrique un lieu d’embuscades, de manipulations, de coups tordus.
Une véritable guillotine pour le progrès, la démocratie, la souveraineté. L’élection de 2010 en Côte d’Ivoire, censée clore une crise politique de dix ans, a dégénéré en une cascade de fraudes, pour aboutir à une guerre civile dont les effets perdurent, la réconciliation du peuple ivoirien n’étant pas réellement réalisée neuf ans après.
En 2020, toute l’Afrique va vibrer au rythme de ces nouvelles échéances présidentielles. Avec des contextes particuliers propre à chaque Etat, mais encore trop éloignés de la transparence propice à un scrutin fiable qui puisse garantir un consensus populaire.
L’affaire Hama Amadou
Au Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, où une part de l’indépendance énergétique de la France est liée aux mines d’uranium, une clarification urgente serait indispensable.
En effet, « L’affaire Hama Amadou » met en péril la validité de la prochaine élection. Pour ceux qui n’entendent rien aux nébuleuses électorales africaines, Hama Amadou est un homme politique important dans son pays : président de l’Assemblée nationale, puis deux fois Premier ministre, il fut celui à qui Tandja Mamadou dût son accession à la présidence en 1999. Ami et allié de Mahamadou Issoufou, l’actuel Président du Niger, il devint son premier opposant.
Arrêté et condamné dans une improbable affaire de « trafic international de bébés », destinée à l’écarter de la course au pouvoir, si l’on considère la vacuité du dossier, il se présente néanmoins à l’élection présidentielle de 2016. En dépit de son incarcération, qui l’empêche de faire campagne, il arrive deuxième en nombre de suffrages. Libéré pour raisons de santé, il s’exile finalement en France, et revient au Niger, de son plein gré, ces jours derniers. Sa mère est décédée, et n’ayant pu assister à ses obsèques, il veut au moins s’incliner sur sa tombe.
S’étant présenté de lui-même aux autorités de Niamey, il est incarcéré à la prison de Filingué, à deux cents kilomètres de la capitale, pour les huit mois de prison qui lui restent à purger de sa condamnation.
L’avenir proche dira si les contacts qui n’ont pas manqué de s’établir entre le président Issoufou et son principal opposant, déboucheront, avant les élections de 2020, sur une paix des braves dans l’intérêt du pays. Ce serait une preuve de progrès, et une chance, peut-être, de normalisation de la vie politique au Niger.
La France, qui n’est jamais loin quand il s’agit de sa réserve de carburant nucléaire, aurait avantage à influer autant qu’elle le peut pour un apaisement.
Des convoitises pourraient, en cas de troubles ou de crise, venir lui damer le pion.
L’attaque massive, menée par cinq cents terroristes lourdement armés, le mardi 10 décembre, contre une garnison de l’armée nigérienne basée à Inatés, dans le sud ouest du pays, au nord de la capitale, rappelle que le Niger est au cœur du Sahel, où se joue en partie l’avenir de l’Afrique. Plus de soixante-dix morts, de nombreux blessés, l’événement a obligé le président Issoufou, en voyage en Egypte, à rentrer à Niamey. Le sommet sur le Sahel prévu à Pau, en France, avec le président Macron, le 16 décembre, a bien sûr été reporté. On voit bien que l’armée française, engagée dans les sables et les rochers de l’immensité malienne, pour l’opération Barkhane, ne peut parer tous les coups dans cette région, mais ne créé pas le sentiment recherché. Elle y défend des intérêts stratégiques et économiques évidents, mais qui trop embrasse mal étreint, comme dit le proverbe. En cas d’échec militaire avéré, sa présence déjà contestée tournera à un constat d’impuissance. Pourquoi ne pas choisir une autre voie ? Puisque la France tire les ficelles dans cette région, elle peut jouer un rôle de conciliation, pour permettre à ce petit pays d’échapper à toutes ses malédictions, et de s’unir dans un projet démocratique ?
Le « sentiment anti-français » bien réel, qui traverse la jeunesse africaine ne pourra pas s’éteindre si Paris ne change pas de logiciel et d’approche.
Au Niger, il serait bon qu’avec l’aide de la France, le jeu démocratique l’emporte en toute clarté en 2020, avec l’affrontement pacifique du Président et de son grand rival : un duel loyal pour la magistrature suprême dont l’Afrique serait sans doute, enfin, reconnaissante.
François Mattei
Journaliste indépendant