L’usage du 49.3 répète à quelques mois, années d’intervalle, les mêmes polémiques et jeux de postures. « Déni de démocratie » contre « recherche d’efficacité » ; défense des droits parlementaires contre nécessité exécutive d’agir. En matière budgétaire, la simplification du débat est d’autant plus de mise, que le vote des finances publiques est un marqueur de la ligne de césure entre majorité et opposition.
Le jeu de postures sur le 49.3
Donc, pour la énième fois, un gouvernement usant du 49.3 propose l’adoption de textes sans vote suivie de dépôts de motions de censure ; cette fois-ci, trois ont concerné les deux budgets, l’un de l’État, l’autre de la Sécurité sociale. Chacune a été repoussée, même si 239 voix ont pu s’additionner sur la première, insuffisantes pour atteindre la majorité nécessaire à son adoption, puisque les abstentions sont décomptées en faveur du gouvernement. Le risque d’aboutir à une démission du Premier ministre reste faible, tant les députés ont peu intérêt à retourner devant les électeurs. Car le président a prévenu : pour riposter à une censure, il usera du droit de dissolution.
Bref, une forme d’équilibre sinon de la terreur, de la dissuasion par menaces réciproques, rassemble comme un plus petit commun dénominateur, exécutif et législatif. Que penser pour la suite ?
Nous allons entamer le second semestre de cette nouvelle législature et, déjà, le 49.3 s’installe comme modalité revendiquée de gouvernement.
D’instrument à usage rare pour dénouer une crise, va-t-il devenir plus fréquent ? Le risque est moindre qu’entre 1988 et 1991, sous Michel Rocard, puisqu’alors, aucune limite constitutionnelle ne cadrait son utilisation ; désormais, au-delà du budget, l’adoption sans vote ne vaut qu’une seule fois par session.
Fragilité particulière de la majorité actuelle
L’emploi du 49.3 n’a rien d’illégitime et dès lors que la Constitution est respectée, encore moins d’illégal. En cas de majorité courte par exemple après 1967, alors que le pouvoir gaullien est contesté, que les gaullistes sont loin de la majorité absolue, Georges Pompidou utilise ordonnances et 49.3 pour gouverner. Plus tard, Raymond Barre, Premier ministre centriste confronté à la grogne constante du RPR, dégaine en 1979 et à plusieurs reprises le 49.3 sur le budget. Rien d’inédit à l’expérience actuelle, si ce n’est que la majorité additionnant des mouvements soutenant le gouvernement, est relative ; elle est donc plus fragile.
A l’avenir, même avec une limitation d’usage à une fois par session, le risque de coaliser les votes négatifs sur une censure n’est pas nul. Dès que le contexte s’y prêtera, RN, NUPES voire LR pourraient trouver avantage à censurer le gouvernement Borne. Ce pourrait être d’ailleurs l’occasion pour LR d’intégrer ensuite une nouvelle composition majoritaire. Ou bien ce pourrait être l’occasion de retourner prématurément devant les électeurs pour se compter, si le président dissout.
Dans les deux cas, pour les institutions, le risque déjà identifié dans notre histoire serait de forger des majorités très friables voire introuvables.
Dans le cadre du Brexit, les conservateurs ont en Grande-Bretagne épuisé les charmes de leurs divisions, jusqu’à faire mentir l’adage de stabilité de la démocratie majoritaire bipartite – ou presque.
La censure constructive, un outil en faveur de la démocratie majoritaire
En France, alors que sur le plan partisan la fragmentation est saillante et que le contexte politique reste incertain, comment mieux s’assurer de conserver une certaine stabilité institutionnelle à l’avenir ? Le mode de scrutin majoritaire à deux tours n’est plus une contrainte suffisante. Si en plus, pour davantage de justice, le scrutin proportionnel, encore envisagé il y a quelques années, se fraye une voie, le risque de pluralisme extrême du jeu parlementaire sera élevé. Il faudrait donc ajouter un élément contraignant. Le 49.3 devrait rester à usage modéré y compris sur les budgets.
Il conviendrait alors de s’inspirer de la démocratie parlementaire allemande, en introduisant la censure constructive.
Renverser un gouvernement ne devient possible qu’à la condition de proposer un contrat majoritaire de substitution.
Art. 49-1. L’Assemblée nationale ne peut censurer le Gouvernement que si les groupes parlementaires votant la censure s’accordent sur le nom d’un successeur au Premier ministre. Le Président de la République le désigne alors comme nouveau chef du Gouvernement.
En conséquence, la parlementarisation de notre démocratie présidentielle serait plus achevée, puisque le président serait dans l’obligation – comme en cas de cohabitation après des législatives manquées -, de nommer un Premier ministre sélectionné par l’opposition parlementaire devenant nouvelle majorité à l’occasion de la censure. Cette dernière oblige alors les députés à l’esprit de responsabilité et prévient toute coalition des contraires, incapables ensuite de gouverner. La stabilité, y compris en cas de majorité relative ou composite, serait mieux garantie.
La nouvelle règle du jeu profite à tous : le président a plus de probabilité de conserver son gouvernement à majorité relative, puisque la censure est rendue plus contraignante. L’opposition peut espérer imposer un Premier ministre si elle sait s’unir pour gouverner. Pour le citoyen, la diversité de ses opinions peut être mieux reconnue à l’Assemblée, dès lors que le risque d’instabilité gouvernementale est mieux prévenu.
Olivier Rouquan
Chercheur associé CERSA
Politologue