La dissolution a ouvert une boîte à malices constitutionnelles, par exemple sur le point de savoir si les 17 ministres élus députés pourront participer aux élections aux postes-clés de l’Assemblée nationale qui se tiendront les 18, 19 et 20 juillet. Il semble qu’ils le pourront si la démission du gouvernement est actée par décret présidentiel avant le 18 juillet. Mais combien de temps un gouvernement démissionnaire devra-t-il et pourra-t-il exercer ses fonctions ?
La dissolution du 9 juin dernier – et l’absence de majorité sur laquelle débouchent les élections législatives consécutives à cette dissolution – ont ouvert une boîte à malices constitutionnelles, pleine de mystères et de tours de passe-passe. Nous ne sommes pas au bout de nos interrogations.
L’une d’elle est imminente : elle porte sur la possibilité, pour les 17 ministres élus députés, de participer aux élections aux postes-clés de l’Assemblée nationale qui se tiendront les 18, 19 et 20 juillet.
S’applique l’article L.O 153 du code électoral : « Ainsi qu’il est dit à l’alinéa 1er de l’article 1er de l’ordonnance no 58-1099 du 17 novembre 1958, portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, l’incompatibilité établie par ledit article 23 entre le mandat de député et les fonctions de membre du Gouvernement prend effet à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la nomination comme membre du Gouvernement. Pendant ce délai, le député membre du Gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire. L’incompatibilité ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai ».
L’article LO 153 (qui vaut aussi pour les sénateurs en application de l’article L.O. 296 du même code) prévoit que l’incompatibilité entre fonctions ministérielles et mandat parlementaire résultant des articles 23 et 25 de la Constitution prend effet un mois après la nomination d’un député comme membre du gouvernement. Il n’a pas subi de modification substantielle lorsque l’article 23 de la Constitution a été modifié en 2008, afin de permettre le retour au Parlement d’un député devenu ministre lorsqu’il cesse d’exercer ses fonctions ministérielles. L’intéressé redevient député un mois après la fin de ses fonctions ministérielles. Il ne peut, en renonçant à son retour au Palais-Bourbon, pérenniser la présence de son suppléant dans l’hémicycle (Conseil constitutionnel 8 janvier 2009). La démission du mandat de parlementaire dans les cas autres que ceux visés à l’article LO 176 entraîne la vacance immédiate du siège et provoque une élection partielle (article LO 178 du code électoral). La démission du ministre, dans le cas de la démission du gouvernement, met fin à l’incompatibilité.
Place l’intéressé en situation d’incompatibilité le fait, pour un parlementaire, d’être nommé ministre ou, réciproquement (quoique l’article LO 153 ne couvre pas explicitement cette hypothèse), le fait, pour un ministre, d’être élu député. Dans le silence du texte, un ministre élu député tombe sous le coup de l’incompatibilité, sinon celle-ci ne remplirait pas son objet. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que les dispositions de l’article L.O. 153, quoique ne visant expressément que le cas du parlementaire devenant ministre, doivent être transposées, notamment pour l’application du délai d’option, à la situation du ministre élu au Parlement (déc. n° 75-821/822 du 28 janvier 1976, concernant l’élection de M. Abelin, ministre de la coopération, dans la deuxième circonscription de la Vienne). Il a confirmé cette interprétation à l’occasion de l’élection de M. Jacques Toubon, dans la 10ème circonscription de Paris (déc. n° 95-2057/2059/2060 du 3 mai 1996).
Dans le cas du ministre élu député, le délai d’un mois à l’expiration duquel prend effet cette incompatibilité court à compter de la proclamation de l’élection. Pendant ce délai, par symétrie avec l’hypothèse traitée à l’article LO 153, les intéressés ne votent pas, ce qui peut avoir d’importantes conséquences, dans le contexte actuel, pour les nominations du Président de l’Assemblée, des présidents des huit commissions permanentes et des autres membres du Bureau, lesquelles ont lieu à l’ouverture de la session (Règlement de l’Assemblée nationale art 8, 9 et 10).
En 1986, les ministres ont démissionné de leur mandat de députés avant l’ouverture de la session, ce qui a permis de faire siéger leurs remplaçants sans délai. La solution n’est pas directement transposable ici, car elle était justifiée par le caractère proportionnel du scrutin de 1986 : la démission du mandat se traduisait par l’attribution immédiate au premier non élu de la liste.
Lorsque le scrutin est majoritaire et que la majorité est étroite, le gouvernement démissionne avant l’ouverture de la session de droit. Tel fut le cas du troisième gouvernement Pompidou (avril 1967). Ce fut également le cas du premier gouvernement Rocard, qui démissionna le 22 juin 1988 pour permettre l’élection de Laurent Fabius au perchoir le lendemain, immédiatement suivie de la constitution d’un nouveau gouvernement avec le même Premier ministre.
La situation actuelle n’est donc pas entièrement nouvelle. Toutefois, elle est dramatisée par le contexte et compliquée par l’émiettement inédit des groupes politiques.
Gabriel Attal a présenté sa démission au Chef de l’Etat le 8 juillet 2024, mais celle-ci a été différée d’un commun accord entre les deux têtes de l’Exécutif. Les 17 membres du gouvernement Attal élus à l’Assemblée sont en situation d’incompatibilité tant que le gouvernement ne sera pas formellement « démissionné », ou qu’ils n’auront pas individuellement démissionné de leurs fonctions ministérielles, ou qu’ils n’auraient pas démissionné de leur mandat parlementaire. Ils ne pourront pas participer aux votes des 18, 19 et 20 juillet si, à ces dates ils sont toujours en situation d’incompatibilité.
Ils pourront en revanche participer aux votes dès lors que la démission du gouvernement sera actée par décret du Président de la République le 16 juillet, à l’issue du Conseil des ministres.
En 1986, la démission des députés-ministres avait donné lieu à des contestations (JO Débats AN 2 avril 1986 pp 44 et 48 et s.). Le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent pour statuer sur l’élection du Président de l’Assemblée ( CC 16 avril 1986 n° 86-3 ELEC. ) : «Saisi par Madame Yannick PIAT, député du Var, candidate à la présidence de l’Assemblée nationale, d’un « recours » demandant au Conseil constitutionnel de constater que les remplaçants des députés devenus ministres ne pouvaient participer au scrutin ayant abouti à la proclamation du Président de l’Assemblée nationale le 2 avril 1986 et de dire que le règlement de l’Assemblée nationale doit être modifié dans ses dispositions litigieuses (…) Considérant qu’aucune disposition de la Constitution ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur la régularité de l’élection du Président de l’Assemblée nationale ni pour donner un avis sur des modifications éventuelles du règlement de l’Assemblée nationale ».
Il est probable que la contestation de l’éventuelle participation des ministres-députés aux opérations de vote des 18, 19 et 20 juillet – ou de l’éventuelle participation de leurs suppléants à ces votes – donnera lieu à la même réponse du Conseil constitutionnel.
Il est certes inédit – et même un peu troublant – de voir un Premier ministre en exercice candidater à une présidence de groupe parlementaire. Mais c’est juridiquement possible.
Combien de temps le gouvernement démissionnaire devra-t-il et pourra-t-il exercer ses fonctions ?
Contrairement à l’intérim de la Présidence de la République, la Constitution n’organise pas la transition d’un gouvernement qui a présenté sa démission et ne prévoit pas de gestion des « affaires courantes », ni la durée d’une telle transition. La notion d’ « affaires courantes » relève du droit administratif.
La notion d’« affaires courantes » relève du droit administratif. Ainsi, dans une affaire d’Assemblée du contentieux du 4 avril 1952 (Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Lebon p. 210), le Conseil d’Etat juge qu’un « gouvernement démissionnaire, selon un principe traditionnel de droit public, […] ne peut que procéder à l’expédition des affaires courantes ». Les affaires courantes s’entendent, pour le Conseil d’Etat, des mesures inhérentes au fonctionnement ordinaire des administrations. Elles excluent les mesures qui traduisent des initiatives nouvelles ou la volonté de modifier le droit applicable. Il s’agit de la pure application du droit en vigueur et des actes d’organisation commandés par le fonctionnement des services (nominations, paiement des dépenses engagées…). Il peut s’agir aussi de la poursuite, sans discontinuité, d’une situation préexistant lors de la démission du Gouvernement (CE, Section, 22 avril 1966, Fédération nationale des syndicats de police de France et d’outre-mer, n° 59340, A). Il peut s’agir encore de cas de compétence liée ou de mesures dictées par un impératif constitutionnel. Un gouvernement démissionnaire est également compétent pour prendre les mesures strictement justifiées par l’urgence, c’est-à-dire pour sauvegarder la continuité de la vie de la nation. Le Conseil d’Etat considère que le point de départ des affaires courantes (et urgentes) est la signature du décret présidentiel mettant fin aux fonctions du gouvernement sur présentation de la démission par le Premier ministre (CE, 20 janvier 1988, Commune de Pomerol).
Le décalage temporel entre la remise de la démission du Premier ministre et la prise d’effet de cette démission (du fait de l’intervention décret présidentiel mettant fin aux fonctions du gouvernement) est le plus souvent très bref, mais il peut aussi être long. Ainsi, en 1962, après le vote de la motion de censure, le général de Gaulle avait reçu la démission du Premier ministre Georges Pompidou le 5 octobre 1962. Mais il lui avait demandé de continuer d’assurer ses fonctions (avant de dissoudre, le 9 octobre, l’Assemblée nationale). Là aussi la démission fut différée, puisqu’elle ne fut acceptée que par décret du 28 novembre 1962.
Pour sa part, le gouvernement de Gabriel Attal est encore de plein exercice à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le Chef de l’Etat l’a explicité dans sa lettre aux Français du 10 juillet : « (…) C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. Cela suppose de laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis avec sérénité et respect de chacun. D’ici là, le Gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes, comme le veut la tradition républicaine ». Un gouvernement n’est juridiquement démissionnaire qu’en vertu du décret présidentiel mettant fin à ses fonctions1. Tant que ce décret n’intervient pas, le gouvernement Attal exerce la plénitude de ses attributions. Si, comme il est plausible, il est pris d’ici le 18 juillet, les ministres députés pourront participer aux votes des 18, 19 et 20 juillet.
Le gouvernement démissionnaire pourrait être maintenu au-delà du 20 juillet pour expédier les affaires courantes (et faire face à l’urgence), comme l’envisage Emmanuel Macron. On pourrait même envisager qu’il soit renommé par lui le 20 juillet, avec le risque manifeste, dans ce dernier cas, du vote d’une motion de censure. En revanche, une motion de censure contre un gouvernement démissionnaire serait sans objet, puisqu’un tel gouvernement pourrait continuer d’expédier les affaires courantes.
Le texte de la Constitution, à l’article 49 alinéa 2 , et celui du règlement de l’Assemblée nationale, en ses articles 153 et 154, ne comportent aucune restriction quant au fait que le gouvernement ait remis sa démission . Confronté à la question de savoir si une motion de censure pouvait être déposée en session de plein droit lors de l’application de l’article 16 de la Constitution, le Conseil constitutionnel avait, le 14 septembre 1961, décliné sa compétence ( n° 61-1 Autr) . « Nous ne sommes pas un organe consultatif pour le Présidente de l’Assemblée nationale » avait déclaré Georges Pompidou (cf Georges Vedel, le Monde 14 septembre 1961 : « Les diverses attributions du Conseil constitutionnel ne se rapportent ni de près ni de loin à l’appréciation d la recevabilité d’une motion de censure »).
Un gouvernement démissionnaire ne peut durer longtemps, car il arrive vite un moment où doivent être traitées des affaires qui ne sont ni courantes, ni justifiées par l’urgence (c’est-à-dire par la nécessité d’assurer la continuité de la vie de la nation), par exemple le dépôt de projets de loi. Il demeure que le maintien en fonctions du gouvernement Attal démissionnaire pendant un mois ou deux laisserait le temps de composer un nouveau gouvernement si la formation de celui-ci suppose des négociations entre formations politiques. Cela se passe couramment ainsi chez nos voisins étrangers, qui ont l’habitude de l’attente inhérente à la constitution de coalitions et à la conclusion d’accords de gouvernement.
Si la formation du nouveau gouvernement tardait trop, le dépôt en temps utile de la loi de finances serait compromis. S’appliquerait alors le quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution (« Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés »).
Tel ne serait pas le cas, en revanche, si le nouveau gouvernement était formé assez tôt pour déposer le budget en temps utile. Dans ce dernier cas, la sérénité des opérations gouvernementales de l’été ne serait guère compatible avec une session extraordinaire estivale et le risque d’une motion de censure qu’elle comporterait, surtout avec un gouvernement « technique » ou ne reflétant pas les vues de la majorité des députés. Cette session extraordinaire pourrait être certes demandée par la majorité des députés (en vertu de l’article 29 de la Constitution). Le Président de la République aurait-il le pouvoir d’en refuser la tenue ? Le général de Gaulle répondit que oui le 18 mars 1960, provoquant les protestations de Vincent Auriol (cf Pierre Avril : « Georges Pompidou au Conseil constitutionnel », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 42, janvier 2014). La pratique de la cohabitation permet en revanche d’affirmer que le Président peut librement décider de l’ordre du jour de la session extraordinaire qui lui est présenté par le Premier ministre.
Pierre Avril, professeur des universités
Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’université de Versailles Saint Quentin paris Saclay
Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel
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- On apprend, postérieurement à la publication de cet article, que la démission du gouvernement devrait être actée le 16 juillet prochain. ↩