Dans le cadre de la « Décennie internationale du rapprochement des cultures » (2013-2022) et de la « Décennie Nelson Mandela pour la Paix » (2019-2028), instituées par les Nations Unies, il est certainement important de débattre de l’un des phénomènes récurrents touchant au domaine de la paix et de la sécurité internationales, à savoir le séparatisme.
En effet, depuis la fin de la guerre froide, marquée par la division du monde en blocs idéologiques opposés, et l’effondrement de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) qui s’en est suivi, 27 nouveaux Etats ont été créés à travers le monde. Cette évolution dans les relations internationales montre que c’est l’Europe qui arrive en tête avec 23 nouveaux Etats créés (entre 1991 et 2006), suivie de l’Afrique avec 3 nouveaux Etats (entre 1990 et 2011) et l’Asie avec un nouvel Etat en 2002. Le continent américain, dans son ensemble, reste pour le moment relativement épargné par le phénomène séparatiste.
Il est à préciser que ces données ne concernent que les nouveaux Etats effectivement créés et reconnus comme tels par la Communauté internationale, c’est-à-dire en tant que membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). A cela, il faut évidemment ajouter de nombreuses autres entités séparatistes non reconnues par les Nations Unies comme le Kosovo, le Haut-Karabagh, l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie, la Transnistrie, le Somaliland, etc.
Le séparatisme, un phénomène toujours d’actualité
Au vu de l’actualité internationale la plus récente, notamment avec la reconnaissance le 21 février dernier par la Russie des républiques séparatistes prorusses de Donetsk et Lougansk, il est fort possible que ce phénomène se poursuive à l’avenir. Il est à rappeler d’ailleurs que la reconnaissance par la Russie de ces deux entités séparatistes était immédiatement suivie de la signature des « accords d’amitié et d’entraide ». La dénonciation unanime de cette reconnaissance comme étant une violation flagrante de la souveraineté de l’Ukraine et une « répudiation » inacceptable des accords de paix de Minsk du 12 février 2015 n’a pas empêché la Russie de maintenir inchangée sa position. Et seulement trois jours après cette reconnaissance, la situation allait définitivement se dégrader le 24 février avec le début de l’invasion de l’Ukraine dont s’étaient détachées les régions de Donetsk et Lougansk.
Au-delà des cas précités, et bien que le phénomène en lui-même ne soit pas nouveau, la question identitaire semble néanmoins avoir pris aujourd’hui, dans presque toutes les régions du monde et dans les sociétés, une ampleur et une acuité bien particulières. Ce constat semble d’ailleurs se vérifier, notamment au travers des revendications identitaires persistantes ainsi que des débats politiques dans les sociétés et de la place, parfois surabondante, faite à la question des identités. Ce qui en fait finalement l’un des défis majeurs pour les sociétés contemporaines…
Certes la question se pose souvent au niveau individuel, avec la revendication par certains citoyens du droit à la différence, au nom de leurs identités spécifiques, en particulier à l’égard des Etats ayant une culture dominante. Mais c’est surtout au niveau communautaire que les enjeux politiques émergent, avec les revendications de certains groupes nationaux, ethniques, culturels, religieux ou linguistiques, pour la reconnaissance et la prise en compte suffisante et effective de leurs droits spécifiques dans la gouvernance de l’Etat.
C’est précisément à ce niveau que se nourrissent parfois des velléités séparatistes, c’est-à-dire la volonté d’un groupe plus ou moins homogène de se détacher d’un Etat, dont il fait partie, pour constituer une nouvelle entité politique indépendante.
Comment comprendre que dans un contexte international pourtant largement marqué par un processus d’intégration, tant à l’échelle mondiale que régionale, l’on doive en même temps faire face à un phénomène de fragmentation au travers du séparatisme qui touche toutes les régions du monde ? Ce paradoxe peut d’ailleurs très facilement se vérifier au regard de certaines entités en Europe qui entendent d’abord se détacher des Etats dont elles font partie, pour ensuite demander leur intégration dans l’Union européenne !
La gouvernance de la diversité : un défi permanent pour les sociétés et la Communauté internationale
Il est à préciser que la volonté d’une communauté de se séparer de l’entité politique nationale dont elle fait partie pour créer une autre entité, différente et indépendante, prend généralement appui sur des considérations d’ordre identitaire. Tout cela pose fondamentalement la question de la gouvernance de la diversité et suscite des questions déterminantes :
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D’abord, la sempiternelle question du vivre-ensemble, c’est-à-dire « comment pouvons-nous faire société ensemble avec nos différences ?» (une telle question relève d’une approche optimiste de la diversité). Mais la question peut aussi se poser autrement, notamment : « comment pouvons-nous faire société ensemble malgré nos différences ? » (ce qui serait alors une approche plutôt pessimiste de la diversité, faisant ainsi de la diversité non pas une source d’enrichissement mais de conflits possibles) ;
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Ensuite, et une fois encore, comment donc comprendre raisonnablement ce phénomène de fragmentation que représente le séparatisme, à travers le monde, dans un contexte marqué plutôt par une logique constante d’intégration ? Il n’est pas superfétatoire de préciser que cette logique d’intégration a même tendance à s’accélérer, tant à l’échelle mondiale que régionale (avec notamment la création et le développement toujours croissant des grands ensembles interétatiques comme l’Union européenne, l’Union africaine ou encore l’Organisation des Etats américains, etc., qui sont supposés être à même de relever efficacement les grands défis communs).
Etant donné que le séparatisme pose fondamentalement la question de la gouvernance de la diversité à l’échelle des nations, et donc la question essentielle et existentielle du vivre-ensemble, quelles doivent être les réponses idoines et surtout justes à apporter ?
En définitive, s’agissant d’un phénomène généralement porteur de risques de conflits, touchant de ce fait même au domaine de la paix et de la sécurité internationales, que peut-on concrètement attendre de la Communauté internationale, très souvent victime de la paralysie du Conseil de sécurité en raison du fameux « droit de veto » dont disposent les membres permanents de cet organe essentiel des Nations Unies ?
Roger Koudé, Professeur de Droit international
Titulaire de la Chaire Unesco « Mémoire, Cultures et Interculturalité » à l’Université catholique de Lyon (UcLy). Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur la Paix, la Justice et les Institutions efficaces, est publié aux Éditions des Archives Contemporaines (Paris, 3/2021), avec la préface du Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018.