La France connait un déficit budgétaire chronique depuis un demi-siècle et personne ne semble pouvoir infléchir la trajectoire hasardeuse prise par nos finances publiques. Pourtant, les organes et mécanismes de contrôles foisonnent : commissions des finances des deux assemblées, Cour des comptes, Haut Conseil des finances publiques (« HCFP »), programme de stabilité (« PSTAB ») ou encore Fonds monétaire international (« FMI ») et, bien sûr, agences de notation. Certes, les garde-fous existent pour assurer la sincérité des comptes de la nation. Mais, l’aspect caricatural de la sous-performance budgétaire de 2023, nous a, une fois de plus, démontré que rien n’est maîtrisé. Ainsi, cette dégradation brutale des finances publiques a ravivé la question du manque de débat démocratique et de surveillance du gouvernement en la matière.
C’est évidemment très frustrant pour les citoyens, alors même que le contrôle des finances publiques a été identifié comme un pilier essentiel de notre démocratie, dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pourtant, le déficit budgétaire pour 2024 qui a été adopté, sans vote, par l’utilisation de l’article 49.3, devrait maintenant atteindre 5,1 % du PIB, au lieu de l’objectif initial de 4,4 %. Et, le gouvernement n’a pas jugé bon de présenter un projet de loi de finances rectificative. Dans ce contexte, la récente dégradation de la note de la France par une des trois agences de notation, en l’occurrence Standard & Poor’s, apparait comme une maigre sanction.
Dans l’histoire récente, c’est la loi organique relative aux lois de finances (« LOLF »), votée en 2001 et mise en œuvre à partir de 2006, qui a renforcé la surveillance des finances publiques par le Parlement. A l’époque, Alain Lambert, alors président de la commission des finances du Sénat, avait déclaré qu’il s’agissait d’« une page nouvelle de l’histoire budgétaire de la Ve République » et d’ajouter que cette loi est « un acte majeur de maturité démocratique ». La LOLF devait donc mettre fin à la réticence des administrations publiques à pratiquer la transparence et à délivrer des informations exhaustives et contrôlables au Parlement.
Depuis la LOLF, les administrations peuvent être soumises à des contrôles sur pièces et sur place de la Cour des comptes ou des parlementaires. On ne peut évidemment qu’être sceptique sur l’efficacité de ces vérifications à posteriori.
Plus de vingt ans plus tard, le président de la commission des finances, Claude Raynal devait déclarer, parlant du dérapage budgétaire de 2023, qu’ « il n’est pas acceptable dans une démocratie que le Parlement apprenne ces informations par la presse ». Visiblement, la phase de maturation démocratique est un processus lent dans notre pays. En outre, l’arsenal des forces de rappel institutionnelles ne fonctionne pas de manière satisfaisante, face à l’incapacité des gouvernants à faire des arbitrages budgétaires responsables et courageux. Il semble même que le mille-feuille du contrôle de nos finances ait un effet pervers : celui de diluer, in fine, les responsabilités, ce qui engendre un aléa moral.
Ainsi, l’Insee a annoncé fin mars 2024 que le déficit 2023 a finalement atteint 5,5 % du PIB, contre une cible de 4,9 %. Un écart très important attribué, en simplifiant, à des rentrées fiscales plus faibles qu’espéré.
Or, les parlementaires reprochent au ministre de l’Economie de ne pas avoir été informés de ce dérapage, alors même que des notes internes de Bercy (notamment celle du 7 décembre 2023), mettant en lumière les risques, avaient été relatées dans la presse. Les auditions, la semaine dernière, par la commission des finances du Sénat, de Thomas Cazenave, puis de Bruno Le Maire, avaient donc pour objectif de retracer les faits qui ont conduit à ce désastre sans précédent.
Bruno Le Maire a concédé « des erreurs » dans les prévisions par Bercy des recettes fiscales pour l’année 2023 et affirme vouloir changer les méthodes de travail de son administration : « une erreur pareille ne peut pas se reproduire deux fois ». Et le président de la commission des finances, Claude Raynal, de lui répondre : « cela change terriblement du ton très péremptoire que vous utilisez habituellement ». Mais, au-delà des enjeux politiques personnels de ces auditions, il n’y a eu aucune discussion de fonds sur les conditions du retour à la normale des finances publiques.
De son côté, le chef de l’Etat ne semble pas changer de ton et affirmait récemment qu’ « hormis une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités locales, il n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État, son budget est même plutôt sous-consommé ». Est-ce une posture politique, ou serait-on dans le déni le plus complet ? On se rappelle qu’en avril dernier, le HCFP a rendu un avis sur le programme de stabilité 2024-2027, jugeant que la prévision du gouvernement en matière budgétaire « manque de crédibilité » et « de cohérence ». Rien de moins.
Quant au FMI, il prévoit que le déficit public de la France s’établira à 5,3 % du PIB en 2024 et diminuera légèrement à 4,5 % en 2027. Ce niveau est nettement supérieur au niveau de déficit de 2,9 % prévu par le gouvernement dans son programme de stabilité.
Pour 2024, le FMI recommande donc des mesures d’économie d’environ 0,4 % du PIB (ce qui est particulièrement drastique) dans l’espoir de ramener le déficit à 4,9 % du PIB.
Le contraste est saisissant avec les déclarations d’Emmanuel Macron, qui persiste : « on va garder la même politique avec pour objectif, dans les années qui viennent, de pouvoir reprendre la baisse du déficit, revenir sous les 3 % comme prévu au niveau européen d’ici à 2027 et commencer à réduire la dette ». Vous avez dit péremptoire ?
Sans doute manque-t-il à la France, dans la boite à outils censée réduire le risque budgétaire, une composante constitutionnelle. En Allemagne, il existe, en effet, une règle, inscrite dans la Constitution, qui limite le déficit annuel à 0,35 % du produit intérieur brut. Force est de constater que les finances publiques allemandes se portent mieux que celles de nombreux de ses pairs du G20, le pays faisant partie du club très restreint des neuf nations du monde bénéficiant encore de la notation la plus élevée, dite « AAA ».
Ainsi, toutes les attentions se tournent à présent vers les mesures, forcément impopulaires, mais pas nécessairement suffisantes, qui vont être annoncées après le scrutin européen, pour tenter d’enrayer la dérive de nos finances publiques. Même si personne au gouvernement n’osera, à l’instar d’un certain président argentin, brandir une tronçonneuse, espérons quand même qu’à défaut de courage, nos dirigeants fassent au moins preuve d’une certaine lucidité. Dans le cas contraire, l’horizon des coupes budgétaires les plus sévères, se rapprochera encore plus.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock
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