L’accumulation des journées de grèves et de manifestations n’est pas sans conséquences sur l’économie de proximité dans les grandes métropoles. Cette situation d’impasse illustre les relations historiquement difficiles et conflictuelles en France entre démocratie politique et démocratie sociale, la première ayant trop souvent la tentation de dominer et de s’ingérer dans les affaires de la seconde. Elle est exacerbée lorsque le débat public et médiatique personnalise le conflit entre deux réformismes dans un « face-à-face » Macron v. Berger.
Manœuvres présidentielles
Le Président de la République cherche à concilier l’intransigeance sur le report de l’âge légal à 64 ans, en faisant le pari d’un essoufflement de la mobilisation sociale et d’une attente de restauration de l’ordre public, et la main tendue aux syndicats mais sur d’autres sujets liés au travail, avec une reprise du dialogue direct, sans médiation, par lui et sa Première ministre. Et en ce sens on mesure l’hyper-présidentialisation de la Ve République et l’effacement des ministres compétents. Sur le fond, les intérêts de l’Exécutif et de l’intersyndicale (y compris de la CFDT), divergent et continueront de diverger.
Sur la forme, chacun cherche à apparaître comme celui qui réussira à faire bouger l’autre dans une bataille de la communication scandée par les « mains tendues », « lignes rouges » et autres « portes ouvertes ».
A ce stade, c’est un nouveau pari du Président. Nous verrons s’il s’avère gagnant ou une erreur tactique du point de vue de ses objectifs de réforme, voire une faute stratégique du point de vue de l’intérêt général, si l’issue dégrade un peu plus les relations entre démocratie politique et démocratie sociale, revalorise la violence de rue comme moyen d’action et remet in fine en cause la politique de l’offre efficacement menée depuis 2017.
Immobilisme parlementaire
La difficulté résulte aussi de la politisation du mouvement social à mesure qu’il évolue de l’opposition à la réforme des retraites à l’opposition à la gouvernance et à « la politique de Macron ». Le recours à l’article 49-3, avec les violences de certains policiers, a accéléré la mobilisation des jeunes manifestants. Du point de vue de l’opinion publique, la crise évolue d’une crise des retraites à une crise de l’ordre public.
Macron doit-il réfléchir à nouveau aux financements ou aux 64 ans ? Non, il doit tenir, mais tout en reconnaissant qu’il faudra améliorer le dialogue social et la méthode réformatrice. Il doit d’autant plus tenir que la réforme des retraites relève de ces « lois biodégradables » que le Parlement est amené à remettre régulièrement sur le métier législatif pour tenir compte de l’incessante évolution des paramètres de leur équation…
L’ultime recours constitutionnel
La réforme des retraites devrait entrer progressivement en vigueur suivant le calendrier fixé dès que le Président de la République pourra la promulguer, dans les 15 jours suivant la décision du Conseil constitutionnel. Pour des raisons politiques, l’absence de majorité à l’Assemblée nationale d’un côté et la réticence du Conseil constitutionnel à paraître comme une institution politisée de l’autre, l’hypothèse d’une nouvelle délibération de la loi par le Parlement à la demande du Président ou d’une censure intégrale du texte par le Conseil constitutionnel est improbable. Quant à la collecte des signatures en vue d’un « RIP », elle n’implique pas une suspension de la réforme des retraites ou un report de son entrée en vigueur.
La position de la CPME est constante : nous soutenons une réforme des retraites avec la prise en compte des carrières longues et des métiers pénibles, le relèvement de l’âge du départ en retraite, un niveau minimal des pensions, la prise en compte des carrières hachées, un minimum contributif de 85 % du Smic qui bénéficie aussi aux indépendants et aux chefs d’entreprise, et la volonté d’améliorer la place des seniors au travail.
Valoriser l’emploi des seniors
La réforme ne peut être utile que si le recul de l’âge de la retraite est accompagné par des mesures favorables à l’emploi des seniors. Car si l’on part à la retraite plus tard mais qu’on continue à quitter l’entreprise avant, le jeu présenté comme gagnant restera à somme nulle du point de vue des finances publiques : ce que le régime de retraite gagnera, l’assurance chômage ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS) le perdront…
Pour mémoire, seules 56 % des personnes âgées de 55 à 64 ans sont aujourd’hui en emploi.
François Asselin, le président de la CPME, avait d’ailleurs formulé trois propositions pour muscler le projet de loi du Gouvernement sur l’emploi des seniors : baisser les cotisations patronales au régime d’assurance chômage au-delà du 57e anniversaire du salarié ; assortir cette incitation financière de l’obligation de rembourser l’équivalent des cotisations non versées en cas de licenciement ou de rupture conventionnelle avant l’âge de la retraite ; mutualiser le coût de la reconnaissance de l’inaptitude d’origine professionnelle qui pèse aujourd’hui sur le seul dernier employeur.
On le voit bien les polémiques ne mènent à rien surtout pas à la clarté du débat public.
Seul le dialogue social nous permettra d’avancer sur ces questions sociales essentielles et de retrouver un peu de sérénité.
Et pour paraphraser Sénèque « La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre à danser sous la pluie ».
Bernard Cohen-Hadad
Président du think tank Etienne Marcel