C’est devenu un réflexe, il faut réformer l’indemnisation du chômage. S’il y avait une stratégie politique, il ne serait pas nécessaire d’y revenir tous les 18 mois. Deux arguments sont, chaque fois, mis en avant. Un argument moral et un argument comptable.
L’argument moral : les demandeurs d’emploi indemnisés « jouent le jeu de l’indemnisation » en retardant la reprise d’un emploi.
L’argument comptable : l’indemnisation coûte cher et l’Unédic est en déficit.
Les deux arguments sont faux ! Le demandeur d’emploi indemnisé « consomme », en moyenne 60% de ses droits à indemnisation. En moyenne donc, 40% des droits théoriques à indemnisation ne sont pas consommés. L’argument moral, habillé de l’objectif d’inciter à la reprise d’emploi, ne tient pas.
L’Unédic est endettée mais l’indemnisation du chômage n’est pas déficitaire. Les causes du déficit, et la dette, ne sont pas dans la « générosité » de l’indemnisation mais dans la « générosité » de l’Unédic qui finance bien autres choses que la prestation d’assurance chômage.
L’optimisation des droits se pratique mais concerne un public minoritaire. La « chasse » à l’optimisation n’est pas, n’est plus, un sujet pour l’Unédic, elle relève de la responsabilité de France Travail. C’est cet établissement public qu’il faut inciter à faire son travail de suivi des demandeurs d’emploi, qu’ils soient indemnisés ou non. Ce champ est, curieusement absent des réformes qui s’enchaînent. L’établissement public reste, lui, dans une logique de moyens, il reste culturellement dans cette logique. Il est le passager clandestin des réformes (https://www.revuepolitique.
L’endettement de l’Unédic, lourdement chargé par le financement de l’activité réduite généralisée pendant la crise sanitaire (décision de l’État), résulte des financements autres que l’indemnisation, principalement : financement de France Travail à hauteur de 11% des recettes pour l’indemnisation, financement des points de retraites complémentaires pour les demandeurs d’emploi indemnisés, dispositif des frontaliers.
Modifier une fois encore les paramètres de l’indemnisation ne changera pas la donne, sauf pour certains des indemnisés.
Reprendront-ils plus rapidement un emploi ? Peut-être, et tant pis pour les effets tels que celui d’éviction sur les demandeurs d’emploi les moins qualifiés ( https://www.revuepolitique.
L’effet d’une réduction des droits à indemnisation sur l’emploi ? C’est croire que l’administration du chômage crée des emplois. L’économie ne s’administre pas, la terre n’est pas plate.
Les économies à attendre permettront-elles à l’Unédic de se désendetter ?
Ces dernières années, les économies issues des réformes ont été « captées » par l’État pour d’autres fins que le désendettement de l’organisme (encore) paritaire : « Le pilotage financier du régime par les partenaires sociaux reste fortement contraint : plusieurs décisions de l’État, dont les ponctions sur les recettes, pèsent sur le régime et paralysent, par conséquent, son désendettement. » (unedic.org – Prévisions financières de l’Assurance chômage : un régime sous fortes contraintes).
Au-delà du fond, il faut dire un mot de la forme. La gestion des partenaires sociaux était, il y a peu encore, dite exemplaire s’agissant des régimes de retraites complémentaires. Si elle l’est, effectivement, c’est parce qu’ils ne sont pas, pour ces régimes, sous fortes contraintes de l’Etat. Il était même envisagé qu’ils puissent gérer le régime de base des retraites ! Vérité à l’Agirc-Arrco, erreur à l’Unédic ? Et si l’erreur était ailleurs, si elle se trouvait dans le mélange des genres qui fait de l’Unédic un financeur des politiques publiques et en plus l’assureur de la perte involontaire d’emploi ?
Un mot, ici, sur le dispositif des ruptures conventionnelles. Ce dispositif, issu d’un accord national interprofessionnel, participe à la fluidité du marché du travail ; à ce dispositif, qui a été adopté par la fonction publique, l’État a ajouté l’indemnisation des démissions.
Les deux dispositifs n’ont pas le même coût mais s’inscrivent dans la même logique.
Ils permettent des effets d’aubaine ? Certainement, comme tout dispositif d’aide (hélas). Que fait France Travail, et avant lui, que font les services de l’État en charge de l’homologation des conventions de rupture, pour s’assurer de la légitimité de ces ruptures ? Modifier ce que sont les règles d’accès et d’indemnisation de ces ruptures conventionnelles, c’est ne pas se poser cette question et c’est accepter un transfert vers les licenciements individuels (le mouvement inverse est avéré dès l’introduction des ruptures conventionnelles- ANI de janvier 2008).
La succession des réformes de l’indemnisation du chômage, dont les effets sur l’emploi ne sont pas, pour le moins, évidents fait poser une question qui … ne se pose pas. Le financement de ce qui devrait n’être que de l’indemnisation est assuré par de la CSG et une cotisation des employeurs. La CSG compte pour 40% (ici arrondi), la cotisation des employeurs (financée par le travail donc) compte pour 60%, ils sont les financeurs principaux. La dépense d’allocation représente (toutes allocations confondues) 75% des ressources de l’Unédic (données 2022 : 43 Mds de cotisations, 32,3 Mds d’indemnisation) : par hypothèse les 60% apportés par les employeurs sont intégralement affectés à l’indemnisation (soit 25/26 Mds) l’État, via la CSG, n’intervient donc subsidiairement pour la dépense d’indemnisation à hauteur de 7 à 8 Mds € ; le « reste » de CSG alloué à l’Unédic ne finance pas de l’indemnisation (*).
Si des économies sont à faire n’est-ce pas, d’abord, sur les autres charges que l’indemnisation financée par l’Unédic ?
Réduire les conditions d’accès et d’indemnisation de l’Assurance chômage peut avoir un côté moral, des effets comptables aussi, mais il faut voir aussi le côté amoral de ces réformes : les financements autres que l’indemnisation du chômage sont laissés dans l’angle mort du « stop à la dette ».
(*) calculs en « ordre de grandeur ».
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale – Think tank CRAPS, ancien DGA de l’Unedic.