France travail ; après Pôle emploi, fait régulièrement l’objet d’un « bashing » qui dénonce soit son inefficacité, soit son coût. Établissement public France travail a pour mission l’inter médiatisation entre la demande d’emploi et l’offre de travail et d’assurer la mission d’indemnisation des périodes de chômage. Au-delà des critiques qui lui sont adressées France travail, instrument de la politique publique pour le plein emploi, satisfait-il à ses missions ?
À la création de Pôle emploi il s’agissait de regrouper, dans une « maison unique », les deux missions d’accompagnement au retour à l’emploi et d’indemnisation afin faciliter le parcours des demandeurs d’emploi, cette ambition a encore été enrichie avec l’inscription des bénéficiaires du RSA.
En fusionnant l’ex ANPE et les Assedic il s’agissait aussi de réaliser des économies d’échelle, objectif qui, allait se traduire par celui d’économie pour l’État.
La démonstration du biais économique était faite dès les fonds baptismaux : ce qui coûtait 7,5% de ses recettes à l’Assurance chômage allait coûter 10%, transféré à Pôle emploi. Ces 10% sont inscrits dans la loi, c’est un sur-coût est récurrent, financé par les cotisations des salariés et des employeurs, quand le financement par l’État, au motif de l’annualité budgétaire, ne l’engage que sur un montant annuel soumis au vote de lois de finances. Dès les premières années l’État diminuait sa participation et, avec la réforme de 2017, portait le financement par l’assurance chômage de 10 à 11%.
Côté financement, France travail est le nom d’une « tire-lire » de l’action publique[1]pour l’emploi : il satisfait à sa mission de financeur des politiques publiques pour le plein emploi subventionnées par l’Assurance chômage.
Côté gouvernance, le non-dit de la création de cet établissement public c’était de prendre la main sur le régime d’assurance chômage et de sa gestion paritaire, un non-dit qui sous-tend l’action publique dans le domaine de la protection sociale.
Les partenaires sociaux siègent dans les instances de gouvernance de France travail qui reçoit sa feuille de route de l’exécutif.
Un esprit chagrin se laisserait aller à dire que, à France travail, les partenaires sociaux sont sous la tutelle de l’État. Ce serait faire peu de cas que de leur capacité à dire leurs positions, même au sein d’un organisme sous tutelle de l’État.
Côté gouvernance, France travail est le nom de l’étatisation d’un régime d’assurance qui se transforme en système de solidarité. Ce que la CSG-activité remplaçant la cotisation salariée a confirmé.
Il se dit que France travail ne replace dans l’emploi que de l’ordre de 9 à 12% des demandeurs d’emploi inscrits dans ses fichiers. Ce résultat, réputé difficile à expertiser, fait douter de l’efficacité du système et de sa contribution à la baisse du chômage de ces dernières années. Le résultat est difficile à expertiser parce que l’accompagnement que délivre France travail peut participer au retour à l’emploi sans que l’obtention d’un contrat de travail ne soit « du fait » de l’établissement public. Cette difficulté à évaluer renforce la question de l’efficacité d’un système dont les process ne sont pas en lien certain et documentable avec le résultat qu’ils poursuivent. De là la question de la contribution effective d’un système au retour à l’emploi et à la baisse du chômage : conjoncture économique ou process de France travail, qu’est-ce qui fait baisser le chômage ? L’établissement public surperforme-t-il la conjoncture ?
En 2017,2018 et 2019 le taux de croissance a été supérieur à ceux des 5 années précédentes, une performance certainement explicative de la baisse du taux de chômage qui, de 2017 à 2023 diminue de 9,5% à 7,2% (hors période Covid).
Pôle emploi a-t-il « surperformé » l’effet croissance ? Les « rebonds » de croissance de 2021 et 2022, après les -7,5% de 2020, ont à l’évidence participé à (re)créer des emplois avant que l’on retrouve une croissance habituelle et le ralentissement de la baisse du chômage puis son inflexion à la hausse.
En 2019, le nombre des demandeurs d’emploi, sans activité, inscrits à Pôle emploi diminuait de 120 700 (un résultat jamais atteint depuis 2007). En 2019, 405 000 emplois étaient créés (un résultat jamais atteint depuis 2007 également). 405 000 emplois créés et 120 700 demandeurs d’emploi sans activité en moins, Pôle emploi n’avait pas « surperformé » la conjoncture. L’analyse, rapide ici, offre à discussion : les « photos » des moins 120 700 demandeurs d’emploi et des 405 000 emplois créés ignorent les flux de cours d’année qui ont fait évoluer le fichier des demandeurs d’emploi et la création d’emploi, les effets de la démographie de la population active sont ici ignorées et ces données ne disent pas, non plus, l’appariement entre l’offre d’emplois (compétences, bassin d’emploi) et les inscrits à Pôle Emploi-France travail. Pôle emploi puis France travail mettent en œuvre des process administratifs dont il faut se demander s’ils ont un effet « encourageant » ou effectif sur la reprise d’emploi, se demander s’ils ont un effet d’accompagnement ou, mieux, d’entrainement, de la croissance ou si la baisse du nombre des demandeurs d’emploi résulte, d’abord, de la conjoncture (croissance, moral des entrepreneurs). La « science administrative » doit pouvoir démontrer l’effet de France travail, la science économique celle de l’effet conjoncture.
Côté effet sur l’emploi France Travail est le nom d’un établissement administratif qui applique des process administratifs.
Si ses résultats ne doivent prêter au « bashing » ils doivent être appréciés au regard des moyens de l’établissement : plus de 59 000 agents (+9,1% sur 2019-21 quand l’effectif de la fonction publique augmentait de 1,6%)[2] et un budget avoisinant les 5 milliards €.
Le plein emploi restant un objectif économique et social majeur, demander si France travail est la solution optimale pour participer à atteindre les objectifs qui lui sont fixés est une question légitime. La question d’un effet désincitatif de l’indemnisation doit aussi être posée, pas forcément « en premier niveau » comme elle l’a été pour les dernières réformes qui, hors les moyens supplémentaires alloués à l’établissement public, n’ont pas modifié ses processus d’accompagnement au retour à l’emploi.
Poser ces questions n’est pas du France travail bashing trop présent encore. Poser ces questions c’est interroger les moyens et l’efficacité d’un établissement en charge d’une politique publique.
Michel Monier,
membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS est ancien DGA de l’Unedic.
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[1] Voir « L’assurance chômage doit-elle financer le Service public de l’emploi ? », Bruno Coquet, in OFCE-Les notes, N°58, 22 février 2016 et https://www.revuepolitique.fr/assurance-chomage-et-carambouille-budgetaire-a-quoi-sert-lunedic/
[2] Commission des affaires sociales- Sénat- PLF 2024.