Le Sénat examine aujourd’hui en séance publique le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a répondu aux questions de la Revue Politique et Parlementaire.
Revue Politique et Parlementaire – La crise de la Covid-19 a-t-elle aidé à faire comprendre comment la science fonctionnait ou a-t-elle plutôt créé un fossé entre le citoyen et le savant ?
Frédérique Vidal – Le temps de la science est différent du temps médiatique et du temps politique, cependant nous avons besoin de continuer à faire comprendre à nos concitoyens ce qu’est la science. Nous avons vu beaucoup de personnes, occupant des fonctions au sein de laboratoires, essayer de résumer ce que l’on savait, ce que l’on ne savait pas et ce que l’on recherchait alors que d’autres avaient tendance à exprimer leurs opinions du moment. Toute la difficulté réside dans le fait que le consensus scientifique se fait sur la confrontation d’hypothèses de résultats et la consolidation de tout cela donne au final la vérité scientifique au temps T. Là, nos concitoyens ont assisté à la partie de débats et la partie de confrontations des idées qui étaient parfois très différentes car non encore consolidées et cela peut être perturbant. Voir se succéder des personnes qui toutes, d’après leur titre, semblent capables de donner un avis avisé sur un sujet et se contredire heure après heure, voire sur le même plateau, peut être déstabilisant si on ne précise pas que c’est comme cela que se construit le consensus scientifique. Si on fait cet effort de pédagogie en expliquant que ce à quoi nous avons assisté ce sont les connaissances en train de se consolider sur la base d’observations qui sont toutes individuelles, qui sont toutes liées à une équipe ou à un chercheur et qui se confrontent ensuite au reste, on aura probablement progressé. Mais en l’état actuel, je pense que nous avons plutôt donné une image réaliste et pour partie désunie de ce qu’est la recherche. Ce que nous avons vu, c’est le chemin par lequel se produit la connaissance, et celle-ci n’est, pour le moment, pas encore stabilisée.
RPP – Les institutions scientifiques, comme l’Académie des sciences et les grands organismes de recherche, ne doivent-elles pas être plus allantes dans cette démarche afin d’assurer une meilleure articulation entre le scientifique et la société ? Au-delà de produire de la connaissance, il s’agit là également de l’une de leur mission.
Frédérique Vidal – L’un des volets de la loi de programmation de la recherche concerne justement ces questions. Comment remet-on de la méthode scientifique aux fins de l’éducation au sens général ? Comment mieux faire partager la science à l’ensemble de la société ? Les académies et les organismes de recherche doivent porter des paroles construites. Mais la difficulté pendant cette période de crise c’est que comme les connaissances n’étaient pas encore stabilisées chacun y allait de sa petite observation, de son sentiment, de son hypothèse sans suffisamment préciser qu’il ne parlait pas depuis le CNRS, l’Inserm ou l’AP-HP mais qu’il exprimait ses observations, ses sentiments, ses opinions et c’est cela qu’il faut arriver à distinguer. Je pense que ce sera d’autant plus facile que l’on aura une véritable reconnaissance de cette partie du métier de chercheur qui est la transmission de la connaissance vers la société. On connaît la transmission de la connaissance vers les étudiants, on sait faire, mais cette transmission à la société est différente. Cela devra être valorisé dans les carrières et reconnu explicitement comme une mission des chercheurs.
RPP – Dans la loi de programmation que vous allez présenter prochainement quels sont les dispositifs que vous mettez en place pour faciliter le dialogue entre la société et les grands organismes ? Comment valorise-t-on cela dans la carrière d’un chercheur ?
Frédérique Vidal – On améliore tout cela de plusieurs façons. D’abord en affirmant que toutes les facettes du métier ont une égale importance. Produire de la connaissance, la transmettre sous forme de culture scientifique et technologique ou sous forme d’innovation et de transfert technologique toutes ces missions doivent être reconnues. C’est ce qui est construit dans le volet « reconnaissance et rémunération » avec une part plus importante que ce qu’elle est aujourd’hui aux fonctions assurées ou à la part individuelle pour ceux qui s’engagent à faire cela. Il faut qu’on le reconnaisse dans l’évaluation afin que ce soit pris en compte pour l’évolution des carrières. Nous allons mener ce travail avec l’ensemble des organismes, les représentants des universités et des écoles afin d’être capables d’objectiver ce qui peut amener à des promotions et qui est associé au lien science et société, au lien transmission de la culture scientifique et technologique ou au lien transfert innovation, relation entre le monde académique et la recherche privée. Enfin, la loi porte également l’idée que puissent être disséminés sur le territoire adossés à des établissements d’enseignement supérieur des centres faisant le lien entre science et médias, entre science et société, impliquant différents acteurs, y compris le monde associatif. Lorsqu’il y a un sujet pointu ou d’actualité brulante comme cela est le cas pour la crise de la Covid-19, les médias recherchent des experts et c’est très compliqué à trouver parce que soit vous avez des individus qui effectivement veulent bien venir spontanément parler de leur propre expérience, soit vous avez des personnes qui veulent bien le faire de manière volontaire et altruiste mais qui hésitent parce que finalement ça n’a pas beaucoup de sens par rapport au cœur de leur métier.
C’est pourquoi il est important de faire en sorte que des établissements d’enseignement supérieur puissent se doter de ces centres de ressources avec à la fois des chercheurs qui s’engagent à faire cette médiation et donc à y passer du temps et puis l’institution qui reconnaît que ce temps fait partie du temps de travail et pourra ensuite générer des évolutions de carrières.
Il est essentiel que les médias puissent avoir partout en France des personnes qui soient capables non seulement de donner l’état de leur propre recherche, mais surtout de faire un état des lieux global sur un sujet donné sur ce qui se fait en termes de recherche, de pointer les consensus scientifiques auxquels les communautés sont arrivées, mais également les questions en suspens et qui font encore débat. Vulgariser et être capable de transmettre des connaissances sur un sujet donné est un travail compliqué qui demande du temps et qui doit être reconnu comme tel.
Pour résumer, il y a donc trois niveaux : être capable de fixer cela comme une mission et la reconnaître, être capable de penser une évaluation qui prend cela en charge et ensuite être capable d’organiser partout sur le territoire ces centres de ressources.
RPP – Un peu sur le modèle britannique ?
Frédérique Vidal – Le modèle britannique est très centralisé. Si on reporte cela à la France on va avoir autant d’experts qu’on veut à Paris. L’idée c’est d’avoir un réseau de lieux dans lesquels les scientifiques, en toute liberté et indépendance, pensent la façon de communiquer sur la science.
On le voit notamment avec le fait que les gens ont de plus en plus accès via internet à ce qu’ils pensent être de l’information et qui parfois est de l’infox voire de la propagande. Il s’agit d’un sujet central qui est au cœur de la relation science-recherche-société parce qu’il faut que la société comprenne aussi à quel point il est important d’investir dans la recherche comme nous allons le faire.
RPP – Cette loi de programmation est une innovation sur le plan législatif. Quels sont les grands objectifs que vous poursuivez à travers cette loi ?
Frédérique Vidal – Tout d’abord, je souhaite insister sur le caractère historique de cette loi, qui représente un investissement de 25 Mds € sur les dix prochaines années.
Le premier objectif est de redonner de l’attractivité aux métiers de la recherche. Le second objectif est de remettre des moyens et de la lisibilité dans le temps aux chercheurs parce que le temps de la recherche est, par définition, un temps long.
C’est tout l’objet de faire une loi de programmation dans le temps justement qui permette de garantir dans la durée un investissement régulier dans la recherche, y compris pour la part fonctionnement, gros équipements, soutien à la recherche de base pour créer de la connaissance. En complément de ces investissements qui forment un socle solide, s’y ajoutent des objets qui sont portés par les programmes d’investissement d’avenir et amplifiés par le plan de relance : ce sont ce qu’on appelle les programmes prioritaires de recherche qui concernent les grands sujets, les grands défis sur lesquels l’Etat et la société demandent aux chercheurs de se mobiliser. Notre enjeu est donc à la fois de générer de la création de connaissances tous azimuts parce qu’on ne sait jamais à l’avance ce qui va être utile et c’est en même temps être capable sur des grands défis sociétaux et technologiques d’appeler l’ensemble des disciplines à travailler ensemble pour résoudre ces défis. Cela permet de nous articuler avec les missions qui ont été fixées au niveau européen dans le programme Horizon Europe en préparant les équipes françaises à travailler ensuite avec leurs homologues d’autres pays pour y répondre. En amont, un important travail de préparation de ces missions entre les différents ministères au niveau du Conseil de compétitivité européen a été réalisé. Maintenant, à partir de ces missions fixées au niveau européen, il faut réfléchir à leur déclinaison sur le plan national au travers de programmes prioritaires de recherche. Nous en avons déjà mené sur le climat, sur les phytosanitaires visant à cultiver et protéger autrement, on va en avoir un sur la question des océans et la biodiversité, sur l’énergie du futur. On prépare donc des programmes prioritaires de recherche nationaux qui vont s’articuler avec les programmes européens. Grâce à cette loi, aux investissements d’avenir et au plan de relance, on investit beaucoup de moyens à la fois sur des crédits de base distribués au travers des organismes et des universités, ensuite sur des projets au travers de l’Agence nationale de la recherche pour en faire une agence aux standards internationaux avec des taux de succès qui seront de l’ordre de 30 % ce qui correspond aux taux de succès des agences de financement internationales., en 2021, ce sont près de 400 M€ supplémentaires d’engagements qui seront rendus possibles via l’ANR, et enfin nous investissons sur des grands programmes Voilà pour les moyens financiers.
Nous relançons également les grands équipements. Tout cela se fait sur un modèle que nous allons drastiquement simplifier au niveau du format des appels à projet avec des dossiers qui vont aller beaucoup plus à l’essentiel afin de réduire le temps administratif du chercheur pour lui permettre de se concentrer sur la production de connaissances. Il est essentiel que nous le fassions au niveau de chaque site. Certains laboratoires ont trois ou quatre tutelles ce qui signifie trois ou quatre systèmes de gestion, trois ou quatre règles d’éligibilité des dépenses alors que nous sommes en train de parler d’argent public et des règles de la comptabilité publique qui sont les mêmes pour tous, mais qui néanmoins vues par divers agents comptables peuvent être différentes. Les chercheurs doivent se concentrer sur là où ils amènent de la plus-value, c’est-à-dire leur projet, la science. Ils doivent être davantage accompagnés sur la partie administrative. Quand vous demandez à un chercheur combien d’hommes/jours va représenter sa recherche, il est un peu démuni pour répondre à cette question, ce n’est pas son travail. D’où l’idée de réarmer beaucoup plus les fonctions soutien à la recherche au plus près des laboratoires et de donner aussi un statut au laboratoire de manière à ce que son directeur puisse mener une véritable politique scientifique. Je me souviens de cet exemple qui m’a été donné par un laboratoire qui avait besoin d’acheter un instrument à 5 000 €. Il avait 2 000 € sur le compte CNRS, 2 000 € sur le compte université et 2 000 € sur le compte Inserm et il n’arrivait pas à atteindre à concrétiser cet achat.
RPP – Que signifie concrètement donner un statut à un laboratoire ?
Frédérique Vidal – Cela veut dire que la gestion des financements pourra se faire directement au niveau du directeur du laboratoire. Dans l’exemple que je viens de vous donner, il pourra considérer qu’il a les 5 000 € dont il a besoin à sa disposition et qu’il ne sera plus obligé de se demander comment faire pour rapporter des financements des différentes tutelles alors qu’en fait se sont, dans tous les cas, des financements venant de l’Etat. Mais pour cela il faut qu’il y ait un statut qui lui permette d’être totalement délégataire de signature et pouvoir décider de la façon dont il organise les dépenses de son laboratoire.
RPP – Cela veut-il dire que vous favoriser l’autonomie de gestion du directeur de laboratoire par rapport aux multiples tutelles dont il peut dépendre ?
Frédérique Vidal – Oui mais il s’agit d’une latitude de prise d’initiative et non d’une autonomisation contre ses tutelles car en vérité la politique scientifique se fait soit au travers des programmes nationaux que j’ai évoqués, soit au niveau des politiques de site. Les universités et les organismes dialoguent et définissent la signature scientifique de leur site, cela est déjà fait au niveau des tutelles. Une fois que ce cadre est posé et que chaque laboratoire s’inscrit dans ce contexte général de politique de site, il faut laisser le directeur du laboratoire organiser les choses. Par ailleurs, il y a des éléments qui ne sont pas prédictibles. Un laboratoire peut accueillir un jeune chercheur qui rapidement monte une équipe, fait une découverte que le laboratoire souhaite soutenir et porter mais qui évidemment n’était pas inscrite dans sa stratégie arrêtée deux ans auparavant. Il faut donc redonner cette souplesse. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la part supplémentaire qui sera versée par l’ANR pour chaque projet sera amenée à 40 %. A chaque fois qu’un projet recevra 100, l’ANR distribuera en réalité 140, et sur ces 40 supplémentaires 5 iront au directeur du laboratoire dont le projet est lauréat pour lui donner de la réactivité, de la souplesse pour porter sa politique scientifique.
RPP – Le projet de loi prévoit la création de CDI de mission scientifique. Comment faire en sorte que ce dispositif ne soit pas complexifié par le fonctionnement administratif et réglementaire ? Comment ça fonctionne dans les universités ou les organismes de recherche ?
Frédérique Vidal – Nous sommes partis du terrain pour créer deux nouveaux dispositifs, celui des CDI et celui des chaires de professeur junior. Il s’agit d’outils supplémentaires demandés par les laboratoires, les universités et les organismes de recherche. Concernant les CDI de mission scientifique, le constat est très simple. On peut obtenir des financements, par exemple européens, sur une période de huit, dix, douze ans parfois, pour réaliser des projets, qui ont en général une envergure exceptionnelle et peuvent déboucher sur des choses extrêmement importantes, mais dans la configuration actuelle de la législation on ne peut conclure que des contrats à durée déterminée et la loi fait qu’au-delà de six ans de CDD on doit obligatoirement être cédéisé ou titularisé.
Or, pour cédéiser ou titulariser une personne, on ne peut plus utiliser l’argent du contrat puisque quand vous demandez un contrat, vous devez préciser la part de personnel prise sur les ressources de l’Etat et la part de personnel prise sur des ressources complémentaires. Et donc lorsque vous basculez une personne que vous payez par des ressources complémentaires vers les ressources de l’Etat, vous supprimez un emploi de l’Etat. Donc concrètement au bout de cinq ans on arrive à la fin de la durée maximale de CDD et on ne réembauche pas les personnes. Or, c’est elles qui pendant cinq ans ont acquis de l’expérience, des compétences, qui savent ce qu’attendent les chercheurs. On se prive de ces personnes. Pour contourner ce problème on leur demande de se mettre au chômage pendant six mois ou un an, puis on les réembauche. C’est d’une complexité terrible alors qu’en réalité on a de quoi les payer sur ses ressources propres pendant huit, dix ou douze ans. L’idée c’est de dire que si on a un contrat de huit, dix ou douze ans on peut recruter les personnes en CDI avec la sécurité que cela implique comme la capacité à contracter un prêt, trouver un appartement plus facilement, etc. Cela signifie également que si un autre laboratoire, une autre équipe ou la même équipe obtient un financement supplémentaire pour continuer ce projet pendant douze ans de plus, la personne restera vingt-quatre ans. Finalement c’est une façon d’avoir des emplois permanents sur des ressources qui ne proviennent pas de l’Etat. Quand on me dit qu’il suffirait d’embaucher ces personnes sous forme de titularisation en ouvrant des postes je réponds que dans ce cas on se prive des financements venant de l’Europe ou de partenariats. C’est un peu dommage que l’on endogénéise tout alors qu’on a des moyens complémentaires pour rémunérer des gens et conserver des talents.
RPP – L’idée c’est donc de donner plus de souplesse dans la possibilité de recrutement en fonction de la pluralité des ressources des institutions de recherche.
Frédérique Vidal – Absolument et que l’on évite d’avoir un jeune qui a un contrat de trois ans financé par l’Inserm et ensuite la possibilité d’avoir un autre financement qui viendra du CNRS, sauf que le CNRS va se rendre compte qu’il a déjà 50 contrats publics et que donc il ne peut pas l’embaucher alors qu’il a l’enveloppe budgétaire pour le payer. Il faut sortir de ce schéma ridicule et considérer qu’il y a une autre façon d’avoir un CDI qui ne repose pas sur des financements de l’Etat même si on est dans un milieu académique. C’est l’idée de ce CDI, les universités et les organismes de recherche nous ont demandé de leur donner cette possibilité. Certains disent que c’est davantage de précarité, la réalité du terrain montre que quand quelqu’un de l’équipe est compétent tout le monde se mobilise pour le garder le plus longtemps possible y compris, parfois, en faisant des montages très compliqués pour la personne et pour le laboratoire. Autant simplifier les choses.
Le second dispositif concerne la création de chaires de professeurs juniors. Des jeunes ayant obtenu leur doctorat partent à l’étranger pour leur première expérience professionnelle. Ils y restent trois, quatre, cinq ans et acquièrent une notoriété dans leur domaine. Certains souhaiteraient revenir en France mais ils sont recrutés à un niveau chargé de recherche ou maître de conférences alors qu’à l’étranger ils dirigent leur propre équipe. Il est compliqué d’intégrer une équipe et de ne plus la diriger parce qu’on est trop jeune pour candidater à des postes de directeur de recherche ou de professeur d’université qui nécessitent au moins dix ou douze ans d’expérience. Donc l’idée est de créer une autre voie d’accès qui permet de faire revenir ces jeunes sur la base d’un premier contrat. Ce contrat, qui est une forme de pré-titularisation, leur donne l’opportunité de terminer la démonstration de leur capacité à diriger des recherches, à guider une équipe et débouche au bout de trois, quatre ou cinq ans sur un emploi de directeur de recherche ou de professeur d’université fonctionnaire. Ce qui fait l’attractivité du système français aujourd’hui c’est la stabilité qu’offre le fonctionnariat dans le temps. Dans beaucoup de systèmes étrangers, même la personne la plus brillante doit redéposer tous les trois à six ans un nouveau projet pour lui permettre à nouveau de financer son équipe et son propre salaire. Le système français est très attractif car quand vous êtes rentrés dans la fonction publique vous ne vous posez plus cette question et vous allez chercher des financements pour travailler, pour faire de nouveaux projets mais pas payer votre salaire et celui de votre équipe. La contrepartie c’est que l’on rentre dans la fonction publique très tard et on est très mal payé. Pendant longtemps la question ne s’est pas posée mais la paupérisation et le fait que les salaires stagnent font qu’aujourd’hui si vous êtes recruté en tant que chargé de recherche ou comme maître de conférences dans une métropole vous êtes obligés de sortir de cette métropole pour vous loger. L’augmentation des rémunérations est également un pan important de la loi. Il faut faire rentrer ces jeunes qui ont démarré leur carrière à l’étranger et qui ne reviendront pas si c’est pour gagner trois fois moins et devoir néanmoins aller chercher des financements.
RPP – Qui pilotera ce dispositif ?
Frédérique Vidal – Il sera piloté par les établissements eux-mêmes : les organismes, les universités et les écoles. Le recrutement se fera sur la base d’un objectif fixé par contrat de trois à six ans, une vérification sera ensuite effectuée avant l’éventuelle titularisation.
RPP – Un protocole d’accord sur les rémunérations et les carrières des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur a été signé le 12 octobre à Matignon entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Pensez-vous que cela soit suffisant compte tenu de la pression qui s’exerce sur le plan international en matière d’attractivité et de fidélisation des personnels ?
Frédérique Vidal – C’est la première fois qu’un protocole d’accord majoritaire est signé sur les questions des rémunérations avec un engagement dans le temps, c’est historique. Aux termes de la première phase, selon les cas, en 2027, cela représente entre un mois et deux mois de salaire supplémentaires. Il ne s’agit pas d’une revalorisation à la marge. Puis il y aura une deuxième phase sur les trois années suivantes. C’est donc une revalorisation sur les dix prochaines années. Ce protocole donne également l’opportunité d’avoir un dialogue au moins une fois par an sur ce qu’on fait des nouveaux moyens. Nous avions deux façons de procéder. On prend la somme globale, dans sept ans elle représentera 644 millions supplémentaires pour les rémunérations, soit on la divise par sept puis par le nombre d’agents et tous les ans on augmente, soit on s’en sert aussi pour avoir une politique particulière d’attractivité. Donc, chaque année, on décide sur quel type d’emploi on fait porter les efforts en priorité. Cette année on a décidé de commencer par le personnel de catégorie C parce qu’on a besoin d’attirer des gens sur la question du soutien à la recherche et par les chargés de recherche et les maitres de conférence qui sont les plus bas salaires. Le protocole prévoit également un fort repyramidage. En effet, nous avons actuellement 30 % de professeurs d’université pour 70 % de maîtres de conférence, c’est-à-dire qu’aujourd’hui des maîtres de conférence arrivent à l’âge de la retraite en occupant toujours cette fonction, en étant hors classe depuis quinze ans, ce qui signifie une carrière complètement bloquée, ce qui est évidemment démotivant. Nous allons passer de 30 % de professeurs d’université à 40 % et donc ouvrir des voies de promotion pour permettre aux carrières de maîtres de conférence d’évoluer. Chez les chargés de recherche et directeur de recherche nous sommes dans une configuration différente. Nous avons déjà un peu plus de 40 % de directeurs de recherche, mais au sein de ce corps nous n’avons que 5 % de classes exceptionnelles alors que chez les professeurs nous sommes à 25 % voire même 30 %. Nous allons donc travailler sur la possibilité d’augmenter ce taux. Au sein des ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation, nous avons beaucoup de catégorie C, beaucoup moins de B et de A. Nous allons repyramider vers les catégories B et A les personnels de catégorie C car dans cette catégorie il y a des personnes qui ont des compétences qui sont largement du niveau du B ou du A. Tout cela est fait en lien avec les organisations syndicales qui étant sur le terrain sont capables de déterminer le corps et le grade dont il faut s’occuper prioritairement et cela donne également du sens à ce financement. Cela permet aussi de travailler sur la question de l’évaluation : qu’est-ce qu’on évalue ?, qu’est-ce qu’on valorise ?
Je tiens à ce qu’on valorise davantage dans les carrières le lien science et société, les questions d’orientation, d’attractivité des carrières scientifiques auprès des lycéens et des collégiens.
Mais cela ne veut pas dire que sur un volume fini de promotion, on va enlever des promotions sur le volet « recherche » pour en mettre sur le volet « transfert », cela ne fonctionne que si nous sommes capable d’augmenter très fortement le volume promotion. On aura toujours des promotions sur le volet « recherche » mais on aura d’autres façons d’avoir des promotions parce qu’on augmente leur nombre sinon on ne s’en sort pas, sinon les gens ne comprennent pas. Il fallait qu’on ait cette souplesse et ces moyens supplémentaires apportés par cette loi de programmation pour redonner du sens, redonner de l’attractivité à tous les échelons des métiers de la recherche.
RPP – Le financement récurrent des laboratoires, qui est une demande très forte dans les communautés scientifiques, est un sujet qui revient régulièrement dans les débats. On sait que la mécanique de reversement par l’ANR a parfois soulevé un certain nombre de tensions entre les universités et les organismes de recherche. Où en est-on ?
Frédérique Vidal – D’abord ce qui est très important et que les gens n’avaient pas compris au départ, c’est que pour un projet qui demande 100 on a bien 140 de décaissés. Au début les gens ont compris que pour un projet qui demandait 100, les porteurs du projet auraient 60 et 40 seraient distribués. Ce n’est pas du tout cela. Pour un projet validé à 100 on décaisse 140 donc c’est bien du plus. Ce qui veut dire que pour l’augmentation du budget de l’ANR d’un milliard d’euros, c’est 400 millions d’euros de financements libres qui vont arriver dans les laboratoires. Le protocole tel qu’il va être décliné prévoit 25 % pour les frais de gestion, ce qui permet aux établissements qui gèrent ces financements de s’y retrouver et de ne pas être obligés de demander aux laboratoires de contribuer à la gestion, c’est 5 % directement au laboratoire dans lequel l’équipe lauréate se trouve et c’est 10 % sur la politique scientifique générale. C’est la répartition des 40 % issue de la discussion qui a été menée entre les représentants des écoles, des universités et des organismes de recherche. Au-delà de cela c’est, dès l’année prochaine, plus 10 % de financements de la recherche de base c’est-à-dire qu’on abonde en moyenne les budgets des laboratoires sur la part recherche de 10 % supplémentaires et c’est plus 25 % à l’horizon 2023. Le financement récurrent est donc augmenté de 10 % dès l’année prochaine et de 25 % à horizon 2023 et viendront s’ajouter au travers de l’ANR des financements supplémentaires qui là, à mon sens, récompensent les vraies politiques de site. Dans un laboratoire lorsqu’une équipe gagne un appel à projet ANR, très souvent les autres équipes l’ont aidée en la soulageant, en lui facilitant les choses. De la même façon lorsqu’un établissement encourage ses équipes à présenter des projets, il investit aussi, il créé des conditions favorables, il met des personnels à disposition pour les aider à rédiger la partie administrative et financière des projets. Il est donc normal que ceux qui s’engagent, ceux qui donnent plus, reçoivent plus. Cela ne me gêne pas.
RPP – Le mécano institutionnel de l’organisation de la recherche est également un grand sujet. On l’a vécu notamment dans le domaine des sciences de la vie et de la santé, il y a quelques années, avec la question de savoir s’il fallait un institut unique ou une organisation plus souple qui coordonne. Ce mécano vous paraît-il optimal ? Par ailleurs, quid des alliances dans l’évolution institutionnelle et dans l’avenir de la recherche en France ?
Frédérique Vidal – La première chose que je tiens à souligner c’est que le mécano institutionnel nous paraît complexe parce qu’on le veut bien. Quand on regarde ce qui se passe à l’étranger on trouve que les choses sont beaucoup plus simples, mais quand on se penche plus avant ce n’est absolument pas le cas. Nous avons une capacité à l’autoflagellation dans notre pays qu’il faut connaître. Le travail qui est mené depuis trois ans pour demander à chaque site de définir sa signature scientifique et de le faire en fonction de l’ensemble de ses forces scientifiques qu’elles soient données par les universités ou par les organismes de recherche, a beaucoup changé la donne. Aujourd’hui les universités ne se demandent pas quelle est leur force hors organisme, elles sont capables de poser la question en tant que politique de site en lien avec les organismes. Cela veut dire que les choses sont beaucoup plus articulées et donc finalement se passent beaucoup mieux.
La présence des organismes nationaux reste pour moi essentielle.
Si je demande quelle université prend le lead sur un programme climat, je ne peux pas avoir de réponse cohérente. Si je donne le lead sur le climat au CNRS, il est capable parce qu’il travaille avec tout le monde de savoir où sont les forces, elles peuvent être dans la moitié des universités, les trois quarts, ou trois universités en fonction des thématiques. C’est la même chose pour l’Inrae sur les questions phytosanitaires. Je trouve que le côté politique de site pilotée globalement par les universités en lien avec les organismes et le côté stratégie nationale pilotée par les organismes de recherche avec les universités commencent vraiment à très bien fonctionner. C’est-à-dire qu’enfin on est sorti de deux dimensions et qu’on s’est mis en 3D. C’est comme cela que je le vois.
Du coup la question des alliances est moins primordiale que ce qu’elle a pu être. Néanmoins, quand je donne le lead sur la question antibiorésistance à l’inserm c’est parce que les alliances existent qu’il est capable de voir au-delà de ses propres laboratoires où sont effectivement l’ensemble des forces. Le rôle des alliances a pour moi un peu changé dans ce sens. Il donne une visibilité et permet de faire de la vraie prospective même si c’est un organisme qui est en responsabilité du pilotage parce que pour moi c’est important d’avoir un interlocuteur et non 50 et de lui demander de rendre des comptes. Quand l’Etat met 50 millions sur la table, je demande à l’organisme qui pilote ce qu’on en a fait, mais lui est sûr qu’il a effectivement vu la bonne cartographie grâce aux alliances. Il faut être capable de raisonner en matriciel.
RPP – Si vous deviez donner envie à des jeunes de faire de la recherche que leur diriez-vous ?
Frédérique Vidal – Je leur dirais que c’est probablement la plus belle chose qui puisse leur arriver, que finalement leur métier consiste à réfléchir, à penser, à produire de la connaissance, c’est l’un des plus beaux métiers du monde. Et si on y ajoute transmettre cette connaissance alors on a le vrai métier le plus beau du monde qui est celui que j’ai exercé.
Frédérique Vidal
Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation
Propos recueillis par Arnaud Benedetti