« La laïcité, c’est la disponibilité universelle du patrimoine humain, c’est la loi qui veut que chaque homme soit maître de son bien et que son bien se trouve partout où il y a des hommes. »
Robert Escarpit – Ecole laïque, école du peuple, 1961
Si l’Algérie avait été laïque, si elle avait suivi la voie éclairée que proposaient Saïd Sadi et le RCD, elle aurait emprunté un chemin bien différent de celui qui la condamne, depuis des décennies, à l’immobilisme et à la régression. Une Algérie laïque aurait refusé de consacrer des budgets faramineux à la construction effrénée et inutile de mosquées, grevant ainsi les finances des citoyens, des communes et de l’État lui-même. Cet argent aurait pu être investi dans des infrastructures essentielles, dans l’éducation, dans la culture, dans le développement d’un véritable secteur des loisirs permettant à chaque citoyen de vivre une vie décente et épanouie.
Un pays libéré du carcan religieux aurait pu évoluer vers une société moderne, où la science, le progrès et l’innovation auraient remplacé les archaïsmes imposés par une idéologie rigide. La laïcité aurait permis de restaurer une relation apaisée avec l’Histoire, mettant fin à l’instrumentalisation de la mémoire collective. La rente mémorielle, érigée en dogme étatique, aurait cédé la place à une politique tournée vers l’avenir, plutôt que vers un passé sans cesse revisité pour justifier l’incompétence et le despotisme des dirigeants. L’Algérie serait ainsi devenue un pays « normal », un pays où l’on construit, où l’on avance, où l’on débat, où l’on pense librement.
Dans cette Algérie laïque, les relations avec les pays voisins, notamment le Maroc, ne seraient pas dictées par des ressentiments stériles et des calculs politiciens, mais par la logique du dialogue et du bon voisinage. Deux nations partageant une histoire commune, des liens culturels et une géographie semblable auraient pu bâtir un avenir commun, fondé sur la coopération et l’entente. L’Algérie n’aurait pas été prisonnière d’une diplomatie rigide et paranoïaque, mais une nation ouverte sur le monde, capable d’embrasser la modernité sans renier son identité.
La laïcité aurait également garanti un droit fondamental : la liberté d’expression. Nul intellectuel, nul journaliste, nul citoyen n’aurait eu à craindre la prison pour ses opinions. Les geôles algériennes ne se seraient jamais remplies de prisonniers d’opinion, et Boualem Sansal, comme tant d’autres penseurs et écrivains, n’aurait jamais envisagé l’exil comme seule issue pour préserver sa liberté et sa dignité. L’Algérie aurait été un foyer de création, une terre où la critique est possible, où les idées circulent sans entrave, où les débats enrichissent la nation plutôt que de la diviser.
Mais au lieu de cela, l’Algérie reste engluée dans les bas-fonds d’une politique rétrograde qui piétine depuis l’indépendance. Une politique où la religion est instrumentalisée pour museler les esprits, où la pensée unique dicte sa loi, où l’autoritarisme et la censure étouffent toute velléité de changement. Une politique qui empêche l’émergence d’une véritable démocratie et qui condamne, année après année, des générations entières à l’impasse et à la désillusion.
La laïcité aurait sauvé ce pays. Elle l’aurait sorti du marasme, elle lui aurait offert l’opportunité de s’inscrire dans la modernité, de bâtir un État juste et équitable où chaque citoyen aurait sa place, quelles que soient ses convictions. Aujourd’hui encore, elle reste la seule voie possible pour espérer un avenir meilleur, loin des carcans idéologiques qui plombent l’Algérie depuis trop longtemps. Il est temps d’ouvrir les yeux, de briser les chaînes, et de réclamer haut et fort ce qui aurait dû être une évidence dès le premier jour de l’indépendance : une Algérie libre, éclairée, et enfin débarrassée de l’obscurantisme qui la condamne à l’immobilisme.
Kamel Bencheikh,
écrivain
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