Dans son article 24, la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît à chaque enfant le droit à la santé et à l’accès aux services de santé : « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services ». Cette reconnaissance s’inscrit dans un cadre plus large, celui du droit fondamental à la santé, consacré au niveau constitutionnel et international par le Préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La santé mentale des enfants a longtemps été un tabou, un sujet mal appréhendé, enfermé par une définition trop restrictive d’une part, et au sein d’un secteur psychiatrique mal considéré d’autre part. Cette double relégation a pour conséquence directe de multiples atteintes aux droits et à l’intérêt supérieur des enfants. Qu’il s’agisse d’adolescents soignés à l’hôpital dans un service adulte faute de places de pédopsychiatrie, de jeunes enfant tenus d’attendre plusieurs mois avant d’être suivis dans un centre dédié, d’enfants victimes de violences institutionnelles ou intrafamiliales qui ne sont ni repérés, ni protégés faute de coordination entre acteurs, de jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance qui vont être contraints de suivre une scolarité courte, en dépit de leurs souhaits, pour le seul motif financier, d’enfants qui vivent en squats, en hôtels sociaux, ou dans la rue, éloignés de toute structure de soin, ou de jeunes handicapés envoyés en Belgique, loin de leur famille, faute d’offre médico-sociale suffisante dans leur département. Qu’il s’agisse aussi de jeunes victimes de harcèlement, des jeunes pris dans des addictions, ou encore témoins de violences ou fragilisés par la situation économique précaire de leur famille, sans qu’un accompagnement approprié leur soit apporté.
L’institution du Défenseur des droits est régulièrement saisie de toutes ces situations. Elles doivent nous interroger collectivement sur nos devoirs vis-à-vis de nos enfants, en particulier les plus vulnérables. Car si tout le monde s’accorde sur l’importance de l’équilibre psychologique et émotionnel pour se sentir bien au quotidien et sur le lien entre santé mentale, santé physique, et qualité relationnelle, le lien entre santé mentale de l’enfant et respect effectif de ses droits, reste un combat.
En effet, un enfant qui ne va pas bien aura des difficultés d’apprentissages, des problèmes de confiance en soi ; il sera potentiellement un adulte qui va mal dans une société qui va mal.
Le défaut de prise en charge des troubles de santé mentale et les manquements aux droits qui en découlent, constituent bien une entrave au développement des enfants et à leur intérêt supérieur que deux années de COVID ont contribué à aggraver. Il y a aujourd’hui urgence à agir dans ce contexte de crise sanitaire, de climat anxiogène avec des conséquences néfastes sur les enfants.
Tendre vers une approche large et préventive de tout ce qui peut porter atteinte à la santé mentale de l’enfant serait donc la meilleure manière de garantir l’ensemble des droits de l’enfant. En toute circonstance. En tout lieu. Pour prendre la pleine mesure de la santé mentale, il faut donc l’appréhender en considérant l’ensemble des facteurs qui l’affectent, au-delà de la seule santé physique : environnement familial, scolaire, relations affectives, conditions de vie, réseaux sociaux, etc. En bref ; considérer que la santé mentale d’un enfant est l’affaire de tous.
Pour préparer le rapport Santé mentale des enfants : le droit au bien-être, nous avons consulté des centaines d’enfants et de jeunes, qui ont réfléchi à ce qui peut affecter leur santé mentale. Ils ont en particulier évoqué l’impact durable que peuvent avoir sur leur santé mentale les souffrances vécues à l’école, lieu de vie quotidien de l’enfant, qu’elles soient causées par du harcèlement, des difficultés ou des pressions scolaires. L’un des jeunes affirmait par exemple : « Au collège, ils parlent du harcèlement mais juste pour la bonne conscience. Ils ne font pas assez d’efforts par rapport à ça alors que c’est un sujet très important et que ça peut détruire des vies ». C’est également ce qui ressort de nos saisines : faute d’être repérées, prises au sérieux ou traitées à temps, ces situations de mal-être tendent à se dégrader, avec toujours des conséquences lourdes, et parfois dramatiques.
Au-delà des souffrances vécues à l’école, d’autres facteurs peuvent jouer un rôle important. Ainsi, la crise sanitaire – confinement, restrictions d’accès aux centres culturels, sportifs et de loisirs, port du masque – et l’atmosphère d’incertitude ont eu des effets majeurs sur la santé mentale des enfants (angoisse, stress, dépression, troubles alimentaires, etc).
Ces effets ont été redoublés pour les enfants qui se trouvaient déjà en situation de vulnérabilité, quelle qu’en soit la cause – pauvreté, handicap, maladie. Pour les personnes en situation de pauvreté, l’insécurité est une expérience chronique, qui alimente stress, angoisse, sentiment de culpabilité et d’impuissance, etc.
En mettant en lumière ces vulnérabilités, la crise sanitaire a révélé l’insuffisance des réponses apportées, que ce soit en termes de repérage des difficultés, de signalement des besoins ou d’accompagnement des enfants et de leur famille.
Ces défaillances relèvent de problèmes structurels identifiés depuis plusieurs années : déficit de professionnels, morcellement des prises en charge, défaut d’approche globale, etc. Les auditions menées dans le cadre de ce rapport l’ont souligné avec force. Et les assises récentes de la santé mentale et de la psychiatrie ont été l’occasion de le rappeler.
Il est urgent de dépasser les logiques de silos. La santé mentale des enfants, véritable enjeu de société pour nos enfants aujourd’hui comme pour les adultes qu’ils seront demain, mérite mieux que des approches fragmentaires et une approche strictement sanitaire. Il est temps de l’appréhender dans sa globalité, en lien avec la santé physique et avec l’environnement dans lequel évolue l’enfant.
Il faut donc répondre aux insuffisances dont souffre le secteur de la santé mentale, notamment dans ses aspects spécifiques touchant aux soins en pédopsychiatrie, en investissant massivement pour développer les offres de prise en charge et d’accompagnement, les propositions de suivi, les lieux d’écoute. La santé mentale des enfants doit devenir une priorité des politiques publiques et les recommandations que nous formulons dans notre rapport insistent sur l’urgence à agir pour développer des dispositifs d’accueil des jeunes enfants, l’accompagnement à la parentalité, les moyens accordés au réseau de la PMI sur le territoire, et la formation aux droits contre le harcèlement scolaire.
Eric Delemar
Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits, Claire Hédon