Imagine-t-on le General de Gaulle interviewé dans Pif ? Simone Veil en couverture de Playboy ? Robert Badinter faire un bras d’honneur dans l’hémicycle ? Le spectacle de nos politiques fait peine à voir. Comment s’étonner qu’ils inspirent de moins en moins confiance ou respect ?
J’ai honte de cet abaissement constant des hommes politiques de tous bords, de leur fascination maladive pour les médias, de leur incompétence, de leur inculture, de leurs insultes mutuelles, de leur débraillé. Alors que la guerre s’est installée en Europe, que les défis numériques, climatiques et démocratiques sont considérables, les claquements de pupitres sont indignes.
Comment s’étonner des violences à l’encontre de leurs permanences, de l’abstention qui monte et de l’antiparlementarisme qui suit.
Tous ceux qui, insoumis ou pas, aboient avec les extrêmes sont les idiots utiles d’un fascisme rampant, de droite comme de gauche.
L’explication, hélas, vient d’en haut. Ceux qui ont cru bon de prôner le « ni droite ni gauche », le « en même temps », n’ont pas réalisé l’ambiguïté dangereuse qu’ils installaient dans le paysage. Les mêmes qui faisaient mine d’admirer Mendès France affirmaient que gouverner c’était … ne pas choisir. Sous couvert de pragmatisme ils laissaient entendre que toutes les routes se valent et niaient la vertu du courage en politique.
Or le courage en politique c’est choisir un chemin et s’y tenir. En l’espèce le flou de la formule cachait le vide de la pensée.
Le résultat de cette posture molle devient catastrophique quand l’exécutif est finalement amené à prendre des décisions impopulaires. Comme on le voit sur la retraite. A côté des défilés de manifestants montent alors les critiques sur la verticalité du pouvoir et les suggestions hasardeuses : supprimer le 49, 3, ou installer le scrutin proportionnel… bref revenir à la IVe République ! Contrairement à ce que racontent les constitutionalistes de comptoir, il faut s’en tenir à des principes simples : un président élu au suffrage universel est légitime à décider ce qu’il soumet au Parlement. Une voix me suffit si elle me donne la majorité, disait Churchill.
La rue n’est pas le peuple et celui-ci s’exprime par le suffrage. Le contester c’est accepter le chaos. De même en multipliant les conventions citoyennes on décrédibilise encore davantage les élus. Et quand j’entends certains préconiser de tirer au sort leur composition …. je me remémore que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ce ne sont pas les institutions qu’il faut changer mais leur pratique.
J’ai toujours été réservé sur le rejet gaulliste des partis politiques. Mais force est de constater qu’ils ne remplissent plus aucune de leurs fonctions naturelles. Au lieu de former et de sélectionner des citoyens intéressés par la vie politique ils ne sont plus que la réunion clanique d’ambitions médiocres. L’effet d’internet est à cet égard destructeur : pourquoi dépenser son temps en militantisme quand on a les réseaux sociaux à portée de tweets ?
La désintermédiation de la politique par le numérique est une mauvaise nouvelle pour la démocratie.
Où sont les grandes voix d’hier de (Aron, Mauriac…) qui imposaient un peu de dignité à la classe politique de leur temps ? Si elles existent on ne les entend guère. Les clercs ne trahissent plus : ils se couchent.
Coluche a dit un jour : « je signale aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n’est pas moi qui ai commencé ».
Bernard ATTALI