Voilà bien un sujet qui « fait débat ». Pour faut sauver le financement du système de retraites qui souffre de la démographie et de l’insuffisance de travail il faut supprimer, entre autres, l’abattement de 10% dont bénéficient les retraités. Cette suppression s’impose, elle est à la fois morale au titre de la solidarité intergénérationnelle et budgétairement nécessaire. Elle est morale mais socialement génératrice de nouvelles inégalités et, budgétairement nécessaire mais insuffisante. Moralité et effets collatéraux, ce sont ces deux volets que cette tribune propose d’aborder.
La moralité de la suppression de l’abattement.
La « génération sacrifiée[1]« demande, avec le secours de l’exécutif et de quelques Think tanks, que les retraités participent, par la suppression de l’abattement des 10%, au redressement des comptes du système des retraites. L’idée est bonne. Elle manifeste l’attachement des actifs d’aujourd’hui à sauver le régime de solidarité intergénérationnelle. Cet attachement est d’autant plus à souligner qu’il est acceptation tacite de voir demain les futures retraites taxées de la même façon : taxer aujourd’hui c’est, toujours, taxer pour toujours. Un Léon Bourgeois se réjouirait de voir son solidarisme se manifester ainsi. La suppression de cet abattement est morale et désintéressée de la part de ceux qui la prônent : le poids fiscal qui pèsera sur les retraités ne fera pas alléger le coin fiscalo-social qui pèse sur les actifs.
De façon contre-intuitive la suppression de l’abattement est aussi une bonne chose parce qu’elle valorise le travail, mais d’une façon inattendue. Comment ? Parce qu’en supprimant cet abattement c’est le travail d’hier qui vient au secours de l’insuffisance de travail d’aujourd’hui. Après avoir cotisé pour les retraites de leurs parents, les retraités d’aujourd’hui vont cotiser, par le moyen de l’impôt, pour la retraite de leurs enfants. Á ce stade, un Léon Bourgeois est dépassé par un tel apport à sa théorie solidariste !
Il faut donc voir dans la suppression de l’abattement de 10% pour les revenus tirés des retraités une avancée sociale, sociétale, qui participe à renouer, un peu, le lien entre millenium et boomers, ce lien aujourd’hui distendu qui fragilise la société.
Toute pièce a son verso, toute politique publique peut avoir des effets contre-productifs, c’est aussi, hélas, le cas de la suppression de cet abattement.
Taxer les retraites : une carambouille fiscalo-budgétaire.
Toutes les bonnes raisons morales, et parfois contre-intuitives, ne doivent pas faire oublier que le diable est souvent dans le détail.
Premier détail, la suppression de l’abattement porte sur l’ensemble du « revenu retraite » (retraite de base, retraite complémentaire et autres revenus cotisés ou non). Si la justification de cette suppression est de limiter la dépense du régime général des retraites, la suppression de l’abattement ne doit concerner que la retraite de base. Les prestations-retraite des régimes complémentaires (qui ne sont pas déficitaires) n’ont pas d’effet sur le déséquilibre des régimes de base – régime CNAV, régime des agents publics ou les régimes spéciaux.
Ce « détail », les observateurs de la protection sociale en voient les conséquences : en supprimant l’abattement de 10% sur l’ensemble du revenu du retraité l’État capte, au bénéfice des régimes de base, des prestations servies par les régimes complémentaires. Ces mêmes observateurs verront là qu’à défaut d’entrer « par la porte » des réserves prudentielles de l’Agirc-Arrco, l’État entre « par la fenêtre » des prestations servies par ces organismes. Á ce détail il faut ajouter que le revenu des retraités autre que les pensions de retraites sera capté, pour partie, de la même façon. Il ne s’agit donc pas de la simple suppression d’un abattement mais d’une tranche d’imposition supplémentaire non-dite. Une tranche d’impôt « catégorielle » qui écorne le principe de l’égalité devant l’impôt.
Autre détail, conséquent du premier, c’est le caractère fortement contre-progressif de cette mesure. Par l’effet du plafonnement à 4000€, les revenus de retraités imposés dans la première tranche de l’IR verront leur impôt augmenter proportionnellement plus que celui de ceux qui sont imposés dans les tranches supérieures ; pour les plus hautes tranches d’imposition l’effet sera marginal. Les tenants d’une plus forte progressivité de l’impôt devraient s’en alarmer, les tenants d’une moindre progressivité, s’en satisfaire.
Impôt « catégoriel » et contre-progressif font, ensemble, de cette suppression, une mesure a-sociale. Si le travail ne paie plus suffisamment, la suppression de l’abattement ajoute de l’inégalité face à l’impôt et conduit à ce que les retraites aussi ne paieront plus suffisamment. Ce n’est plus un détail. La morale sociale de la suppression de l’abattement est mise à mal par les conséquences !
Les observateurs du Social verront aussi dans cette mesure un nouveau pas dans la fiscalisation-étatisation de la protection sociale et devraient s’étonner que cette mesure soit accompagnée de la proposition faite par l’exécutif de confier la gestion des retraites aux partenaires sociaux. Les deux ne « collent pas » ! Après l’épisode « Assurance chômage et carambouille budgétaire[2] » nous voilà à celui des « retraites et carambouille fiscalo-budgétaire ». Le détricotage du modèle hérité du CNR se poursuit, on le replâtre pourtant sans le réinventer. La carambouille du moment, dans la logique des précédentes, vise à refinancer des déficits (retraites publiques et régimes spéciaux) en captant des « excédents » qui ne sont en rien la cause de ces déficits. La suppression de cet abattement illustre ce que sont, trop souvent, les politiques publiques qui se résument à « dépenser c’est agir » et, en même temps, à « taxer c’est agir ».
La situation du régime général des retraites n’est pas, au-delà des débats sur les « conventions » et « déficit cachés », une découverte. L’affolement que l’on perçoit pour trouver des solutions est tout autant inquiétant que la situation qui l’explique. S’affoler c’est prendre le risque d’une décision opportune qui sera une mauvaise décision, d’autant plus mauvaise, et c’est loin d’être un détail, que le « fléchage » du supplément de recette fiscale attendu, vers le financement des retraites, reste une grande inconnue. Á défaut d’être « en partie double », la comptabilité de l’État s’affirme « en partie trouble ».
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale – Think tank CRAPS, est ancien DGA de l’Unedic.
Source : HJBC / Shutterstock.com
[1] Voir https://www.revuepolitique.fr/reforme-des-retraites-il-ny-a-pas-de-generation-sacrifiee/
[2] https://www.revuepolitique.fr/assurance-chomage-et-carambouille-budgetaire-a-quoi-sert-lunedic/