Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
Les artistes et la nouvelle économie, mardi 14 avril
Je l’admets aisément, évoquer la place des artistes dans la société et la création elle-même, dans le contexte actuel, peut sembler décalé. Je vois bien l’ampleur des difficultés que la société va affronter. Dominique Strauss Khan en fait, dans un article récent paru dans Les Echos, une présentation forte et très pédagogique.
Hors de toutes les questions macro-économiques, financières et de politique internationale, j’extrais trois idées qui, je l’espère, feront un lien avec mon propos sur les artistes.
Il évoque : un choc de l’offre simultané avec un choc de la demande, l’accélération de mise en place d’un capitalisme numérique, enfin un changement profond des préférences collectives. Pas surprenant, dès lors, qu’il fasse référence à la destruction créatrice de Schumpeter.
A l’évidence, cela demande d’interroger nos points de vue, notre manière de regarder les choses.
Johann Le Guillerm, cité dans la chronique sur la place des artistes, entend s’affirmer comme praticien de l’espace des points de vue. Une philosophie qui pense « le tour d’un sujet » au pied de la lettre : le monde est ce qu’on en voit et ce qui nous est invisible.
Pour l’appréhender entièrement, il faut admettre une vision qui prenne en compte la multiplicité des points de vue – même contraires – portés sur lui.
Dans une situation de crise structurelle comme celle-ci, il faut rapprocher l’art et l’industrie et croire en la transgression artistique, au choc culturel. Ce n’est pas une posture décorative pour temps noirs.
L’industrie du futur sera une industrie de création et de production d’expériences.
Voilà pourquoi les industriels doivent se confronter aux plus créatifs : les artistes.
Il faut décloisonner, rechercher la transversalité. Il faut permettre d’être surpris. La création est toujours de l’ordre de la fulgurance, qu’elle soit scientifique ou artistique. Il n’y a pas de processus prédéterminé, on ne doit pas savoir au départ.
Plus c’est difficile et apparemment insurmontable, plus il faut croire à ce pas de côté de la création. Ce que proposait Nietzsche (Généalogie de la morale) : « Fermer de temps en temps les portes et les fenêtres de la conscience ; faire silence, un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu’il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles, et en particulier pour les fonctions et les fonctionnaires plus nobles, pour gouverner, pour prévoir, pour pressentir… ».
Nous voyons des exemples quotidiennement si l’on veut bien regarder. Prenons l’exemple de la fabrication additive. On nous la présente comme une chose qui va de soi. Mais la réalité du terrain est que son modèle économique nécessite de ne pas reproduire à l’identique, mais de sortir du cadre pour envisager d’autres pièces, d’autres mix de matériaux, d’autres fonctionnalités. Mais sortir du cadre n’est pas la spécialité des industriels. C’est en cela que le couple artiste- industriel peut provoquer un choc créatif qui tire le nouveau modèle économique à inventer.
Ce modèle productif doit fusionner trois éléments indispensables : l’imaginaire artistique ; la formalisation de la recherche et du développement ; l’adaptation aux usages des designers, des « makers ».
Ce modèle n’émergera que si l’on organise une coopération créative.
Ces choses peuvent paraître abstraites pour qui n’a pas assisté aux fulgurances de discussions entre magiciens et industriels du virtuel, entre plasticiens et industriels des matériaux. Avec, à la clé, des brevets, des solutions.
On comprend le saut créatif nécessaire pour affronter l’après pandémie. Il doit aider à penser, simultanément, la prise en compte des transformations profondes des comportements et des subjectivités dans la société, et la manière de trouver des traductions concrètes dans les processus de production.
A l’évidence, l’enjeu climatique et ses relations avec de nombreux enjeux de la préservation de l’environnement, en particulier celle de la biodiversité, en est l’axe majeur. Déjà, de nombreux scientifiques décrivent les liens et la responsabilité humaine dans cette pandémie, par ses modifications de l’habitat de nombreuses espèces par le déboisement par exemple. Les artistes peuvent aider à retrouver un équilibre indispensable avec la nature, le dialogue des vivants avec leur environnement.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste