Éric Coquerel, député, distingue trois axes qui lui paraissent essentiels pour parvenir à un aménagement du territoire équilibré et durable.
Enraciner la démocratie locale
C’était le 7 novembre 2019. Il y a deux mois, l’Élysée annonçait à la presse renoncer au projet Europacity. Un chantier qui s’annonçait pharaonique, et qui symbolisait toutes les contradictions de la politique d’aménagement du territoire de notre temps.
Car cet immense projet s’inscrit dans l’air du temps : celui d’un développement urbain qui privilégie la surconsommation de loisirs et d’objets accessoires, au détriment d’une vision raisonnable et pragmatique de l’aménagement du territoire. Bétonner les terres les plus fertiles d’Île-de-France à l’heure où nous avons besoin de développer l’agriculture biologique et des circuits courts sur tout le territoire : voilà toute l’absurdité néolibérale à laquelle je m’oppose.
Si je parle d’Europacity, c’est parce que l’histoire de ce fiasco est lourde d’enseignements. Le premier, c’est que, face à des multinationales comme Wanda ou Immochan, c’est la détermination et la combativité des habitants et des associations sur le terrain qui a permis de faire abandonner le projet. C’est-à-dire le rapport de force. Cela doit nous faire réfléchir sur l’outillage démocratique qui accompagne chaque grand projet d’aménagement urbain : les différentes étapes obligatoires en matière de concertation sont encore trop peu participatives, trop peu contraignantes pour les pouvoirs publics et les entreprises… et donc très peu investies par les citoyens, qui préfèrent logiquement le conflit, puisqu’il est plus efficace. La Commission nationale du débat public a, certes, des prérogatives, mais elle manque cruellement de moyens humains, matériels et juridiques pour faire entendre la voix des citoyens.
Cette carence démocratique se fait sentir d’ailleurs sur tout le territoire. La logique de « régionalisation » écarte de plus en plus les décisions politiques des communes. On ne compte plus les communautés de communes qui ne sont pas choisies, mais imposées par des décisionnaires hors de portée des cadres démocratiques locaux.
Il y a urgence à reconnaître le principe de libre administration des collectivités : oui, la France compte beaucoup de collectivités.
Oui, le regroupement de certaines compétences locales peut être utile. Mais à condition que ce soit un choix de la part des habitants ! Notre pays gagnerait à affirmer que c’est aux communes et aux départements de définir leur propre organisation territoriale. Cela devra commencer, logiquement, par l’abrogation des lois de l’Acte 3 de la décentralisation. Et cela devra se poursuivre par l’enracinement de la démocratie locale, par exemple en créant des conférences citoyennes de territoire qui peuvent permettre aux citoyens de peser sur les décisions des collectivités.
Une urgence sociale
À cette urgence démocratique se conjugue une urgence sociale. Le constat doit être clair : les Français ne sont pas égaux et l’État ne joue pas son rôle. Le lieu d’habitation reste un facteur discriminant pour beaucoup de nos concitoyens. Le mouvement des « gilets jaunes » a fait exploser une vérité simple : avec des salaires toujours aussi faibles, en l’absence de moyens de transport en commun et avec des lieux de travail toujours plus éloignés des lieux d’habitation, l’augmentation du coût de l’essence n’est pas une gêne : c’est rendre impossible la vie de tous les jours. C’est pourquoi le développement des services publics, au sens large du terme, dans tout le territoire est une urgence vitale. Et je ne parle pas des rustines, à l’image de cette trouvaille absurde du gouvernement qui consiste à faire des bureaux de tabac des centres de recouvrement des impôts. À force de mépriser les services publics, le gouvernement en oublie que conseiller quelqu’un en difficulté sur ses impôts, c’est un métier, pas un passe-temps ou un travail secondaire. Et qu’un buraliste sera bien en peine d’expliquer la procédure de surendettement à une personne dans la détresse sociale.
Au-delà de cet exemple, je pense à toutes ces petites lignes de chemin de fer qui ont été abandonnées parce que « non-rentables ». J’aimerais d’ailleurs que l’on m’explique en quoi le tout-voiture est rentable pour les familles, lorsque le prix de l’essence explose ! Rouvrir les gares fermées, redéployer un réseau national de qualité de TER et d’Intercités, voilà des mesures concrètes qui nous permettraient de garantir à chaque Français d’arriver à l’heure au travail, à coût fixe et raisonnable. Autre exemple : maintenir des écoles (en abrogeant les « conventions ruralités » en milieu rural notamment), des centres de santé, des centres culturels : voilà qui permettrait de décongestionner les flux et d’assurer l’égalité territoriale à tous les Français. Nous avons tous les leviers d’action pour le faire : qu’attendons-nous ?
Écologie : une dimension essentielle
Enfin, à l’heure où l’Australie brûle et où un milliard d’animaux ont disparu dans les flammes, l’urgence écologique doit devenir la dimension la plus importante en matière d’aménagement du territoire. Promouvoir la règle verte, c’est-à-dire l’interdiction pour la France de prendre plus à la Terre que ce qu’elle ne peut produire, ce n’est pas appuyer sur un bouton : c’est enclencher un investissement public considérable qui doit se retrouver à tous les échelons administratifs. Puisque nous avons besoin de développer les circuits courts, alors nous avons le devoir de soutenir financièrement les entreprises, les agriculteurs et les territoires qui y font appel. Par exemple, via le soutien aux coopératives locales d’énergies renouvelables dans les territoires ruraux. Ces mesures doivent évidemment s’accompagner de la fin de l’asphyxie budgétaire des territoires.
C’est pourquoi je plaide pour arrêter définitivement les baisses des dotations, mais aussi l’hypocrisie qui consiste à créer des fonds d’investissement aussi multiples qu’illisibles : les collectivités ont besoin de clarté, de moyens propres et de dotations stables !
Voilà, je le pense, les trois axes majeurs d’un aménagement du territoire qui garantit la justice et l’égalité territoriale. Mais en tant qu’élu de Seine-Saint-
Denis, je ne peux pas conclure ce texte sans rappeler la fracture béante qui frappe les quartiers populaires. Le problème est tellement immense, qu’avec des parlementaires de tous bords, nous avons alerté le Premier ministre suite à la publication du rapport Kokouendo–Cornut-Gentille sur la responsabilité de l’État sur le délabrement de la Seine-Saint-Denis. Les mesures apportées ont été faibles, même si nous les prenons : c’est toujours mieux que rien. Mais le problème perdure. J’ai la rage au cœur de voir la faiblesse des pouvoirs publics face aux marchands de sommeil qui, sur ma circonscription, ont loué parfois à 600 € par mois des appartements délabrés à des familles, sans fenêtres, sans aération, couverts de moisissure à cause de l’humidité. Je suis triste que dans mon pays, l’État détourne le regard sur ces immenses « quartiers-dortoirs » de la métropolisation à outrance, où il a entassé des populations fragiles économiquement, et que notre gouvernement parle de « reconquête républicaine », comme si les habitants étaient en sécession.
Que ce soit dans les quartiers populaires, dans la ruralité, ou dans ces banlieues pavillonnaires éloignées de tout, au fond c’est la même boussole qui doit toujours nous guider : aider les Français les plus en difficulté, aller aux racines des problèmes territoriaux, c’est toujours contribuer à l’amélioration générale des conditions de vie de nos compatriotes !
Eric Coquerel
Député LFI de Seine-Saint-Denis