Dans cet article, Pierre Larrouy propose une lecture symbolique et politique du conflit Trump/Musk, figures extrêmes de la puissance contemporaine. En croisant anthropologie politique, psychanalyse et souveraineté culturelle, il esquisse la possibilité d’un troisième lieu : HopeLand, scène langagière et européenne d’un relèvement possible. Hope lang[1] est langue de l’espoir et de la confiance là où la novlangue est celle du contrôle. Un texte ancré dans les enjeux IA, langage et démocratie.
Et si la vraie souveraineté commençait par un lieu où parler tient encore ?
“Quand deux figures s’affrontent au sommet, ce n’est pas une querelle, c’est une tectonique. Et parfois, une fêlure, factuelle, dans le mythe américain.”
Depuis juin 2025, Donald Trump et Elon Musk se déchirent. D’abord à coups de tweets, puis de menaces politiques, de montages financiers, de récits rivaux. Trump accuse Musk d’avoir trahi l’esprit du peuple américain. Musk insinue que Trump n’est plus qu’un reliquat d’un âge révolu. Chacun rejoue sa partition. L’un parle depuis Mar-a-Lago, l’autre depuis X. L’un avec les mots du ressentiment, l’autre avec les outils de la performance.
Mais ce que révèle cette opposition n’est ni une anecdote ni une stratégie électorale. C’est un duel de récits, une fracture mythologique, une lutte pour le langage. Et c’est ici que tout commence.
Titans sans peuple
Trump, c’est le retour du père, vertical, brutal, familier. Il parle en majuscules, ment avec ferveur, promet avec colère. Musk, c’est l’enfant prodige devenu dieu, digital, lissé, insaisissable. Il programme, projette, fait mine de dialoguer avec l’avenir. Entre eux, pas de peuple, pas d’écoute. Juste deux visions concurrentes du pouvoir, de l’Amérique, de l’homme mais le partage d’une construction idéologique de la puissance, du pouvoir.
Ni l’un ni l’autre ne parle vraiment depuis la langue des vivants. Leur langage est instrumentalisé : slogan chez l’un, prompt chez l’autre. Le verbe est devenu fonction, non événement.
Il faut inventer à cette ‘scène parabole’ un ‘fils prodigue’ surprenant et nécessaire. Encore faudra-t-il que ce revenant ne soit pas devenu un enfant post-moderne. Ceux qui ne confondent pas le Père avec le patriarcat ou les actions associées de plus en plus assumées, du moins effectuées par les mères.
Anthropomorphisme inversé
Trump et Musk projettent deux anthropomorphismes dévoyés. L’un veut faire de l’IA une force à dompter, comme un Mexicain à renvoyer ou une élection à voler. L’autre rêve d’une IA qui nous dépasse, qui corrige nos erreurs, qui optimise nos affects. Dans les deux cas, le langage est escamoté. Dans les deux cas c’est un langage qui devrait renvoyer à la Clinique.
Car derrière la bataille politique se cache un oubli plus grave : la parole humaine n’est pas un outil. Elle est un abri. Elle n’est ni toute-puissante ni purement rationnelle. Elle doute, elle bégaye, elle hésite. Elle lie.
La Revue, dans son soutien à Boualem Sansal, demain à Kamel Daoud, rappelle ceci : défendre la liberté d’expression, c’est défendre le langage. Et défendre le langage, c’est un enjeu définitif.
Ce que le conflit dit de nous
En analysant ce duel avec les outils symboliques que nous offrent les humanités européennes — et notamment les grilles d’analyse de la sémantique, de la psychanalyse ou celle des rêves et des mythes — on peut extraire ceci :
– Le Réel : une guerre des souverainetés dans un monde décentré, post-nation, post-territoire.
– Le Symbolique : l’effondrement du cadre commun, remplacé par des marques personnelles.
– L’Imaginaire : une lutte d’ombres, où chacun prétend incarner le futur ou restaurer un passé.
Mais aucune des deux figures ne tient lieu de parole fondatrice. Aucune n’ouvre à un langage qui relie. Toutes deux écrasent, occupent, saturent et, in fine, s’auto-dévorent dans un festin cruel et sans générosité.
Et si HopeLand était le troisième lieu ?
HopeLand, ce n’est pas une utopie. Ce n’est pas une marque. C’est un lieu de résistance langagière, une scène de relèvement, là où les mots tiennent encore. Ce pourrait être un quartier, un collège, une radio associative, un territoire francophone périphérique ou ultramarin. Partout où la voix n’est pas colonisée.
Mieux : HopeLand incarne cela — et plus encore: la capacité, dans un monde saturé de calcul, à parler humain et européen.
Quand les IA ferment le langage, et où les figures politiques le défigurent, HopeLand propose une ligne différente : la parole comme geste politique, comme lien entre sujets, comme territoire en soi.
Dans ce territoire d’une nouvelle espérance, la Hope Lang propose une alternative fondée sur l’ouverture, la diversité et l’émancipation par le langage, s’appuyant sur les principes de l’IA humaniste et open source.
De la souveraineté discursive à la souveraineté réelle
Refonder une souveraineté européenne ne se fera pas uniquement par les câbles ou les puces, mais par le récit. HopeLang est le nom de ce récit. HopeLand, celui de sa mise en œuvre – l’Europe!.Une politique publique du langage. Une diplomatie de la parole. Une IA qui n’oublie pas le sujet.
Ce que Musk veut dissoudre, ce que Trump veut dominer, HopeLand veut l’écouter.
Leur pugilat n’est pas guignol pour feindre mais un drame au sens premier qui est parole en acte et souvent de manière paroxystique.
Conclusion : recommencer à parler, vraiment
Nous ne sommes pas face à un choix entre l’ancien monde qui transgresse (Trump) et le monde qui se veut d’après (Musk). Nous sommes face à un vide de récit, un silence organisé. HopeLand n’est pas une solution miracle. C’est un espace de murmure, une tentative d’ancrer à nouveau le langage dans le commun.
Dans un monde qui crie ou calcule, il faut peut-être simplement recommencer à parler. Et que cette parole fasse encore lieu.
“Le vrai pouvoir, c’est celui qui laisse les autres parler.”
Dans son dernier édito pour Actuel, Jean-François Bizot l’avait prédit : ‘il faut réapprendre à parler la nuit’.
Pierre Larrouy
Essayiste
Source : RKY Photo / Shutterstock.com
[1] Articles dans la Revue Politique et Parlementaire sur ce theme : La deuxième exception culturelle sera cognitive et européenne ou ne sera pas, Manifeste pour une hope langue de dissuasion