Une partie des experts médicaux qui saturent nos écrans entonnent une ritournelle qui remonte à 1935 : “Tout va très bien Madame la Marquise…” en nous promettant le début de la libération pour le mois de mai, à mi-voie entre propagande ou méthode Coué, tandis que d’autres plus sceptiques ou plus prudents nous alertent sur un énième variant en provenance du sous-continent indien, qui semble encore plus pernicieux que ceux originaires du Brésil ou d’Afrique du Sud après l’Angleterre… Qui croire et comment ne pas frémir à l’idée d’espérances déçues quand on reçoit heure après heure le tombereau d’annonces contradictoires, divergentes ou à la limite de la schizophrénie de ceux en charge de la conduite des affaires publiques en France, en Europe et au-delà ?
Jamais un mois d’avril, au moment du réveil de la nature, ne se sera montré plus contrasté et porteur d’incertitudes, riche en anniversaires les plus chargés de présages inquiétants ou en disparitions symboliques, dans un monde gagné par la montée de l’insécurité, le creusement des inégalités et un sentiment diffus d’injustice et de perte totale des repères élémentaires qui aident en temps plus normaux les peuples à garder le bon cap dans la tourmente…
En France, les prémices avant-coureurs d’une campagne pour l’élection présidentielle de 2022 viennent brouiller encore un peu plus les messages à destination d’un pays abîmé par la crise sanitaire et la lente dérive politique, économique et sociale qui a précédé la pandémie. En l’espace de quelques décennies, on a dégringolé d’une certaine idée de la France à des concepts difficilement compréhensibles et admissibles pour le commun des Françaises et des Français, les sans dents ou ceux qui ne sont rien sans doute, de nécessité de déconstruction de notre histoire pour réparer des injustices et discriminations certes regrettables, mais ne justifiant en rien une telle posture au vu des urgences de l’heure et de la gravité de la situation.
L’aspiration à une vie paisible est tous les jours démentie par une actualité anxiogène qui va crescendo dans l’accumulation de crimes, incivilités et signes inquiétants d’une installation permanente de la violence et de l’insécurité dans l’hexagone. De Tourcoing, la cité dont le Ministre de l’Intérieur a été l’édile, à Montpellier où le conducteur d’un scooter reçoit trois balles dans le corps le jour même où le Chef de l’Etat vient promouvoir dans une cité sensible la politique de sécurité du gouvernement, les symptômes d’une société malade et en danger de mort ne cessent de se propager et la justice nous renvoie des réponses pour le moins paradoxales, comme dans le drame du martyre enduré par une vieille dame victime de l’effroyable résurgence de l’antisémitisme, ou dans le procès en appel de la tentative d’assassinat par le feu de policiers à Viry Châtillon, inacceptables et injustifiables même au prix d’arguties de droit…
Au mois d’avril 1975, de jeunes soldats tout de noir vêtus pénétraient dans la capitale du Cambodge et les journalistes d’un grand quotidien déshonoraient leur profession en clamant la libération d’une cité qui deviendrait bien vite l’exemple d’une sorte d’écologie génocidaire, vidée de sa population et des réfugiés d’une guerre entre des idéologies irréconciliables, livrés à une effroyable et meurtrière descente aux enfers… En remontant plus loin dans le temps, au mois d’avril 1961, l’Algérie encore française et sa métropole vivaient un des épisodes les plus sombres de l’histoire coloniale universelle – la tentative de putsch du quarteron de généraux opposés à la voie empruntée par le Général de Gaulle pour résoudre la crise-, une histoire qu’il ne faut ni renier, ni dénaturer mais bien au contraire assumer sous toutes ses facettes, des plus sombres aux plus lumineuses, sans jamais esquiver les parts de responsabilités respectives des acteurs de la tragédie vécue des deux côtés par les populations concernées… Tous les cadavres de victimes, quel que soit leur camp, se ressemblent sous les étoiles aveugles, et on ne déconstruit pas impunément l’histoire. On peut la réécrire, la travestir, des minorités dont on ne mesure jamais assez la force peuvent la transformer voire en changer le cours, dans le désir insensé de reformater la conscience de leurs prochains ou les rêves de leurs enfants, elle finit toujours par rattraper les apprentis sorciers qui prétendent se l’approprier à des fins inavouables mais toujours néfastes…
Avril 2021 est lourd d’événements graves et d’annonces plus contrastés les uns que les autres.
Le dernier en date est survenu au Tchad avec la disparition d’une des dernières sentinelles du continent face à la menace djihadiste… Un Français va s’envoler demain à destination de la station spatiale internationale au moment où la Russie annonce son intention de se doter de sa propre installation, sur fond de tensions au sujet de l’Ukraine. Le Président Biden annonce le retrait des derniers soldats américains encore présents en Afghanistan, et appelle son peuple à la concorde à l’issue du procès du policier responsable de la mort de George Floyd…
La plus ancienne des Souveraines en exercice dans le monde, Elizabeth II, qui aura traversé tant d’événements primordiaux dans l’histoire universelle, célèbre son 95e anniversaire, exemplaire dans le deuil qui vient de la frapper…
La campagne de vaccination suit chez nous son cours erratique, entre images de médecins contraints de jeter des doses par la faute d’une communication irresponsable sur tel ou tel vaccin, d’ouvertures de vaccinodromes inaugurés avec éclat médiatique mais parfois fermés le dimanche suivant, faute de candidats à la piqûre salvatrice… De quoi alimenter la perplexité et la confusion dans l’esprit du public… Les mesures sanitaires, censées porter leurs fruits, respectées par une immense majorité, subissent, ici et là, des assauts de mauvaise volonté et d’inconscience criminelle d’une poignée de sceptiques, sans doute encouragés dans leur imprudence par la ritournelle de ceux qui crient victoire avant l’heure.
Le gel qui a frappé les vignes et vergers de France laisse augurer un été amputé de ses fruits. Formulons le souhait que les espérances d’un retour progressif à un souffle de liberté après une année de contraintes, de privations et de frustrations se concrétisent réellement sans aller jusqu’au dicton célèbre – en mai, fais ce qu’il te plaît – mais au moins à une perspective plus acceptable que le chaotique mois d’avril 2021 si ambigu.. Terriblement dévastateur serait l’effet d’espoirs déçus ou contrariés, dans un temps où les illusions perdues ne sont guère susceptibles de pardon et quand se rapproche un peu partout dans le monde l’heure de rendre des comptes, avec les échéances électorales à venir…
Eric Cerf-Mayer