Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a ainsi qualifié sur BFM Politique, le 13 mars dernier, ce que serait un éventuel recours à l’49-3 C pour adopter la réforme sur les retraites.
Pour quelqu’un dont on dit qu’il lorgnerait sur 2027, il conviendrait d’apaiser ses émotions et de conforter ses connaissances institutionnelles. Dans ces colonnes nous avons déjà eu l’occasion d’expliciter ce qu’était l’article 49-3. Il s’agit, pour faire simple, d’une procédure qui permet de faire adopter une loi sans vote. Cela peut presque paraitre hérétique en logique parlementaire, mais il faut rappeler que le parlementarisme de la Ve est rationalisé.
C’est-à-dire que le gouvernement encadre une partie non négligeable de la procédure parlementaire et notamment l’adoption de la loi.
C’est ainsi depuis 1958. Tant la droite que la gauche, quand elles sont au pouvoir, ont recours à cet article 49-3 (le record appartient aux gouvernements de M. Rocard entre 1988 et 1991). Une fois dans l’opposition elles le critiquent. Oserait-on dire que c’est de bonne guerre. C’est le jeu démocratique.
Rappelons à M. Berger ce que dit Le Robert sur le vice : 1) disposition habituelle au mal ; conduite qui en résulte. 2) mauvais penchant, défaut grave que réprouve la morale sociale. Désolé mais une règle constitutionnelle, si désagréable à subir soit-elle, est une norme fondamentale qu’il convient de respecter. D’autant plus qu’elle fut largement (82 %) approuvée par le peuple français lors du référendum du 28 septembre 1958.
Le constitutionnaliste que je suis en a assez que, parce qu’on est « du peuple », on se croit apte à remettre en cause la légitimité des institutions en place et de ceux qui nous gouvernent. Jean-Pierre Raffarin avait tout à fait raison lorsqu’il estimait en 2011 : « la rue doit s’exprimer mais ce n’est pas la rue qui gouverne ». La souveraineté nationale, si elle peut légitimement exprimer son droit de manifester, ne doit se sentir investie d’aucune légitimité politique. Nous savons pertinemment que 80 % de nos concitoyens sont ignorants en matière constitutionnelle. Alors apprenons-leur ce qu’énonce l’article 3 C : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Une rapide analyse de texte révèle que la souveraineté s’exprime donc de deux façons : les représentants (président de la République, députés) et le référendum. Dès lors E. Macron détient, qu’on le veuille ou non, qu’on l’apprécie ou non, une légitimité qui court jusqu’en juin 2027. Il en va de même des députés (sauf dissolution entre temps). Tout part du vote, tout revient au vote ! Même des manifestants, si nombreux soient-ils, ne peuvent s’attribuer la souveraineté et ne sauraient constituer une société.
Il y a une méprise totale sur l’ordre des choses et des valeurs dans notre société. Notre curseur social et démocratique devient fou !
Puisque de « vice démocratique » il s’agit, nous estimons que notre démocratie est véritablement viciée par l’attitude de certains députés Nupes. Ils ont érigé la vulgarité absolue d’abord dans l’attitude vestimentaire puis en système de communication. Les dérapages verbaux et attitudes sont intolérables. Dans l’hémicycle on a toujours débattu, parfois avec de grandes envolées, mais il y avait une certaine dignité. Hugo et Jaurès se retournent dans leurs mausolées. Depuis quelques années, osera-t-on dire que l’on touche le fond. Quelle image notamment pour les jeunes. Et l’on s’étonne de l’abstention… Mais le (très) mauvais exemple ne vient pas uniquement des députés Nupes. Pour la première fois sous la Ve République un ministre a fait trois bras d’honneur à un député qui l’interpelait poliment. Tout le monde aura reconnu E. Dupont-Moretti complimentant O. Marleix ! Non content de se ficher complètement de sa mise en examen, l’ex-avocat foule aux pieds un membre de la représentation nationale. Donc l’ensemble de celle-ci. « Ce comportement n’a pas sa place dans l’hémicycle » a dit sobrement E. Borne. Et après serait-on tenté de dire ? On a là la preuve que le sort d’un ministre dépend du seul chef de l’Etat. On est en droit de se demander ce qui lie à ce point le Garde des Sceaux et le locataire de l’Elysée ? Imagine-t-on une seule seconde le général de Gaulle garder un ministre mis en examen ? Dès les premiers éléments du dossier, il eut été prié de quitter le gouvernement. Certains ont été congédié pour bien moins que cela. C’eut été la même chose sous G. Pompidou voire V. Giscard d’Estaing. On a déjà écrit quelques lignes dans ces colonnes sur les jurisprudences Bérégovoy et Balladur. Elles étaient tout à fait justifiées. Il est assez dommage qu’elles soient devenues très fluctuantes (à la tête du client pourrait-on dire) sous F. Hollande et E. Macron.
Nonobstant la présomption d’innocence, un ministre doit être exemplaire. C’est aussi une question d’exemplarité et même de dignité.
A cet égard prenons exemple sur nos voisins anglais et allemands. Une société où ceux qui nous dirigent vicient leur mission, est incontestablement sur une mauvaise pente….
Chaque vice comme chaque profession, exige et développe un savoir spécial qu’on n’est pas fâché d’étaler (Marcel Proust).
Raphael Piastra
Maitre de Conférences des Universités