Le 2 mars, Yvan Colonna est victime d’une tentative d’assassinat à la centrale d’Arles. L’auteur de l’agression est un djihadiste, détenu particulièrement signalé, qui travaillait comme auxiliaire dans cette prison réputée pour être « hautement sécurisée ». Les caméras de surveillance qui ont enregistré l’agression témoignent qu’il a fallu huit minutes pour que les gardiens interviennent.
La chaîne des responsabilités sera établie par les enquêtes en cours, mais une chose ne fait pas de doute. Dans une des prisons les plus sécurisées de France, un attentat islamiste s’est produit, au moment où se juge l’affaire du Bataclan. Ce qui, clairement, démontre une énorme faille au sein des services de l’Etat.
S’y ajoutent, dès le lendemain, une incroyable succession de fautes politiques mises en lumière par une communication erratique. Gérald Darmanin, au lieu de se contenter d’affirmer que la lumière sera faite sur les faits, a « une pensée pour la famille Colonna ». A ce stade cela aurait été suffisant. Mais il ne peut s’empêcher, mû par une sorte de toc, d’y ajouter « une pensée pour Mme Erignac » qui, clairement, n’a rien à voir dans cette affaire que la justice a tranché depuis des années. Pire, six jours après l’agression, le 8 mars, Jean Castex qui a toujours refusé de lever les statuts de DPS des membres du commando Erignac, annonce la levée de ce statut pour Yvan Colonna « en raison de son état de santé et après avis de la maison centrale d’Arles » sans plus d’explications.
En Corse, les premières déclarations sont amères. La levée de ce statut de DPS était à la fois une demande des avocats et une des principales revendications politiques de l’Assemblée de Corse, dès l’accession au pouvoir des nationalistes en décembre 2015. La demande de rapprochement des militants nationalistes incarcérés est d’ailleurs, depuis des années, totalement transpartisane dans l’île et a été votée à l’unanimité avant même l’arrivée d’une majorité nationaliste.
La tentative d’explication de Richard Ferrand sur France Info le 9 mars n’apaise pas. Le président de l’Assemblée nationale explique que cette levée du statut de DPS a été effectuée « pour permettre à la famille d’Yvan Colonna de se rendre à son chevet ». Trop tard.
Les premières manifestations ont débuté le 2 mars au soir en Corse. La déconnexion absolue du gouvernement avec ce qui se passe sur place ne fait que mettre de l’huile sur le feu et alimente les théories du complot. Plus les jours passent, plus les manifestations sont violentes et plus les manifestants sont jeunes. Le 8 mars, à Ajaccio, on frôle à nouveau la catastrophe, un adolescent de 14 ans est gravement blessé à la tête par un tir de flashball. Le lendemain les manifestants mettent le feu au palais de justice.
Le 11 mars, à la veille du week-end, et alors que les nuits de chaos s’enchaînent, Jean Castex annonce la levée du statut de DPS pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Encore une fois, trop tard.
En Corse, les militants les plus durs, ceux qui rongent leur frein depuis le dépôt des armes des organisations clandestines en 2014 assènent : « L’Etat ne comprend que le rapport de force, la preuve ».
L’histoire leur donne malheureusement raison. Du drame d’Aléria en 1975 lié au scandale des vins trafiqués, aux accords de Matignon engagés après deux attentats en plein jour, à Ajaccio dans les locaux de l’Urssaf et de la DDE.
Après des décennies de violence récurrente, l’arrivée d’une majorité nationaliste et le dépôt des armes avaient créé un espoir. Avec des élus demandeurs d’un dialogue avec l’Etat central, prêts à un cheminement étalé dans le temps pour établir, enfin, des relations apaisées. Le lien ne s’établira jamais malgré l’intercession de parlementaires issus de toute la France.
Sans le bruit des bombes, l’Etat se désintéresse de la Corse. Lui demandant de rentrer dans le rang d’une gouvernance hyper verticale qui fait fi de tous les corps intermédiaires dont font partie les élus de terrain.
Les alertes concernant une grogne grandissante – venues souvent d’élus non nationalistes – sont superbement ignorées. Comme est ignoré le « signal faible » du retour des conférences de presse clandestines du FLNC, en septembre 2021.
Droit dans ses bottes, le préfet Lelarge quitte la Corse après dix-neuf mois de conflit avec l’Exécutif de l’Assemblée de Corse, validés par le pouvoir central. En cadeau d’adieu, il autorise le prélèvement de 9 millions d’euros sur le compte de la CdC correspondant aux intérêts de retards dus à la Corsica Ferries dans un dossier hérité des mandatures précédentes. Il y ajoute une mesure symbolique, retoquant le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse pour en extirper les mots « peuple corse » et y interdire que les débats se fassent « en Corse et en Français ». On est le 18 février. La tension monte y compris chez ceux qui ne sont pas nationalistes.
Moins de deux semaines plus tard, Yvan Colonna est agressé à Arles. Une semaine d’émeutes plus tard encore, ce gouvernement qui s’autoproclamait « républicain » pour refuser toute mesure spécifique ou même d’application du droit, cède, dans le chaos et sous la pression de la rue.
A l’époque d’Aléria on dit que Monsieur PONIATWSKI aurait été pris à parti par Alexandre SANGUINETTI : « Tu t’es cru où : dans les Aurès ? »
A cette époque, le congrès de l’ARC avait théorisé avec les revendications de bilinguisme et d’autonomie interne, celui de « légitime défense » dont les jeunes aujourd’hui se servent sans même avoir conscience de ce qu’il a coûté de dialogue pour parvenir à l’équilibre où la Corse était parvenue.
Il faut convenir que depuis le travail universitaire d’Arnaud BENEDETTI « Analyse sociale de la politique : le problème Corse » et en dépit des changements survenus tant sur le plan institutionnel avec l’émergence de la nouvelle collectivité régionale et d’une nouvelle majorité, les dynamiques ne semblent pas désormais avoir bougé d’un iota entre la Corse et l’Etat central, à ceci près que la France a fait l’objet d’une vague d’attentats islamistes sans précédent et que le contexte international, de santé publique et les élections à venir mettent certainement un degré de tension supplémentaire.
Il faudra pourtant que les fautes politiques, de maintien de l’ordre et de communication soient reconnues et prises en compte.
Il faudra prendre le chantier de l’Islam radical en détention à bras le corps sans démagogie comme la dernière mandature de la CdC le demandait pour la prison de Borgo…
Il faudra s’incliner devant le sort d’Yvan Colonna, soutenir sa famille et accompagner ceux qui s’indignent même si la posture est paradoxale a priori pour l’Etat.
Car au fond, dans une justice qui passe sur les crimes en prononçant des peines afflictives, celui qui s’en acquitte ne cesse pas d’être un citoyen.
Dans ce contexte, celui qui agresse à mort un citoyen au nom de n’importe quel motif et, en particulier religieux, commet un attentat dont l’Etat doit prendre toutes les dimensions.
Isabelle Luccioni, Journaliste
Jacques-Louis Colombani, Avocat