« On ne peut pas dire qu’il y a eu un défaut d’anticipation de cette crise, bien au contraire », déclare le lundi 23 mars 2020, Sibeth Ndaye à la presse.
Et pourtant, les faits sont têtus et le florilège d’opinions pour minimiser la pandémie qui aillait survenir est dense, sacrément dense.
Blanquer et ses écoles, Buzin et ses frontières, Castaner et ses élections, Macron et son théâtre.
Mais là, même pour celui qui aimait jouer au comédien quand il était adolescent, il ne s’agit plus de jouer, et la scène est bien réelle, et la réalité confine au cauchemar. La dystopie n’est plus fictionnelle.
Cette photo, jaillit, comme un gifle de réalité, plus efficace que bien des discours. Une photo qui joue ce que l’on appelle les « antiphrases ».
Ecrire « petit » en très grand, minimiser mais avec des majuscules. Des lettres qui hurlent. De l’antiphrase. Cette figure de style qui consiste à employer un mot ou une phrase, dans un sens contraire à sa véritable signification…
Au quotidien, il nous arrive d’antiphraser, par ironie ou par euphémisme: « Eh bien bravo ! » ou encore « c’est malin ! » ; voilà de l’antiphrase…. ou encore en poésie, « vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ».
Dans cette image, c’est l’arrière plan bien sûr qui donne toute la mesure de l’ironie, la cruelle bêtise des avis émis avant la cauchemardesque réalité.
Dans un autre temps, dans le monde d’avant Coronavirus, cette image aurait pu sortir tout droit d’une d’émission scientifique pour enfants ; souvenons-nous de ces émissions où les bonshommes en combinaison et masques faisaient figure d’anticorps dans leur lutte acharnée contre les méchants virus.
Ici, au contraire, avançant d’un pas martial, le personnage central en combinaison vert-champ opératoire est flanqué de deux quasi-soldats, dispensant abondamment des nuages de désinfectant : Dark Vapor et ses clones en lutte contre un virus rebelle, produit lui-même par un monde qui empire.
Ces silhouettes en combinaisons sans âme sont elles des Sauveurs angéliques ou de simples enfumeurs désespérés ?
Nuages ou brouillard ? Nous sommes dans cette dystopie mille fois décrite, maintenant réalisée.
Malheureusement, il ne s’agit pas d’un plan du film Ghostbusters, même si l’ennemi n’en est pas moins invisible.
Cette photo, comme une antiphrase, un anticorps-on-a-virus, désigne sans nommer, à distance d’ironie, pour se protéger. Pourquoi ? Parce que bien sûr, l’innommable, l’effrayant innommable, cette épidémie inconnue, ne peut être décrite pour l’instant, que par ce qu’elle n’est pas… une « petite grippe ».
Virginie Martin, politiste, professeure-chercheure à Kedge Business School, co-presidente du Conseil scientifique de la Revue Politique et Parlementaire
Eric Van de Valle, sémiologue