Depuis le 17 mars, la France est confinée en raison de l’épidémie de coronavirus. Pierre Larrouy, économiste et essayiste, tient pour la Revue Politique et Parlementaire, un journal prospectif.
« Ca plane pour moi », mercredi 25 mars
Cher Plastic Bertrand, votre titre a connu un succès planétaire. Mon fils Manuel était fan. Toute une génération. C’est vous dire que votre côté punk ne me dérangeait pas.
Mais je dois vous le dire, sans vous incriminer, le monde doit changer. Et, justement, il y a deux gros problèmes. Avec le « plastic » et avec « ça plane ».
Alors, puisque nous sommes en terra incognita, regardons froidement les choses. Et, parce qu’il faut commencer par un bout, Pascal Dion s’interroge sur le tourisme. C’est depuis son hublot mais ça nous concerne tous.
La question du sens qu’on va donner à tout ça après.
Le sens comme une destination, l’endroit qui prévaut dans ce nouveau territoire inconnu.
Je pense que nous allons devoir mesurer notre capacité à renoncer à quelque chose.
Depuis si longtemps, le but, ce que nous avons identifié comme une évolution, était : toujours plus de quelque chose. Ainsi en va-t-il de notre faculté à s’imaginer facilement ailleurs pour ne pas avoir raté sa vie : « j’voudrais pas crever avant d’avoir connu les chiens noirs du Mexique, qui dorment sans rêver, les singes à cul nu dévoreurs de tropiques, les araignées d’argent au nid truffé de bulles… » (Boris Vian). Mais le poète nous mettait aussi en garde contre l’amour de l’objet qui martyrise l’objet de l’amour (Complainte du progrès).
Je pense que le tourisme industriel est le résultat de ce que notre société capitaliste promeut – le tourisme, c’est l’autre face du travail. Le tourisme de masse s’est inscrit comme la récompense nécessaire de notre dur labeur, laissant de côté, comme sait si bien le faire le mouvement du « suivisme », toute réflexion critique.
Aujourd’hui, plus d’un milliard et demi de touristes par an. Résultat : le transport aérien est responsable de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Quant aux espaces maritimes, ils sont en danger à cause, notamment, des grandes compagnies de croisières et des multitudes de bateaux privés qui polluent les océans. Qu’est-ce qui peut bien nous pousser à continuer à ce rythme, parfois de deux voyages longs courriers par an ?
« Nous rentrons d’Afrique du Sud et, rendez-vous compte, nous avons eu un domestique à demeure pendant 15 jours », se délecte un couple. Le tourisme a tué l’esprit du voyage. Ce n’est plus la découverte qui prime, c’est l’art du divertissement, le safari, le club…
Et, sous couvert de création d’emplois, on peut y voir une forme de néo-colonialisme : en vérité, je pense que bien souvent les réalités touristiques envahissent le quotidien des autres et rendent leur vie impossible.
Ma décision est prise, je ne voyagerai quasiment plus. Imaginons que cette crise financière mondiale mette demain une partie de plus en plus importante de la population sans emploi : la pratique touristique se réduirait et ne serait plus une priorité. Il y aurait donc, après cette pandémie, une nécessité à revoir nos priorités. Cela veut dire aussi que la France, première destination touristique, ne pourrait plus compter sur cette manne pour redémarrer son économie, mais sur ses concitoyens. Ce qui revient aussi à modifier l’offre de façon radicale. Nous allons enfin arrêter d’aménager des espaces artificiels à des fins touristiques, qui déstabilisaient presque toujours la faune, la flore locales et les habitudes de liens familiaux. La mobilité est peut-être à repenser aussi.
Jacques Attali nous prévoyait il y a quelques années comme des nomades ; nous sommes devenus no-man, des non-humains.
La mobilité, pourquoi faire ? Personnellement, j’y renonce.
Elle me fait penser à la façon dont Steve Job avait présenté le premier smartphone :
Lui : Qu’est-ce que c’est ?
Les autres : Un téléphone ?
Lui : Pas seulement.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste